![](../images/spacer.gif) |
La colonisation de Bonnyville (1907 - 1919) (page 2)
par H.E. Bourgoin
M. Paquin et ses boeufs
|
![M. Paquin et ses boeufs](../../images/photos/petitephoto_colonisation4.gif) |
L'arpentage des terres n'avait pas été complété. Jusque là, les arpenteurs avaient tout simplement établi et défriché à l'est comme des parallèles de latitude, mais situés à une distance de 6 milles l'un de l'autre. Et puis, le long de chacune de ces lignes de base, on rencontrait à tous les 2 milles une borne qui était constituée comme suit: dans un carré de terre de 36 pouces de côté, on creusait un trou de 18 pouces de profondeur à chaque coin avec une pelle ronde, et on formait avec la terre ainsi enlevée, un monticule au milieu de ce carré. Ensuite, au coin nord est du carré, on enfonçait dans la terre un poteau de fer à quatre faces qui dépassait de la surface du sol de quelques pouces; sur la face ouest du poteau se trouvaient gravées dans le fer des données qui indiquaient exactement la situation de la section à laquelle elles faisaient face.
Suivant ce système, les terres étaient divisées en carreaux d'un mille carré (640 acres) appelés « sections ». Chaque section pouvait être divisée en quatre carreaux égaux de ¼ de mille carré (160 acres) ou « quart de section ». Le gouvernement provincial donnait à tout colon qui le désirait un quart de section de terre, moyennant son enregistrement accompagné de dix dollars, auprès du bureau des terres. Il restait au colon certains travaux à exécuter sur cette terre dans un temps fixé de trois ans :
- Construire une chaumière (shack)
- L'habiter au moins six mois par année
- Clôturer en entier son homestead
- Entreprendre de travailler quelques acres de terre.
Au bout de quelques années, un inspecteur du gouvernement
venait constater les progrès et, s'il était
satisfait, le pionnier recevait ses lettres patentes et
le terrain lui appartenait en propre.
Une fois son homestead choisi, chaque colon déterminait lui même les lignes de démarcation de sa terre. Il effectuait ce travail en mesurant d'abord ses distances depuis une certaine borne en comptant ses pas au marcher, soit trois pieds à chaque pas. Là il plantait un poteau en terre. Et puis au moyen d'une équerre et avec l'aide d'un compagnon, il tirait sa ligne ainsi: depuis son poteau, en se dirigeant sur l'équerre, il visait à l'oeil nu la direction de la ligne et dirigeait son compagnon qui plantait des baguettes dans ce sens. Ce procédé donnait pour l'instant des résultats satisfaisants.
Après avoir établi la situation de son homestead, le pionnier se construisait une habitation. Elle était faite en bois rond du pays, des poutres appelées billots ou « logs ». Il y avait parmi ces pionniers des hommes qui, en leur jeune âge, avaient été bûcherons au Québec. Ceux là savaient manier la hache; aussi ils taillaient habilement les coins de leurs maisons en queue d'aronde et cela tenait bon pour longtemps.
Mais ce n'était pas tout : il fallait mettre du terrain en culture. Il fallait d'abord abattre des arbres et les broussailles. On mettait tout ça en tas et on y mettait le feu. Mais il restait les souches. Pour les enlever, on coupait à la hache quelques racines au pied, puis on y accrochait, un à un, les chevaux fortement harnachés. Les bêtes se lançaient dans le collier et après quelques fortes secousses des chevaux parfois impatientés, la souche cédait. C'était un travail bien dur et très souvent les pauvres chevaux en sortaient les épaules blessées au vif. Après avoir essouché, il fallait labourer, « casser » la terre. Les charrues à manchons du temps étaient tirées par des chevaux ou des boeufs. Le laboureur, les mains collées aux manchons, avait une dure besogne à faire. Lorsque le soc frappait une racine solide ou une pierre, l'homme était souvent projeté fortement en l'air ou bien de côté et les manchons lui infligeaient parfois au corps des coups douloureux. Puis c'était le déracinage et le hersage, suivi de l'ensemencement qui se faisait à la main. Enfin, on attendait pour voir mûrir la semence des quelques premiers acres de terre.
Machine appelée « Horse Power »
|
![Machine appelée « Horse Power »](../../images/photos/petitephoto_colonisation5.gif) |
Durant ces premières
années, la façon de récolter et de
battre les grains différait beaucoup des méthodes
actuelles. Premièrement, le grain était coupé
par une simple faucheuse tirée par les chevaux. Faute
de lieuse, les gerbes étaient faites à la
main: chaque ouvrier ramassait deux ou trois poignées
de tiges qu'il entrelaçait pour former une petite
corde avec laquelle il attachait la gerbe. Ces gerbes étaient
lancées dans la batteuse à la main et les
grains battus étaient amassés dans des sacs.
