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Protecteurs du Nord Protecteurs du NordL'écrasement de l'axe : Les superhéros nationaux canadiens des années 1940
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L'ÉCRASEMENT DE L'AXE : LES SUPERHÉROS NATIONAUX CANADIENS DES ANNÉES 1940

Alors que les BD des États-Unis étaient surtout nées de l'esprit d'entreprise des Américains, prompts à reconnaître et à exploiter le goût du public pour de nouvelles formes de distraction répondant au besoin d'évasion, l'industrie canadienne-anglaise de la BD fut une conséquence inattendue de l'intervention massive du gouvernement canadien dans le domaine économique pendant la Seconde Guerre mondiale. Confronté à un déficit croissant des échanges commerciaux avec les États-Unis, le gouvernement de MacKenzie King adopta, en décembre 1940, la Loi sur la conservation des changes en temps de guerre. Cette loi visait à conserver les dollars américains en restreignant l'importation de produits non essentiels tels les périodiques des États-Unis présentant des ouvrages de fiction, dont faisaient partie les revues de BD. D'un seul coup, les jeunes Canadiens qui, comme leurs voisins américains, avaient manifesté un appétit vorace pour les BD, se retrouvèrent privés d'une grande distraction.

Cette privation fut cependant de courte durée. Quatre maisons d'édition canadiennes comprirent les possibilités qu'offrait cette interdiction. Maple Leaf Publishing, à Vancouver, et trois maisons de Toronto – Anglo-American, Hillborough Studios et Bell Features and Publishing – comblèrent rapidement le vide créé par la nouvelle loi. Conscients du succès phénoménal des superhéros américains, les quatre éditeurs publièrent des œuvres de genres divers, qui offrirent de nouveaux héros aux amateurs canadiens.

IRON MAN ET FREELANCE

Les deux premières BD canadiennes, Robin Hood and Company (no 1), d'Anglo-American, et Better Comics (no 1), de Maple Leaf, sortirent en mars 1941. Robin Hood était imprimée en noir et blanc (comme la plupart des BD canadiennes des années 1940), en format tabloïde, et contenait des réimpressions de la bande « Robin Hood » des journaux; Better était une revue de BD en couleurs, de format type, offrant des œuvres originales. C'est Better qui présenta le premier superhéros canadien, Iron Man, de Vernon Miller. Miller, qui était retourné en Colombie-Britannique après avoir travaillé quelque temps chez Disney, en Californie, aurait joué un rôle important dans le lancement de Maple Leaf, en convainquant Harry Smith, commerçant de périodiques, d'investir dans la toute nouvelle industrie de la revue de BD.

Iron Man, qui précédait de 22 ans le personnage de BD américaine du même nom, mieux connu, rappelait un autre héros américain – Sub-Mariner. Seul survivant d'une civilisation des mers du Sud détruite par un tremblement de terre, il vivait seul dans le palais d'une cité sous-marine. Contacté par le major et ses deux jeunes compagnons, Jean et Ted, Iron Man remontait à la surface pour y combattre les nazis, les pirates et autres vilains. Iron Man était doué d'une force surhumaine; indestructible, il pouvait, comme la première version de Superman, sauter si haut qu'il était pratiquement capable de voler (notez que Superman ne devient capable de voler que plus tard dans sa carrière). Iron Man n'avait cependant aucune particularité typiquement canadienne.

Cette absence de toute identité canadienne était également manifeste chez le second superhéros du Canada, Freelance, qui fit son entrée dans Freelance Comics (no 1), d'Anglo-American, en juillet 1941, troisième titre de l'Âge d'or de la BD canadienne. (Le terme « Âge d'or » désigne la période 1941–1947 de l'histoire de la BD canadienne-anglaise, période au cours de laquelle les premières BD canadiennes originales parurent. Des BD d'inspiration religieuse furent publiées en français à la fin de cette période, mais la BD canadienne-française ne connut son véritable essor qu'au début des années 1970; plusieurs artistes francophones travaillaient cependant pour les maisons d'édition canadiennes qui publiaient des revues de BD en anglais.)

Né de l'esprit fertile de la meilleure équipe d'Anglo-Américain, constituée de l'écrivain Ted McCall et de l'artiste Ed Furness, Freelance, comme Iron Man, venait de l'hémisphère sud, où il avait grandi dans une tribu vivant dans une vallée tropicale de l'Antarctique; ses pouvoirs se limitaient à des talents athlétiques exceptionnels. Portant des jodhpurs, des bottes hautes et un chandail orné de la lettre « L », Freelance combattait les forces de l'Axe dans le monde entier, accompagné de son assistant, Big John Collins. Ses aventures, commencées en juillet 1941, ne prirent fin qu'en décembre 1946, avec la publication de Freelance (no 35).

