Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 6, 1982-1983

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Portraits de Joseph Brant par William Berczy

par Gloria Lesser


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L'archétype du bon sauvage égale l'homme « à l'état de nature », appliqué à l'Indien d'avant l'arrivée des Blancs, s'élargit petit à petit jusqu'à comprendre des objets européens comme les vêtements et les armes que les Indiens adoptèrent de plus en plus à compter du début du XVIIIe siècle. Cette association d'objets d'origine indienne et anglaise dans des tableaux come les Quatre rois indiens témoigne de l'acculturation des Indiens consécutive au contact entre les deux peuples. On peut trouver des documents relatifs aux éléments destructeurs qui allaient finalement porter le coup de grâce à la culture indienne. La flasque pour l'eau de vie et le ceinturon, ainsi que le fusil à pierre en usage dans l'armée britannique vers 1710, acquis grâce au troc, et à la mode à l'époque, furent portés avec fierté. Dans les portraits, les articles de troc représentés sont des armes; on y voit aussi le manteau simple écarlate et sobre dont la reine Anne avait fait cadeau à chaque chef indien pour la séance de pose. L'orfèvrerie commémorative ne fit l'objet d'un troc intense que de 1760 à 1821 environ. (8)

Les portraits commandés à l'époque et antérieurement reflètent la manière dont le modèle voulait se voir représenté et, dans le style de son oeuvre, les Quatre rois indiens, le peintre a respecté les désirs des personnages. Ces portraits sont caractéristiques des portraits réalistes anglo-hollandais, (9) mais leur style a été modifié par des rajouts d'éléments baroques, comme ceux imposés à la cour de Grande-Bretagne par sir Peter Lely (1618-1680) et Sir Godfrey Kneller (1646-1723) à la manière de sir Anthony van Dyck (1599-1641). Les portraits anglo-hollandais typiques semblent plutôt primitifs. Les traits du visage sont nettement marqués, des rehauts font ressortir les pommettes et concourent à modeler les épaules, les mains et les vêtements. Malgré les grands contrastes de valeurs, les personnages demeurent rigides, sculpturaux et nettement linéaires.

Cette représentation froide et maniérée rappelle les portraits réalisés par les peintres hollandais des rives de l'Hudson, en amont de New York. Une « manière américaine » est apparue au XVIIIe siècle, qui transparaît dans les poses des personnages reprises d'un tableau à l'autre. Le mezzo-tinto influença tout autant les artistes nord-américains qu'européens. Au XVIIIe siècle, les artistes du Nouveau Monde s'inspiraient de la manière anglaise pour représenter les dignitaires autochtones qui posaient pour eux. Les artistes européens et américains se servaient toujours de documents européens pour réaliser le portrait d'Américains ou d'Indiens. Les artistes américains ne voyaient pas encore d'un oeil neuf leurs propres paysages et leurs modèles, étant donné que la plupart d'entre eux se considéraient comme des Européens demeurant en Amérique, ce qui était le cas.

À compter du XVIIIe siècle, les Européens multiplièrent régulièrement leurs contacts avec les Indiens. Les portraits de Joseph Brant datent de l'époque où ces rapports étaient les plus nombreux (au dernier quart du XVIIIe). L'intérêt manifesté pour ses portraits à partir de 1776 reflète la volonté des artistes d'illustrer, grâce à l'Indien, un nouveau thème: la naissance du pays. L'Indien incarnait les nouveaux mythes visuels dont les artistes américains avaient besoin pour faire miroiter les attraits de ce nouveau pays. Durant cette période, on peut dire que le portrait anglais s'était, grâce au portrait d'Indiens, enrichi d'un nouveau genre.

Ce fut au cours de l'époque de l'acculturation (à partir du début du XIXe siècle) que William Berczy réalisa des portraits de Joseph Brant, inspirés du style néoclassique. L'Indépendance des États-Unis et la colonisation du Canada modifièrent la situation politique. La nouvelle conjoncture n'était pas sans rappeler les sociétés démocratiques grecque et romaine. Les artistes imitaient délibérément la forme et le fonds de l'art antique donnant aux moeurs anciennes un contexte moderne. En même temps, l'Indien, race en voie de disparition, s'éteignait, victime du repeuplement et de l'assimilation qui, inévitablement, gagnaient du terrain.

Biographie de Joseph Brant

Pour comprendre la vie de Joseph Brant (également appelé Thayendanegea), (10) il importe d'étudier son milieu et l'histoire de son peuple.

L'histoire des Iroquois pendant et après la guerre de l'Indépendance s'inscrit presque entièrement dans la vie de Joseph Brant, Agnier appartenant à la Ligue des Iroquois. À l'arrivée des explorateurs français au XVIe siècle, les Iroquois étaient organisés en une Ligue de cinq tribus établies dans les régions centrale et occidentale actuelles de l'état de New York. On sait peu de choses de l'histoire des Iroquois et de l'organisation des tribus dans la Ligue pendant les années précédant la fin du XVIe siècle. Les tribus étaient, de l'est à l'ouest, les Agniers, les Onéidas, les Onontaqués, les Goyoguins et les Tsonnontouans, auxquelles vinrent s'ajouter vers 1720 les Tuscaroras, venus du sud pour s'établir dans le nord, à proximité des Onéidas. De plus, des populations mixtes rassemblant des éléments de ces tribus, les Mingos, ainsi que d'autres groupes de souche algonquine s'étaient établis le long du cours supérieur du Susquehanna et plus en aval jusqu'en Pennsylvanie et en Ohio oriental.

Établis au sud du Saint-Laurent entre les routes de l'Ouest et entre les établissements français et anglais, les Iroquois étaient soumis à des pressions impérialistes venant du nord et du sud. Les guerres entre la France et l'Angleterre influèrent sur les Iroquois, poussant peu à peu les tribus de l'Est dans le camp anglais et celles de l'Ouest vers les Français ou vers la neutralité.

Pendant de nombreuses années, le troc avait constitué le principal lien entre les Iroquois et les Anglais, mais à partir du XVIIIe siècle, les contacts devinrent plus nombreux et plus diversifiés. Le désir des Anglais de faire des Iroquois leurs alliés et leurs clients se traduisit par des traités, des présents, par la construction de forts, ainsi que par une tentative d'anglicisation, éléments qui jouèrent un rôle très important dans la vie de Brant. Au milieu du XVIIIe siècle, les Agniers s'étaient convertis au christianisme, au moins nominalement, au terme d'un processus engagé en 1704 grâce aux efforts de l'Incorporated Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts.

Durant l'enfance de Brant, les Iroquois étaient répartis en trois établissements situés dans la vallée de la Mohawk. En tout, ils étaient quelque deux mille, dont la moitié appartenait à la tribu des Sénécas et environ cent soixante à celle des Agniers.

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