Monsieur Moise Deblois fut le premier à faire transporter
dans notre région un moulin à battre. Il l'avait
déménagé de sa ferme au Québec
jusqu'à Végreville par voie ferrée.
De là, il fut tiré par deux « teams
» de chevaux, l'un à Moïse Demers et l'autre,
à Anatole Mercier. Ce moulin fonctionnait par la
force motrice de deux chevaux qui marchaient sur une espèce
de chenille roulante établie sur un plan incliné.
En roulant, cette chenille activait la grande roue motrice
et tout le mécanisme de la batteuse.
L'entretien et la préparation des chevaux pour l'ouvrage
demandait beaucoup d'attention. Levé à quatre
heures du matin, un homme devait d'abord donner à
chaque cheval sa ration d'avoine, sans cela la bête
amollissait et suait beaucoup trop. Après l'avoine
venait le foin et après le foin, il fallait harnacher.
Des harnais de travail très lourds étaient
placés sur le dos de chaque cheval et puis les chevaux
étaient accouplés et attelés à
la machinerie dont on se servait ce jour là. Certaines
de ces machineries devaient être tirées par
huit chevaux; c'était tout un art que de conduire
une telle équipée. À l'heure du dîner
on devait prendre soin de chaque cheval et après
la journée d'ouvrage, chacun était dételé
et nourri. Tout ce travail demandait beaucoup de coeur et
des bras forts.
Certains pionniers, tels Dosithée Marcoux et Antonin Ouimet, utilisaient plutôt des boeufs comme bêtes de trait. Ces animaux étaient très forts et d'une endurance incroyable, mais ils posaient quelques problèmes de plus que les chevaux. D'abord, ils n'étaient pas aussi rapides : pour transporter une charge de grain à Végreville, à 105 milles d'ici, et en revenir, on était en route pendant deux semaines. Les boeufs n'étaient pas toujours faciles à guider car ils étaient têtus. Lorsqu'ils tiraient une charge sur la route pendant les grosses chaleurs d'été, trempés de sueurs, haletant, bavant, la langue sortie, s'ils avisaient un étang marécageux, ils s'y dirigeaient sans qu'on puisse les en empêcher par aucun moyen : ce n'était pas facile de les sortir de ce pas. Imaginez aussi des boeufs tirant des charges de bois de poêle dans un sentier de forêt, sous un soleil de plomb, tourmentés par les mouches noires et les moustiques ! À la recherche d'un soulagement, les boeufs fonçaient en pleine forêt jusqu'à ce qu'ils restent pris. Et c'est ici qu'ils laissaient voir leur différence avec les chevaux : ils ne pouvaient plus reculer. Le malheureux pionnier devait alors se rendre avec sa hache devant les boeufs et « clairer » une piste semi circulaire pour revenir au sentier.
Dosithée Marcoux a raconté l'une de ces expériences
qui illustre bien le caractère revêche de ces
boeufs. Un jour qu'il labourait une pièce de terrain
avec ses boeufs, à chaque tour où il arrivait
au sentier qui conduisait à l'écurie, les
boeufs s'y introduisaient. Et puis c'était toute
une corvée que de les remettre en place. Enfin, pour
réussir à compléter son labour, Dosithée
dû placer au sentier de l'écurie un gardien
et lorsque les boeufs arrivaient à ce point, le gardien
avait à leur offrir un argument bien fort de conséquence
pour leur changer l'idée. Voilà ce qui attendait
ceux qui travaillaient avec des boeufs. Cependant, ces animaux
flegmatiques ont rendu d'énormes services et on est
forcé de se demander où trouvaient-ils l'endurance
pour s'exécuter si longtemps dans la chaleur et sous
ce collier ingrat.
C'est en 1908 qu'on établit le premier bureau de
poste à un mille et demi à l'ouest et un demi
mille au sud du centre actuel du village. Philorome Ouellette
devint le maître de poste du bureau de Saint-Louis
de Moose Lake. Mais bientôt, le ministre des Postes
découvrit qu'un autre bureau de poste dans la province
portait le nom de Moose Lake et demanda que le nom soit
changé. On pensa au nom du premier prêtre résident,
récemment arrivé dans l'endroit: c'était
le révérend père Francis Bonny. C'est
donc avec son nom qu'on forma celui de BONNYVILLE. C'est
ainsi que commença le pionnier : il vint, il jeta
un coup d'oeil sur le pays puis il prit sa hache et, face
à la forêt, il y tailla le nom de Bonnyville.
|