NELVANA OF THE NORTHERN LIGHTS

Si Iron Man et Freelance étaient, en un sens, des superhéros génériques, dépourvus de toute particularité typiquement canadienne, il en était tout autrement du troisième superhéros du pays et premier superhéros national : Nelvana of the Northern Lights. Essentiellement la création d'Adrian Dingle, Nelvana apparut pour la première fois dans la revue Triumph-Adventure-Comics (no 1) en août 1941, publiée par Hillborough Studios, maison fondée par Dingle, les artistes André et René Kulbach et un investisseur inconnu. Après la faillite de Hillborough à la fin de 1941, Dingle se joignit à Bell Features, quatrième éditeur de BD au Canada. Dingle attribua plus tard à Franz Johnston du Groupe des sept, non seulement la paternité du personnage de Nelvana, mais aussi la plus grande partie du texte de sa première aventure.

Il semble qu'à la suite d'un voyage dans l'Arctique (probablement en 1939) Johnston aurait captivé son ami Dingle en lui parlant d'un puissant personnage mythologique inuit – une vieille femme appelée Nelvana. Dingle était convaincu que ce personnage conviendrait très bien à une BD et décida de la transformer quelque peu afin de respecter les conventions propres aux superhéros. Comme il l'expliquait au cours d'un entretien, quelques années avant sa mort, en 1974 :

« Je l'ai un peu changée. J'ai fait ce que j'ai pu en lui donnant de longs cheveux et des mini-jupes. Et j'ai essayé de la rendre attirante […]. Après cela, il a fallu la moderniser un peu pour la faire participer à l'effort de guerre. Et, bien entendu, il fallait que tout soit très patriotique. »(2)

Pour recréer Nelvana, Dingle se serait inspiré de plusieurs sources, notamment de caricatures politiques canadiennes et de la tradition de la « reine blanche » dans les romans d'aventures.

Pendant plus d'un demi-siècle avant l'apparition de Nelvana, les caricaturistes canadiens avaient fréquemment représenté le Canada sous les traits d'une belle jeune femme appelée Canada ou Miss Canada. Souvent contrainte de repousser les avances de l'oncle Sam (ou du frère Jonathan), la sage Miss Canada était l'équivalent canadien de symboles féminins bien enracinés tels que Columbia (pour les États-Unis) et Britannia (pour le Royaume-Uni). Nelvana, dont Dingle et Johnston avaient fait la fille d'une simple mortelle et de Koliak, roi des aurores boréales, appartenait manifestement à la même tradition. Dès le début, il était évident qu'elle personnifierait le Nord (les aurores boréales étaient même la source de ses pouvoirs). Cette identification fut accentuée dans le no 20 de Triumph dans lequel Nelvana se rendait dans le Sud à Nortonville, en Ontario, et adoptait une nouvelle identité, celle d'Alana North, Agent secret.

Si Nelvana personnifiait le Nord, elle était indiscutablement une déesse blanche – et non une Inuk [« Inuk » est le singulier d'« Inuit » – Réviseur]. En décidant d'en faire une Blanche, Dingle la coulait sciemment dans le même moule que les nombreuses reines et déesses blanches qui étaient apparues dans les ouvrages de fiction populaire depuis la publication de She (1887), l'œuvre de H. Rider Haggard. Ces reines et déesses avaient souvent des noms qui se terminaient par la lettre « a »; elles étaient belles et immortelles, et régnaient sur des « peuples primitifs » (souvent des races disparues). Avant l'arrivée de Nelvana, Sheena, la première d'une longue succession de reines blanches de la jungle dans les BD américaines, était apparue dans Jumbo Comics (1938). Si Nelvana succédait à Sheena, elle précédait de trois mois Wonder Woman, la première superhéroïne des États-Unis.

Contrairement à la plupart des artistes de l'Âge d'or, qui étaient jeunes – certains étaient même des adolescents – Dingle était dans la trentaine lorsqu'il créa Nelvana. Il apportait ainsi à la BD ses talents déjà consommés de graphiste et d'illustrateur (de 1942 à 1946, il fut directeur artistique de Bell Features). Son art, qui rappelle un peu le style remarquable de Milton Canif dans la BD Terry and the Pirates, était beaucoup plus raffiné que celui de la plupart de ses contemporains canadiens. Pendant toute l'existence du personnage de Nelvana, d'août 1941 à mai 1947, le travail de Dingle s'est distingué par l'élégance et l'audace du dessin, ainsi que la maîtrise du clair-obscur dans lequel l'artiste s'attardait aux effets des lumières et des ombres.

