Encyclopif, le journal de la
vie
«Vaisseaux-fantômes»
Légendes et réalités
Dans ses colères, la mer peut déchaîner
d'incroyables forces. Elle prélève alors son
tribut de navires. Mais tous ne sont pas engloutis : certains
repartent à la dérive, sans équipage,
pour hanter, aveugles, les latitudes. Errants ou revenants,
épaves ou « derelicts »*, c'est l'escadre,
grossie de siècle en siècle, des « vaisseaux-fantômes
».
Car dans l'immensité des océans,
on peut apparaître et disparaître. La mer couvre
plus des trois cinquièmes du globe et les marins ne
s'écartent guère de quelques routes connues
et sûres, toujours identiques.
Même aujourd'hui, malgré tous
les progrès de la navigation, l'inconnu, l'aventure,
le risque et trop souvent le drame, restent à l'horizon
des marins. Aussi, de port en port courent encore d'étranges
histoires de navires, imaginaires ou vraies, expliquées
ou non. En voici quelques-unes :
Spectre surgi des brumes, silencieux, voiles
noires et coque phosphorescente, voici le « Hollandais
Volant », le légendaire navire qui commande à
toute: l'escadre des vaisseaux-fantômes.
Il est l'enfer promis aux marins qui ne respectent
pas les lois de l'Océan. Le « Hollandais Volant
», n'est qu'une légende, née aux temps
de la peur des pirates. Mais les vaisseaux-fantômes
ne sont pas tous purement imaginaires.
Malborough s'en va en mer
C'est en 1913, au large des côtes chiliennes, qu'un
vapeur anglais croise le « Malborough ». L'équipage
du vapeur s'étonne; le grand voilier dérive
bizarrement. On s'approche. Stupeur : le bateau ivre est entièrement
vert. Les mâts, les voiles, les cordages, la coque;
tout est dévoré d'une moisissure verdâtre.
On décide d'aborder. On manque passer à travers
le pont, tant il est pourri. Mais tous les membres de l'équipage
du « Malborough » sont à leurs postes.
Ou plutôt ce qu'il reste d'eux : des squelettes en haillons.
Le « Malborough » avait disparu
vingt-cinq ans plus tôt. Que s'était-il passé
à bord? Où avait-il erré pendant ce quart
de siècle?
Écrins de glace
En 1775, un baleinier groenlandais découvre un immense
voilier blanc qui brille au soleil. Oui, « l'Octavius
» est recouvert de glace! Son pont est désert.
Navire abandonné? En fait, vingt-sept corps sans vie
gisent sur les couchettes du gaillard d'avant. Le capitaine
est retrouvé assis à sa table, la plume à
la main. Au moins sait-on, grâce au journal de bord,
ce qui dut causer la perte de « l'Octavius » :
la glace.
Les cas de navires victimes des glaces polaires
sont nombreux. D'ordinaire, l'eau en gelant brise la coque
du bateau, dont il reste alors peu de traces. Mais il arrive
aussi que la glace le conserve. Ainsi, « l'Erébus
» et le « Terror ». En 1851, un petit brick
quitte l'Irlande pour le Québec. Brusquement, une tempête
éclate. Chose extraordinaire, le brick se retrouve
en quelques heures encerclé d'énormes icebergs.
Panique. On évite une fois, deux fois..., dix fois
le choc fatal. Et tout à coup, c'est l'hallucinant
spectacle : insérés dans le sommet d'une de
ces montagnes de glace apparaissent deux voiliers, côte
à côte. Ce n'est pas un rêve; dans leur
écrin de cristal, les deux navires défilent
plusieurs minutes devant l'équipage effaré...
« Mauvais Oeil »
Nous sommes en pleine Première guerre mondiale. L'U.B.
65 est un sous-marin allemand qui, dit-on, « porte le
mauvais oeil ». À peine sa construction commencée,
les accidents se multiplient; des ouvriers sont écrasés
sous des poutres, d'autres asphyxiés par des gaz toxiques.
Première sortie en mer, un marin se suicide. Seconde
sortie : les commandes se détraquent et le sous-marin
reste douze heures bloqué au fond de la mer. Première
croisière : une torpille explose à bord. Bilan:
six tués. Ce n'est pas tout! Bientôt, les fantômes
s'en mêlent... La fin de l'histoire? En 1918, un sous-marin
américain repère l'U.B. 65, immobile en surface.
Il s'apprête à envoyer une torpille quand l'U.B.
65 explose et coule. L'enquête ouverte après
guerre n'expliquera rien.
Poudre d'escampette
En revanche, certains mystères finissent par s'éclaircir.
Comme l'histoire de la « Mary-Céleste »,
ce petit voilier retrouvé abandonné en pleine
mer, au large de Gibraltar. C'est un écrivain anglais
qui, longtemps après, découvrit le pot-aux-roses.
La solution de l'énigme? Une bagarre violente éclate
sur le voilier: deux hommes passent par-dessus bord, dont
le capitaine. Les coupables redoutent le cachot ou pire. Plutôt
que de se livrer dans un port, ils choisissent de prendre
la poudre d'escampette et d'abandonner le navire.
Gare au pédalo!
Il faudrait encore citer les cas du « Bay-Chino »
et du « Sao Paulo », du « Santa Marina »
et de la « Rescue », et combien d'autres... À
la fin du XIXe siècle, les « derelicts »
commencent à pulluler. Entre 1891 et 1893, on en recense
officiellement mille six cent vingt-huit. En 1912, on estime
que le nombre augmente de deux cents par an. Du coup, il ne
s'agit plus seulement d'histoires à donner le frisson.
Les naufragés deviennent des naufrageurs et la multiplication
des épaves errantes finit par constituer un redoutable
danger pour la navigation.
Quelques années avant la Première
Guerre mondiale, des mesures sont enfin prises. Le sabordage
de leurs navires par les équipages naufragés
devient une règle. L'Amirauté américaine
met en service le premier navire « chasseur d'épaves
», le « Sénéca », spécialement
équipé pour le repérage, le remorquage
ou la destruction des «vaisseaux-fantômes».
Mais la guerre interrompt ces efforts.
Aujourd'hui, on continue d'établir
des cartes qui portent les dernières positions connues
des «derelicts» et leurs dérives prévisibles.
Une convention internationale confie aux U.S.A. la charge
de les détruire. Chaque année, la marine américaine
en anéantit une centaine. Pourtant, malgré le
progrès de la navigation, l'armada des spectres de
la mer continue de recruter.
Alors, un bon conseil : si cet été
tu fais de Ia voile ou du pédalo, ne t'aventure pas
trop loin en mer. Tu risquerais d'être entraîné
dans le sillage de quelque vaisseau-fantôme...
*Derelicts : nom d'origine anglaise donné
à toutes les épaves errantes de navires abandonnés
par leur équipage.
Université de Moncton, Centre d'études
acadiennes, Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.008
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