Le Vaisseau Fantôme
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Vaisseau-fantôme et bateau-de-feu
Marie-Claude Roy et Mireille Trudelle

«Le rôle social de la légende est de jeter un pont entre le passé et le présent. Il est aussi de donner libre cours à l'imagination, à la fantaisie, au renouveau, même à la souffrance, à la joie, à l'au-delà.» Marius Barbeau

À travers un corpus choisi, nous essaierons de comparer différentes versions de la légende du vaisseau-fantôme et d'en faire ressortir les éléments distinctifs. Le bateau-fantôme est assez méconnu dans l'ensemble des légendes du Canada français. Ses manifestations se sont produites le plus souvent dans le Bas St-Laurent, en Gaspésie et au Nouveau-Brunswick.

Notre échantillonnage de textes s'est voulu assez global. Au sujet principal, le bateau-fantôme, nous avons ajouté celui de bateau de feu ou feu du mauvais temps, à cause de l'étroite corrélation entre ces deux thèmes. En effet, tous ces feux sont des signes avant-coureurs de mauvaise température ou d'un mauvais sort infligé à des êtres dont la vie fut mouvementée et ténébreuse.

Une certaine homogénéité existe quant aux lieux de provenance des versions; la plupart sont du Nouveau-Brunswick ou de la Gaspésie. La plupart des informateurs furent des témoins des phénomènes, fait très important pour l'authenticité de la légende si l'on considère que l'ampleur des détails est modifiée à chaque retransmission.

La plupart de nos récits remontent à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Généralement, ils proviennent d'une région côtière, où l'influence de la mer est grande.

Pour connaître la psychologie du narrateur et de ceux auxquels il s'adresse, il est essentiel de rétablir le contexte dans lequel se déroule la légende. Celle-ci est nécessairement localisée, elle est individualisée et elle est l'objet de fortes croyances de la part de la population. La légende est la transposition des peurs et des sentiments humains. De là découle sa fonction moraliste. Elle est le remède idéal pour apaiser le malaise provoqué par des phénomènes inexplicables et troublants. L'imagination joue un rôle primordial dans la structuration de la légende : de bouche à oreille, on amplifie le phénomène et la légende est formée.

En plus de six versions orales de la légende, nous avons aussi sélectionné un article du journal L'Opinion Publique (30 octobre 1878), intitulé « Les mystères du Golfe », concernant les lumières mystérieuses dans le Golfe du Saint-Laurent. Nous l'avons retenu parce qu'il abordait de façon différente le sujet et aussi parce qu'il présentait une vue extérieure du phénomène.

Dans notre échantillonnage, l'unité géographique, point très important, est respectée car les légendes font partie d'un mode de vie particulier, propre à un groupe ayant des comportements précis. Cette homogénéité de l'ensemble facilite la recherche du pourquoi de la légende.

Les manifestations se situent aux alentours de la Baie des Chaleurs. Nous nous retrouvons à Caraquet, à Bonaventure, à Tracadie, à Grande-Anse, à Jacquet River et à Nouvelle. Cette région est essentiellement côtière, aux récifs escarpés et aux horizons infinis. Existe-t-il un point d'observation mieux situé pour voir des bateaux-fantômes? Autour de la Baie des Chaleurs, la route longe la côte et le voyageur ou le promeneur emprunte nécessairement et fréquemment cette route. Là, il a amplement l'occasion d'observer la mer et ses diverses manifestations.

Nos récits datant tous de la période entre 1880 et 1920. C'est l'époque où la mécanisation se répandait à une grande vitesse et où apparaissait le bateau à vapeur. Pourtant les apparitions du vaisseau-fantôme représentent toujours un bateau à voile de deux ou trois mâts ou bien des boules de feu. Dans aucune des versions étudiées, il n'est question d'apparitions du genre d'embarcations que les habitants utilisaient quotidiennement (barque, goélette...). De plus, à cette époque, les gens étaient constamment plongés dans une noirceur complète et enveloppante la nuit et cette noirceur inspirait la peur, la crainte des événements inhabituels.

À cause de la lenteur des moyens de transport, de l'état primitif des routes et du climat rigoureux, il y avait peu de voyageurs dans la Baie des Chaleurs. Les journaux même étaient rares. Ainsi, les côtiers étaient assez isolés. Les nouvelles empruntaient donc la voie orale...

