L'Acayen, Caraquet, NB, vol.2,
no.1, février 1993
Bateau-fantôme
J'ai vu moi aussi le bateau-fantôme.
L'air était doux cette nuit-là, la mer sans
mouvement. Une dérive imperceptible me portait vers
le sud-est. Je n'arrivais pas à dormir. Le ciel était
chargé et mon fanal-tempête jetait une lueur
courte, enveloppée. Mon bateau et moi et notre petite
lumière jaune tirons doucement par douze filets tendus
sur la mer noire. Vers minuit, je me soulevai de moitié
pour inspecter à la torche la disposition de mes filets.
Ce que j'aperçus alors me remplit d'étonnement.
À une distance d'environ trois cents verges, légèrement
à bâbord, une masse incandescente se posait délicatement
sur l'eau, dans le silence le plus absolu. Cela pouvait avoir
cinquante pieds de long, était de forme ovale et jetait
des lueurs jaunes et bleues de grande intensité. À
peine posé, l'objet se mit à glisser à
la surface, sans hâte, toujours silencieux, vers l'ouest.
Sa course fut brève. Légère et discrète,
la forme s'éleva dans la nuit, accéléra
et s'enfuit à une vitesse fulgurante vers le large
golfe endormi. Je restai de longues minutes figé, toutes
mes forces retenues. Cette nuit fut sans sommeil. Jusqu'au
matin, je veillai. Plus rien ne parut. La noirceur s'etait
refermée pour toujours sur mon bateau-fantôme.
J'ai beaucoup pensé depuis
à l'événement de cette nuit-là
et suis resté attentif aux rumeurs de la Baie. D'autres
pêcheurs, côtiers et hauturiers, m'ont dit avoir
aperçu certaine nuit la silhouette lumineuse. Le phénomène
n'est bien sûr pas nouveau et si les descriptions varient,
on y peut déceler par ailleurs des éléments
communs qui autorisent à penser que la légende
s'est une fois de plus mise les pieds dans les plats de la
réalité. Ainsi, plusieurs témoignages
rendent compte d'une masse de lumière de forme sphérique
qui ressemblerait, lorsque posée sur la mer, à
une demi-lune ventre en l'air. On a parlé de sa mobilité,
de ses fonds fulgurants, des angles raides, qu'elIe découpe
dans l'espace, en dehors de toute contrainte.
Ajoutons à ces expériences
I'apparition, dans le ciel de la région, en plein jour,
de plusieurs objets volants non identifiés (OVNI).
Et tout cela rejoint sans l'ombre d'un doute les documents
innombrables qui relatent à travers le monde des faits
de même nature et tout aussi mystérieux. Rendons-nous
à l'évidence. Notre région est soumise
depuis au moins deux générations à une
observation systématique, peut-être même
déjà à une exploitation dont il faut
chercher l'origine dans un autre monde que le nôtre.
Brutalement, la vérité me paraît être
celle-ci : il n'y a pas un bateau-fantôme, notre bateau-fantôme,
mais I'intervention mystérieuse parmi nous d'une conscience
extraterrestre dont les projets, n'en doutons pas, nous seront
devoilés un jour. Il nous est permis néanmoins
d'émettre quelques hypothèses. J'en retiens
trois :
1. Un vaisseau spatial se serait posé
quelque part sur notre Baie, vers le troisième quart
du dernier siècle. Par hasard sans doute ou pour
des raisons techniques. Son équipage, pour la durée
de son séjour sur la terre, se serait trouvé
dans l'obligation de manger de nos succulents poissons et
crustacés. Il aurait ainsi contracté une habitude
si tenace qu'il l'aurait transmise à la population
de son astre natal. Ce qui expliquerait les apparitions
périodiques de ces mystérieux vaisseaux dans
la nuit de notre Baie. Ceux-ci se livreraient à une
pêche illégale contre laquelle aucune mesure
sérieuse n'a encore été prise par nos
gouvernements. La rareté de certaines espèces
serait directement reliée à cette contrebande.
2. Les équipages de ces vaisseaux
sont peut-être les envoyés d'une civilisation
extraterrestre menacée d'extinction qui songerait
à s'assimiler aux populations de notre planète.
Leur mission serait d'étudier sur place, dans une
région qui s'y prête à merveille, les
mécanismes d'assimilation les plus efficaces.
3. En cas d'intégration et vu les
difficultés envisagées, ces êtres mystérieux
auraient choisi de mettre toutes les chances de leur côté
en s'installant dans un coin de la terre où ils pourraient
le plus facilement bénéficier des allocations
au titre du bien-être social.
Michel Roy
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