CMAJ/JAMC Ressources
English

 

Points de vue non embellis et examen scientifique

Les lettres à la rédaction constituent une tribune pour les lecteurs et elles obligent un journal à rendre compte à la communauté médicale

Carolyn Joyce Brown, BJ, DPA
Mme Brown est rédactrice du JAMC.

© Association médicale canadienne


Les sondages auprès des lecteurs effectués pour le compte du JAMC indiquent que les lettres à la rédaction sont une des parties les plus lues du journal. Ce dont beaucoup de lecteurs ne se rendent peut-être pas compte, c'est que sans compter qu'elles sont intéressantes à lire, les lettres constituent une présence importante dans un journal indépendant critiqué par des pairs.

Comme l'ancien rédacteur en chef Bruce P. Squires1 l'a déjà écrit, les lettres à la rédaction jouent 2 rôles. Tout d'abord, elles ouvrent les pages aux lecteurs. C'est là que les lecteurs sont aussi les rédacteurs et s'expriment librement. Les échanges de vues parfois hargneux rendent le journal animé, informatif et divertissant. Afin d'encourager ces échanges, les rédacteurs acceptent presque toutes les lettres présentées (et en rejettent certaines surtout parce qu'elles sont répétitives) et essaient de ne pas modifier la position des auteurs par leurs révisions. Les avis de lecteurs fermement convaincus qui sont publiés reflètent la meilleure tradition de la liberté de presse. Comme John Milton le disait au sujet du besoin de libre expression : «Je ne peux glorifier une vertu fugitive et renfermée qui n'est pas exercée ni ressentie, qui n'affronte jamais ses adversaires, mais qui fuit la course dont la couronne immortelle constitue le prix, impossible à décrocher sans se salir ni suer»2.

Deuxièmement, les lettres sont une caractéristique des journaux critiqués par les pairs et les distinguent des publications moins crédibles parce qu'elles sont justement un élément du mécanisme d'examen critique par les pairs. Les articles scientifiques publiés dans un journal critiqué par les pairs sont scrutés constamment dans la chronique des lecteurs. On accorde de l'espace à des théories rivales et à des références contradictoires, et le lecteur peut se faire une idée après avoir lu les opinions et les données probantes complètes. La correspondance est un des éléments qui obligent un journal critiqué par les pairs à rendre compte à la communauté scientifique. Voilà pourquoi le Comité international des rédacteurs de revues médicales3 oblige les journaux à publier une chronique des lecteurs. La plupart des publications jugées crédibles et qui font autorité réservent de l'espace pour les lettres à la rédaction. Par ailleurs, les publications qui ne sont pas indépendantes ou ne présentent pas de renseignements critiqués par les pairs qui font autorité acceptent rarement la correspondance.

Étude et choix des lettres

Les lecteurs du JAMC sont la pierre angulaire de la chronique des lecteurs. J'ai déjà entendu un membre de l'AMC affirmer fièrement à un collègue qu'il s'était prononcé sur une question dans une lettre à la rédaction du JAMC, et que le rédacteur avait jugé sa lettre assez bonne pour la publier! En fait, les lecteurs ont de très bonnes chances de faire publier leur lettre. J'estime que 85 % des lettres sont acceptées. Comme les critères qui régissent la publication des lettres sont très différents de ceux qui s'appliquent aux manuscrits, le retard de la publication et les révisions associés aux manuscrits ne sont pas nécessaires. Les auteurs des lettres sont toutefois tenus de fournir des références pour appuyer les faits et les chiffres qu'ils citent. Les lecteurs ne doivent toutefois pas oublier que les arguments présentés dans les lettres n'ont pas subi l'examen critique des pairs.

Les conceptions erronées au sujet de ce que devient une lettre à son arrivée au JAMC ne manquent pas. Je décris ici les étapes que le JAMC suit pour étudier les lettres qu'il reçoit. Même si le processus ressemble à celui de la plupart des autres journaux, il comporte des différences que j'indiquerai.

Le JAMC reçoit de 3 à 12 lettres à la rédaction par semaine : le nombre dépend de la saison et des sujets dont il a été question récemment dans le journal. Les lettres sont étudiées par 1 ou 2 rédacteurs. Même s'ils ont une certaine latitude dans le choix des lettres, ils doivent aussi suivre des lignes directrices générales. Les lettres sont en général acceptables si elles sont brèves, opportunes, claires et bien rédigées. Le tableau 1 présente les motifs de rejet. Comme nous l'avons mentionné plus tôt, une lettre est rejetée surtout parce qu'elle répète d'autres lettres que le journal a reçues sur le même sujet, ou des lettres et des articles antérieurs du même auteur.

