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Les
doris partaient alors élonger leurs tentis
c'est-à-dire mettre leur ligne à l'eau, laissant
une bouée au bout pour pouvoir la retrouver facilement.
Bien sûr, c'est à la rame qu'on s'éloignait
ainsi du navire principal, allant parfois jusqu'à un mile
nautique (1,8 kilomètre), distance qu'il fallait
parcourir à nouveau - parfois en plein vent - pour regagner
le navire.
Après
quelques heures à bord, passées à nettoyer
le poisson de la première pêche, on reprenait la
mer pour relever les lignes et ramasser la morue , puis on revenait
au navire décharger sa cargaison de poisson. Et on continuait
ainsi durant des mois, sans arrêt, sauf lorsqu'il faisait
trop mauvais pour mettre une embarcation à l'eau.
Une
fois la morue transbordée dans le navire principal, commençait
alors la préparation de la morue verte,
comme l'explique Louis Lacroix dans son ouvrage «Les derniers
voiliers morutiers» :
Il
fallait d'abord l'étriper; c'est ce qu'on appelle sur le
Banc ébrayer ou ébrouailler
et c'était le rôle de l'ébrayeur
ou éventreur, qui piquait la morue sur un crochet fixé
à un établi installé devant lui et, d'un
seul coup de son couteau spécial, l'éventrait de
bas en haut, la vidant de ses intestins, puis la jetait dans le
parc à poissons. C'est une sorte d'enclos, limité
par quatre hauteurs de madriers encastrés dans des montants
fixés à demeure sur le pont et formant un rectangle
qui occupait une large partie du pont en son milieu et dans lequel
se faisait le décollage, ouvrage réservé
à un novice le plus souvent. Le
décolleur, ou guillotineur, prenait dans le parc
où il était plongé jusqu'au ventre le premier
poisson venu et en abattait la tête en l'appuyant sur une
sorte de couteau à pain renversé (la guillotine)
fixé à un établi spécial. Aussitôt
que d'un coup sec il avait fait tomber la tête, l'opérateur
passait le corps à un de ses voisins, le
trancheur, qui était un spécialiste :
le second ou le lieutenant qui, de deux coups de couteau à
trancher, faisait de profondes entailles le long de l'épine
dorsale et l'arrachait ensuite d'un seul coup.
Il
jetait alors le corps aplati dans une baille
de lavage, où un mousse pompait l'eau de mer sans arrêt,
pendant que l'autre grattait le poisson aplati avec une cuiller
spéciale pour énocter, c'est-à-dire
faire disparaître toute trace de sang qui pouvait se trouver
sur la chair et dans les poches.
L'énocteur
faisait glisser dans la cale par une coulisse spéciale
la morue au saleur, qui la frottait de sel d'après un dosage
savant qui fait partie des secrets du métier et dont dépend
la bonne conservation de la cargaison; il l'arrimait ensuite par
pile.
Une
fois la cale pleine on rentrait en France ou on se rendait à
Saint-Pierre-et-Miquelon pour y décharger sa cargaison
et y acheter la boette nécessaire à la reprise de
la pêche.