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Les commerces
Les collecteurs
par J.A. Couture
Vers la fin de la « Grande Dépression »,
en automne, mon patron, M. Joseph Dubuc, propriétaire
d'un magasin général, était très
inquiet de certains comptes recevables en souffrance qu'il
désespérait de pouvoir collecter. Désireux
d'en percevoir le plus possible, il nous envoya, M. Oscar
Audette et moi, faire une tournée en campagne vers
ses clients dont les comptes restaient impayés. Il
mit son automobile à notre disposition. M. Audette
avait été mis en charge des conditions de
paiements et moi de m'occuper des argents reçus.
J'étais aussi au volant de la voiture.
Les fermiers, en général, étaient financièrement dans la gêne et possédaient très peu de bétail. Où que nous allions, cependant, nous étions reçus cordialement. Malgré leur extrême pauvreté les gens étaient joyeux et, en somme, désireux de s'acquitter de leurs dettes: en espèce, si possible, mais aussi en volailles, oeufs et autres produits de la ferme. Chez une famille où il y avait plusieurs petits enfants, le dénuement était tellement en évidence que cela faisait mal au coeur. Dans la maison, les petits jouaient sur la terre, car il n'y avait de plancher que dans la cuisine. Notre première impulsion en voyant cela était de filer outre sans mentionner le but de notre visite mais, par justice envers notre patron, il nous fallait en parler. Il fut convenu d'accepter deux dindons pour solder le compte.
Comme collecteurs, nous n'étions pas impitoyables. Nous ne prenions le paiement des comptes que si le client voulait s'en acquitter, ce qui était toujours le cas. Quoique cette tâche nous déplut considérablement, certains incidents ne manquaient pas d'humour. Un jour, par exemple, en roulant vers un certain client qui ne devait qu'une somme modeste, nous décidâmes de traverser, en guise de raccourci, un petit marais qui se trouvait non loin de la ferme du client. Le marais semblait être assez gelé pour supporter notre véhicule, car les traces de traîneau étaient visibles. A peine étions-nous avancés de quelques verges seulement que nous nous embourbâmes dans un mélange de boue et de glace trop faible pour tenir bon. Pas moyen de faire ni marche avant ni marche arrière. Nous étions totalement immobilisés. Que faire ? Une solution, cependant la seule, marcher chez notre « victime » pour lui demander secours. Il n'hésita pas un seul moment. Il vint avec ses chevaux et son « bobsleigh » et nous sortit de notre impasse. Nous le suivîmes, sur le chemin cette fois, jusque chez lui où sa femme nous servit un café et des biscuits fraîchement cuits. Après lui avoir expliqué l'objet de notre visite, je fus heureux de lui faire un récépissé du plein montant de sa dette en reconnaissance de sa bonne action. Nous en avons beaucoup ri. Encore aujourd'hui, après toutes les années qui se sont écoulées depuis, quand je rencontre ce monsieur, il a pour moi un sourire aux lèvres qui me dit incontestablement : « je me souviens ! »
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