Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 6, 1982-1983

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Portraits de Joseph Brant par William Berczy

par Gloria Lesser


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L
es rapports de William Berczy avec le premier peintre du roi George III et de la reine Charlotte, Johann Zoffany (1735-1810), compatriote expatrié d'origine allemande également rencontré à Londres et avec qui il s'était lié d'amitié, permettent de supposer que l'artiste s'est inspiré du style du peintre, ce qui semble être le cas dans le portrait en pied appartenant à la Galerie nationale du Canada.

Les éléments théâtraux de cette dernière version rappellent les portraits de l'acteur comique Isaac Bickerstaffe peints par Zoffany, propriété du Garrick Club de londres. (22)
Les scènes d'intérieur, représentant un groupe animé de personnages avec en arrière-plan la maison ou le terrain du propriétaire, sont les oeuvres les plus caractéristiques exécutées par Zoffany à Londres. le chef-d'oeuvre de Berczy, intitulé La famille Woolsey (Galerie nationale du Canada), tableau de genre que l'artiste commença peu après son arrivée au Canada et termina en 1809, participait de ce genre conventionnel très prisé en Angleterre.

Dans le Portrait de Joseph Brant, le vaste arrière-plan représentant les terres concédées le long de la Grande Rivière aux Indiens des Six Nations, grâce à Brant, symbolise le rang du personnage. Toutefois, la notion de rang demeurait un concept purement européen. Et puisqu'il n'y avait pas de classes sociales chez les Indiens, tout homme pouvait devenir chef militaire, chef civil ou sachem pourvu qu'il appartienne à l'une des cinquante familles matrilinéaires où cette fonction était héréditaire. C'est ainsi que Joseph Brant était devenu chef civil et militaire de par la coutume de sa société. Cependant, à l'époque de Brant, l'Indien avait sans aucun doute adopté le concept du rang social, apporté par l'homme blanc.

Brant fut emporté par le tourbillon de la vie mondaine de la colonie. Son hôtesse, Mme John Graves Simcoe, épouse du lieutenant-gouverneur, qui remarqua ses manières « civilisées », décrivait ainsi ses impressions après l'avoir reçu à dîner:
Il a l'air habile et rusé. Il portait un habit anglais et avait jeté sur ses épaules une belle couverture cramoisie bordée de noir et ornée d'une frange dorée. Il portait aussi un bonnet de fourrure. Il avait autour du cou un collier de glycérie tressée. C'est une plante qui conserve toujours sa bonne odeur. Les Indiens en raffolent. (23)
L'importance que Berczy a accordée au paysage révèle chez le peintre un intérêt pour la nature, ou simplement le respect d'une coutume répandue à la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe siècle. Toutefois, il est curieux de remarquer l'immensité des terres étant donné qu'à l'époque où le tableau a été réalisé, le territoire de la réserve avait déjà été de beaucoup diminué. La majesté et la raideur du maintien sont typiques du portrait de l'époque de la Rome antique et sont l'écho des modèles classiques dont Berczy s'inspira.

Ce petit portrait en pied permet de constater que Berczy maîtrisait son art dès son arrivée au Canada. Le prix très élevé de la toile, la difficulté de s'en procurer une plus grande ou la rareté des occasions pour l'artiste d'exercer son art expliquent probablement les dimensions réduites du tableau. De plus, la formation de miniaturiste de Berczy est un facteur qui pourrait entrer en ligne de compte.

Dans ce tableau, Brant tend le bras droit vers le territoire destiné à son peuple et tient de la main gauche un fusil à pierre muni d'un long canon. Il porte en bandoulière une écharpe et un cornet à poudre de bois et de corne. Avant l'arrivée de l'homme blanc, les Indiens fabriquaient leurs écharpes en poils d'animaux ou en fibres végétales naturelles tirées de l'ortie ou du tilleul. On remarque, sous l'écharpe, un étui à balles en peau. Les étuis avaient de multiples usages. Découpés dans un seul morceau de peau tannée et fumée, ils étaient souvent ornés de crin d'orignal et d'appliques de piquants de porc-épic cousus au moyen d'un tendon. Une frange de lanières de peau ornait les bords. Dans ces jolies petites enveloppes on mettait des médicaments, du tabac ou d'autres articles personnels, les jambières n'ayant pas de poches. Par ailleurs, le modèle porte sur une chemise de toile blanche de style européen, une couveture de laine drapée à la manière d'une toge antique. Au contact des Européens, la mode vestimentaire des Indiens s'était transformée et la laine et le coton avaient supplanté la fourrure et le cuir. Cette fourrure, dont l'Indien ne se servait plus pour s'habiller, apparut sur les marchés européens. Un bracelet d'argent encercle le bras droit de Brant. Les bracelets de bras et de jambe, ornements courants, étaient constitués de minces bandes d'argent de différentes largeurs dont on perçait les extrémités de trous pour fixer les attaches, ce qui permettait d'ajuster les pièces. Les Indiens portaient ces bracelets seuls ou par deux au milieu du bras.

Les mocassins à semelle souple de fabrication indienne étaient adaptés à la marche en forêt et aux expéditions en canot. La semelle et les côtés étaient taillés dans une seule pièce de peau et assemblés au moyen d'une couture montant sur le contrefort; l'empeigne et les revers étaient ornés d'appliques de piquants de porc-épic. Sur ses jambières de daim bleues descendant jusqu'aux chevilles et décorées de bandes aux motifs perlés, Brant porte de splendides bracelets ornés de motifs perlés ou de piquants de porc-épic. Il a au cou une médaille repoussée commémorant le traité signé avec George III. Les médailles étaient le cadeau que recevaient le plus souvent les Indiens amis aux termes d'un traité ou d'une alliance militaire. Elles constituèrent aussi les premières pièces de l'orfèvrerie de traite. En fait, elles n'avaient qu'une valeur symbolique et ne correspondaient à aucune décoration accordée dans l'armée britannique. L'artiste a également peint le chien de Brant, la tête tournée vers son maître, en arrêt auprès de lui. Derrière eux s'étend la Grande Rivière, la nouvelle patrie que Brant surplombe. Berczy a rendu de façon très nette le personnage ainsi que le feuillage, mais a laissé flous les nuages et la rivière. Les plis amples de la couverture et de la chemise sont bien maîtrisés.

On retrouve la même pose d'empereur romain par laquelle l'artiste fait de Joseph Brant un héros dans le Portrait de l'amiral Horatio Nelson, datant de 1805 (collection de la Compagnie de la baie d'Hudson, Winnipeg), qui constitue un prototype de l'oeuvre que l'on vient d'analyser. Berczy a choisi pour sa composition une pose familière héritée des sculptures-portraits des chefs politiques romains comme celle du présumé Pompée (fin 1er ou début IIe siècle, Galleria Spada, Rome). Les peintres anglais réputés du XVIIIe siècle ont enrichi le sens rattaché au bras levé avec la main qui appelle les regards et on retrouve souvent de tels gestes parmi les oeuvres des artistes européens du tout début du XIXe siècle. C'est dans cette tradition que Berczy plante son modèle, avec la froide objectivité caractéristique du néoclassicisme.

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