C'est à l'automne que se manifestaient les bateaux-fantômes. Cette période de transition, riche en changements atmosphériques, pouvait rendre les gens quelque peu craintifs. C'est le temps des tempêtes, le temps où la mer laisse libre cours à son humeur colérique.

Nous sommes dans un milieu maritime. Sur la côte on vit du produit de la pêche l'été et des travaux de chantiers l'hiver. Dans la vie des habitants, la mer est omniprésente, bienfaisante et changeante : omniprésente parce qu'elle fait partie du décor, les gens vivant constamment avec la mer. On sent sa présence, on entend ses vagues, sa respiration; bienfaisante parce qu'elle procure le pain quotidien et elle assure la survie. La mer est changeante, parfois calme, parfois très agitée et les habitants doivent se soumettre à ses moindres caprices. Souvent périssent ceux qui y désobéissent ou qui font fi de son humeur.

Comme la table et la sécurité dépendent de la mer, les côtiers essaient de prévoir son humeur en l'interrogeant, en l'observant, en cherchant les signes avant-coureurs susceptibles de les prévenir de ses prochains états. Tentant d'expliquer certains phénomènes, les gens devenaient parfois obsédés de crainte.

À cause du magnétisme de la mer, de son envoûtement, les côtiers désiraient obstinément percer ses mystères. De là, on en venait souvent à se créer des peurs, à amplifier les visions, en les enveloppant souvent de phantasmes.

« Une analyse attentive de l'expérience nous révèlerait qu'un phénomène banal : supercherie, coïncidence, hallucinations est souvent à la base de certaines convictions (légendes). » (1) Ces phantasmes découlent de visions inhabituelles qui sont souvent de simples faits constatés et racontés ensuite par plusieurs personnes sous forme de légendes.

Pour apaiser leurs troubles devant l'inexplicable et devant l'irrégularité de la mer, les gens lui inventaient une sorte de cycle ou les événements douteux avaient un rôle. On les insérait dans ce cycle en les apparentant à de mauvais comportements antérieurs et ils devenaient ainsi les prédictions de conditions maritimes dangereuses : « Par exemple, prépare-toi pour une tempête... »(2)

Pour chaque légende ou à peu près, les manifestations visuelles différent. On voyait : « Un bâtiment pis du monde qui montait dans les mâts partout. Un bâtiment de pirates »(3). « Un full rigged ship, pis c'était toute en feu... »(4). Un bâtiment « éclairé d'un bout à l'autre, quasiment en feu. »(5) « Un 'squarried ship' avec des voiles carrées dans les mâts de d'dans ». (6)

Le feu est un élément essentiel dans l'existence du phénomène. C'est un feu qui ne se consume pas, qui est éternel. Il représente le mal, la damnation, il renforce le sentiment d'épouvante des témoins, il aide à faire respecter la morale, il personnifie le pire des châtiments. L'opposition du feu et de l'eau accentue encore plus l'image terrible de la puissance du surnaturel.

Il est significatif que le modèle de bateau observé par les habitants datait toujours d'une époque antérieure. De plus, ces modèles avaient peu de ressemblance avec les barques de marins côtiers. Nous croyons que l'ancienneté des navires révèle un point important du pourquoi de cette légende. L'uniformité des types de navires n'est pas une simple coïncidence : ces bâtiments rappelaient le passé.

Quelquefois, l'apparition du bateau-fantôme est précédée ou accompagnée de bruits aussi insolites que l'apparition même du vaisseau. Dans la version de Mme Régina Bernard, « Bateau en feu », il est question de vents de 30 à 40 milles à l'heure alors que dans la version de M. Benoit Benoit, « Le bateau en feu», on entend des bruits de chaînes. Dans notre échantillonnage, les manifestations auditives sont liées à des êtres tourmentés.

« Ces phénomènes sonores ajoute un élément de plus aux visions de bateaux en feu. Réels ou imaginaires, ces bruits contribuent à donner à nos légendes plus de piquant et de vraisemblance. »(7)

Dans quatre versions les témoins sont des pêcheurs. Une fois, dans la version « Bateau en feu » (Collections S.M. Ste-Hélène), on parle même d'une flotte de quarante bateaux. Dans deux autres légendes, les témoins sont des habitants et des hommes qui travaillent au moulin.

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