Comparativement aux superhéros nationaux canadiens qui lui succédèrent, Nelvana était douée de pouvoirs exceptionnels. Elle pouvait voler et se déplacer à la vitesse de la lumière sur un rayon géant projeté par l'aurore boréale. Elle était également capable de faire appel aux autres pouvoirs des aurores boréales, tel le puissant rayon de Koliak, qui pouvait faire fondre le métal et couper les communications radio. Elle pouvait aussi devenir invisible, modifier son aspect physique, communiquer par télépathie avec son frère Tanero et utiliser sa cape magique pour transformer celui-ci de sa forme lumineuse en forme humaine. En outre, elle était immortelle.

Les pouvoirs de Nelvana étaient si vastes qu'ils posaient un problème à Dingle et à d'autres créateurs de superhéros. Avec une guerre très réelle, qui empiétait sur l'univers fictif des BD, les créateurs de superhéros ultrapuissants devaient expliquer pourquoi leurs personnages ne se précipitaient pas à Berlin ou à Tokyo pour détruire les chefs de l'Axe et leurs armées. Les créateurs de Superman résolurent le dilemme en insistant sur le fait que les forces américaines étaient tout à fait capables de détruire l'Axe, si bien que Superman concentrait tous ses efforts sur la situation à l'arrière. Dingle traitait le problème avec plus d'imagination : il inventa des supervilains extraterrestres (souvent alliés à l'Axe) et des armes superpuissantes pour l'Axe. Ainsi, pendant que les forces armées canadiennes menaient une guerre conventionnelle, Nelvana pouvait protéger son pays contre des menaces plus extraordinaires. C'est pourquoi les aventures de Nelvana rappelaient souvent celles de Flash Gordon.

Dans sa première grande aventure, Nelvana déployait tous ses efforts pour faire échec à une invasion de l'Arctique par les Kablunets, alliés aux nazis, qui étaient équipés d'armes projetant des rayons de Thormite, et dont le chef se nommait Toroff. Dans une seconde aventure encore plus tirée par les cheveux, elle était dépêchée par son père dans le monde perdu de Glacia, sous les glaces de l'Arctique. Dans ce monde futuriste, elle entrait dans la lutte opposant le roi Rano (et son fils, le beau prince Targa) et le méchant supersavant Vultor. Grâce à l'aide de Nelvana, les Glacians réussissaient à vaincre Vultor. Avant de chanter victoire, Nelvana devait cependant retourner dans l'Arctique où, pour empêcher l'achèvement de la route de l'Alaska, les Japonais avaient lâché « des bandes de loups de Mandchourie sauvages et affamés », menace sérieuse pour la construction de la route, mais adversaires négligeables pour Nelvana qui y arrivait sur le dos d'un ours polaire.

La troisième aventure de Nelvana était un peu plus ordinaire; elle décrivait les efforts de One-Ear Brunner et de ses acolytes, Dwarfo et Slimey, pour voler une nouvelle arme secrète des Alliés : le rayon de glace. L'intérêt de cette histoire en cinq épisodes tenait à ce qu'elle amenait Nelvana de l'Arctique à Nortonville, en Ontario, où elle prenait l'identité d'Alana North. Son aventure suivante marqua un retour aux outrances de la superscience, laquelle devenait la spécialité de Dingle. Intitulée, « Nelvana of the Northern Lights and the Ether People », l'histoire montrait Nelvana et son compagnon, le caporal Keene de la GRC, voyageant à travers la stratosphère, en route pour Etheria pour contrer l'invasion de la Terre par des ennemis dont le chef se révélait être Vultor, sa Némésis de toujours.

Les aventures suivantes de Nelvana datent de l'après-guerre, période au cours de laquelle Dingle et d'autres artistes durent trouver de nouveaux vilains n'appartenant pas à l'Axe, et où l'industrie de la BD canadienne-anglaise était au bord de l'effondrement en raison du retour des BD américaines. Ces dernières aventures n'avaient cependant plus le panache des premières. Le nom de Nelvana survit dans la mémoire de tous ceux qui suivirent ses aventures pendant la guerre et dans le nom et le logo de l'un des plus importants studios de cinéma et de films d'animation au Canada, Nelvana Limited, à Toronto. Évoquant l'époque où il créa Nelvana et d'autres personnages à Bell Features, Dingle devait dire :

« C'était amusant d'essayer de créer un nouveau personnage… Chaque fois que l'on y parvenait, on se disait : Celui-ci va être immortel; il va vraiment faire de nous un gros ponte dans le métier. Chaque fois que nous inventions quelque chose, nous étions toujours convaincus d'avoir gagné le gros lot et, tant que nous le pensions, nous continuions à travailler. On s'amusait comme des petits fous. Ça a été une époque formidable ».(3)

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