Il faudrait ajouter une mention spéciale au sujet des études de cas et des résultats préliminaires. Des journaux publient de brefs comptes rendus et des résultats de recherche sous forme de lettres, ce que ne fait pas le JAMC. Les auteurs devraient présenter de tels comptes rendus sous forme d'articles. Ils seront alors assujettis à la sélection et à l'examen critique par les pairs, comme d'habitude. Les directives aux auteurs4 et les articles sur la façon de préparer des études de cas5 ou d'autres types de rapports de recherche6­15 sont utiles à cet égard. (On peut obtenir ces articles de la coordonnatrice des manuscrits au JAMC : tél 800 663-7336, x2130; fax 613 523-0937; pubs@cma.ca)

Les opinions exprimées dans les lettres ne jouent pas sur leur acceptation, sauf lorsque les lignes directrices du tableau 1 s'appliquent. Les rédacteurs essaient de ne pas tenir compte de leur propre opinion lorsqu'ils choisissent les lettres à publier. C'est pourquoi des lettres contenant des avis controversés ou incendiaires sont souvent publiées dans la section correspondance.

Les avis de lecteurs convaincus et les critiques ne sont pas diffamatoires : la diffamation est une déclaration fausse sur une personne qui vise à la discréditer16. Les propos vrais ou ceux qui constituent des «commentaires équitables» (préoccupation ou critique légitime) au sujet d'une question d'intérêt public ne sont pas diffamatoires. Cependant, même si des propos sont vrais, il faut pouvoir les prouver parce que la diffamation est le seul domaine du droit où le défendeur est coupable jusqu'à ce qu'il puisse prouver son innocence. La plupart des libelles diffamatoires mettent en cause des propos qui sous-entendent qu'une personne est incompétente, malhonnête ou qu'elle se livre à des activités criminelles -- accusations qui peuvent toucher la réputation de l'intéressé. Le comportement des personnes qui occupent certaines charges publiques peut toutefois être la cible de critiques plus vives que dans d'autres cas. Selon Kesterton17, «une personne qui pose sa candidature à une charge publique, un auteur qui publie un ouvrage, un peintre qui produit une toile, une comédienne qui se présente sur scène sont habituellement la cible de critiques que l'on ne pourrait formuler sans danger devant la loi à l'égard d'un particulier».

Lorsqu'ils rédigent des lettres sur des sujets litigieux dans le vif du moment, les auteurs risquent parfois de tenir des propos diffamatoires. Il est bon de laisser une lettre à la rédaction refroidir quelques jours avant de l'envoyer. J'ai déjà reçu un appel d'un auteur qui avait réfléchi aux commentaires qu'il formulait au sujet d'une personnalité publique dans une lettre cinglante et humoristique et qui craignait des poursuites. (Comme la personne visée était une personnalité publique, les commentaires n'étaient pas diffamatoires.) Même si cela semblait dommage et s'il avait peu de chances d'être poursuivi, j'ai atténué un peu le texte de l'auteur, à sa demande. Le rédacteur élimine habituellement les propos qui peuvent être diffamatoires. Or, si le message principal d'une lettre est diffamatoire, ou si la lettre fourmille de propos diffamatoires, elle ne peut être publiée. Les lecteurs qui s'adressent à la rédaction améliorent leurs chances de voir leur lettre acceptée s'ils évitent de tels propos.

Lorsqu'une lettre est acceptée, les rédacteurs déterminent s'ils faut demander à l'auteur de l'article original d'y répondre. Si la lettre critique un article ou une lettre déjà publiés, l'auteur a habituellement la chance d'y répondre. Lorsqu'une lettre critique est publiée sans réponse, c'est souvent parce que l'auteur a refusé d'y répondre. Un lecteur m'a signalé que l'auteur «a toujours le dernier mot». C'est vrai. Je ne connais aucune autre façon d'éviter ce préjugé en faveur de l'auteur.

