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Portraits de Joseph Brant par William Berczy
par Gloria Lesser*
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*Cet article est l'adaptation d'un mémoire de maîtrise présenté
en mars 1983 au Département d'histoire de l'art de l'Université
Concordia, à Montréal. Je désire remercier les personnes
qui m'ont aidé dans mes recherches initiales, François-Marc
Gagnon, Conrad Graham, Sandra Paikowsky et Laurier Lacroix.
Joseph Brant (1742-1807) se rendit célèbre en tant que chef agnier,
guerrier et homme politique indien loyaliste. On fit son portrait en de
nombreuses occasions, particulièrement entre les années 1776
et 1807. Ces portraits, qui firent l'objet de peintures, de miniatures,
de dessins ou de gravures, furent exécutés par de grands
portraitistes anglais, comme George Romney, américains, comme Gilbert
Stuart, Charles Willson Peale et Ezra Ames, et par un artiste allemand
qui était venu s'établir dans la colonie britannique du Haut-Canada,
William Berczy. (1) Les portraits de Joseph Brant sont connus parce qu'ils
ont été repris sous forme de gravures ou de reproductions jusqu'à aujourd'hui. Cet article traite particulièrement
des portraits de Joseph Brant exécutés par William Berczy
(1749-1813).
On avait déjà figuré des Indiens
avant que n'apparaissent les portraits de Joseph Brant au XVIe et au XVIIe
siècles, époque que je qualifie de préeuropéenne,
correspondant à l'arrivée des premiers Européens venus
explorer le Nouveau Monde. Ces derniers étaient des navigateurs,
des soldats, des cartographes, des explorateurs, des dessinateurs et des
ecclésiastiques, aventuriers et non artistes. Ils dressèrent
des cartes, représentant surtout le tracé des côtes
ou indiquant l'emplacement ou le plan d'un fort. Dans leurs tentatives
de délimiter le territoire indien, ils dressèrent des cartes
qu'ils accompagnaient parfois de descriptions d'Indiens. Ils décrivaient
les Indiens en fonction de leurs propres préjugés européens
qui trouvaient leurs racines dans les notions philosophiques et religieuses
de l'époque.
À partir du XVIIIe siècle, les artistes
qui tentèrent de comprendre la culture indienne percevaient généralement
les Indiens comme des personnages bizarres et exotiques appartenant à
une collectivité extraordinaire. Au cours de la seconde moitié
du XVIIIe siècle, suivant les théories les plus répandues
du siècle des lumières, doctrine de la raison et de la nature,
les artistes européens essayèrent, mais en vain, de découvrir
les principes conventionnels sous-jacents à l'art. Dès 1670,
John Dryden avait utilisé le terme « bon sauvage » dans La Conquête de Grenade,
mais cette notion finit par être
associée avant tout à la France, où Rousseau la popularisa
dans ses écrits. L'idée que se faisait Jean-Jacques Rousseau,
philosophe politique du XVIIIe siècle, de l'homme naturellement
bon non corrompu par la civilisation constituait une vision romantique
qui ne tarda pas à s'élargir de façon à s'appliquer
au « bon sauvage » qu'était l'Amérindien. (2)
Pour les artistes européens du XVIIIe siècle,
ces idées se manifestèrent parfois sous la forme du maniérisme
décoratif d'un style connu sous le nom de rococo, style appliqué
à la peinture figurative représentant des Européens ainsi que des Indiens.
L'une des manifestations de ces images mentales fut l'Indien imaginaire,
symbole courant du continent américain, représentant métaphoriquement
les coins exotiques du monde. Il était rendu d'une manière
naturaliste, en pied sur un fond de paysage champêtre imprécis
et dans une pose désinvolte, mais artificiellement conventionnelle,
comme dans les portraits d'aristocrates. Ces représentations d'Indiens
ornaient habituellement des objets décoratifs comme les pendules
Boulle, les porcelaines de Sèvres et de Meissen, les tapisseries
des Gobelins, les toiles de Jouy, les papiers peints panoramiques ou les cotonnades imprimées à la
planche. (3)
Le portrait fut la forme d'art la plus pratiquée dans
les colonies américaines avant la guerre de l'Indépendance,
mais seulement quelques portraits d'Indiens furent produits entre 1675
et 1775.
« Les Indiens, tout comme les membres des classes les moins
favorisées, n'avaient pas les moyens de commander des oeuvres aux
peintres dont la subsistance dépendait des commandes de portraits. »
(4) Les rares tableaux d'Indiens exécutés durant le XVIIIe
siècle représentent habituellement un petit groupe de chefs
de tribus ayant pris part à des événements historiques,
notamment les Quatre rois indiens dont nous reparlerons. L'intérêt
manifesté pour le chef d'une tribu témoigne de la tendance
des Européens, à ce moment-là, à classer les
gens suivant un ordre hiérarchique en fonction de la classe et du
rang social de ces derniers. Vouloir hiérarchiser la société
indienne constitue un parti pris en opposition avec la culture autochtone,
surtout parce que l'autorité n'y constitue pas une fonction permanente.
(5)
En 1710, quatre chefs indiens, Etow Oh Koam (fig. 1),
Sa Ga Yeath Qua Pieth Tow (grand-père de Joseph Brant) (fig. 2),
Ho Nee Yeath Taw No Ro (fig. 3) et Tee Yee Neen Ho Ga Ro (fig. 4) furent
emmenés à Londres, où leur passage fut très
célébré, afin de faire valoir la nécessité
de mieux protéger les treize colonies contre les Français.
À cette occasion, ils furent reçus par la reine Anne. Les
usages dont témoignent les attitudes, les poses, les détails
et les costumes traditionnels représentés dans les portraits
des Quatre rois indiens (1710, Archives publiques du Canada, Division
de l'iconographie) qu'elle commanda à John Verelst (1648?-1734)
avaient déjà été évoqués dès
1564 dans les aquarelles représentant des Indiens hauts en couleur,
réalisées par le Français Jacques le Moyne de Morgues
(décédé en 1588) (6) et dans les gravures de chefs brésiliens
exécutées en 1584 par le franciscain André Thévet
(1502-1590), voyageur et historiographe-cartographe à la cour de
France; il avait séjourné plusieurs mois au Brésil
et publié à son retour ses relations de voyage. (7)
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