La lettre et la réponse sont ensuite corrigées avant d'être publiées. Comme nous recevons tellement de lettres et comme nous voulons publier le plus grand nombre possible de points de vue, les lettres sont rigoureusement abrégées. Comme nous l'avons déjà dit, les rédacteurs essaient de ne pas modifier le ton ni le message de l'auteur par leurs corrections. Les auteurs peuvent aider les rédacteurs en veillant à ce que leurs lettres soient brèves, pertinentes, claires et grammaticales.

Tendances futures

Le JAMC a lancé récemment une expérience de publication électronique rapide de lettres à la rédaction. Les lettres reçues par courrier électronique sont choisies et corrigées rapidement. Elles sont publiées dans la Tribune des lecteurs du JAMC, qui fait partie d'AMC En direct, le plus rapidement possible avant d'être publiées sur papier. La Tribune des lecteurs visait à créer un mécanisme de rétroaction plus rapide que ne le permettent les lettres à la rédaction publiées sur papier et à provoquer un échange animé sur l'Internet. Les lecteurs peuvent ainsi suivre l'article original et toutes les discussions subséquentes sur le site Web. La Tribune des lecteurs ressemble ainsi aux «fils conducteurs» de discussions interactives que l'on trouve maintenant sur de nombreux sites Web et dans de nombreux groupes de discussion sur l'Internet. La Tribune des lecteurs constitue aussi un premier essai de publication électronique avant l'impression. Ce progrès suscite des débats animés dans les milieux scientifiques.

Conclusion

Le JAMC est heureux de recevoir des lettres à la rédaction qui portent sur des articles publiés dans le journal ou sur des sujets qui intéressent les milieux de la médecine. Bref, les commentaires réfléchis contribuent à la discussion publique des grandes questions de l'heure et maintiennent le débat scientifique, crucial pour un journal critiqué par les pairs.

Références

  1. Squires BP. Letters to the editor: What editors expect from authors. CMAJ 1990;142:713-4.
  2. Milton J. Areopagitica and of education. Northbrook (IL): AHM Publishing; 1951. p. 18.
  3. Comité international des rédacteurs de revues médicales. Énoncés supplémentaires du Comité international des rédacteurs de revues médicales. CMAJ 1997;156:575-8 [texte complet].
  4. Directives aux auteurs. CMAJ 1997;157:81-3 [texte complet].
  5. Huston P, Squires BP. Études de cas : information pour les auteurs et les examinateurs. CMAJ 1996;154:45-7 [texte complet].
  6. Squires BP. Biomedical manuscripts: What editors want from authors and peer reviewers. CMAJ 1989;141:17-9.
  7. Squires BP. Descriptions de programmes : renseignements à l'intention des auteurs et des évaluateurs. CMAJ 1996;155:1072-4 [texte complet].
  8. Squires BP. Reports of randomized controlled trials: What editors want from authors and peer reviewers. CMAJ 1990;143:381-2.
  9. Huston P, Hoey J. Le JAMC appuie la déclaration CONSORT. CMAJ 1996;155:1280-2 [texte complet].
  10. Squires BP, Elmslie TJ. Reports of case-control studies: What editors want from authors and peer reviewers. CMAJ 1990;143:17-8.
  11. Squires BP, Elmslie TJ. Reports of case series: What editors expect from authors and peer reviewers. CMAJ 1990;142:1205-6.
  12. Squires BP, Elmslie TJ. Cohort studies: What editors want from authors and peer reviewers. CMAJ 1990;143:179-80.
  13. Squires BP, Biomedical review articles: What editors want from authors and peer reviewers. CMAJ 1989;141:195-7.
  14. Huston P. Rapports d'enquête : renseignements à l'intention des auteurs et des évaluateurs. CMAJ 1996;154:1700-4 [texte complet].
  15. Huston P, Naylor CD. Recherches sur les services de santé : rapports d'études fondées sur des sources de données secondaires. CMAJ 1996;155:1703-9 [texte complet].
  16. Kesterton WH. The law and the press in Canada. Toronto: McClelland and Stewart; 1976. p. 42, 48­56.
  17. Kesterton WH. The law and the press in Canada. Toronto: McClelland and Stewart; 1976. p. 55.

Comments Send a letter to the editor responding to this article
Envoyez une lettre à la rédaction au sujet de cet article

| CMAJ September 15, 1997 (vol 157, no 6) / JAMC le 15 septembre 1997 (vol 157, no 6) |
| Medical Writing Centre / Centre de rédaction médicale |