Les feux de Saint-Elme
Il arrive, tantôt au cours d'une tempête,
tantôt après celle-ci, que des feux voltigent
sur les flots, que des aigrettes lumineuses se posent en tête
des mâts ou dans les hunes et y demeurent une demi-heure,
une heure même avant de disparaître ou qu'une
boule de feu, descendue de la pomme du mât parcoure
le navire en y jetant le plus grand désordre...
Les anciens ont constaté ce phénomène
: les écrits d'Homère, d'Horace, de Sénègre
et d'autres en témoignent. Parce que ces feux étaient
pour eux présages favorables, ils les appelaient Castor
et Pollux, ces dieux étant protecteurs des marins.
Mais s'agissait-il au contraire d'un feu unique, posé
sur la proue ou le beaupré, qu'ils nommaient Hélène
et voyaient là un présage défavorable.
Quant aux navigateurs du Moyen-Âge et de la Renaissance
qui rapportaient tout au Christ et à ses saints, il
donnaient à ces feux volants les appellations de Corps
Santo ou Saint-Elme, ce nom étant une corruption du
Saint Erasme, protecteur des marins mort en 303.
Mais souvent, ces feux se montraient en nombre.
En 1622, il arriva qu'après un gros temps toutes les
galères de Malte en furent illuminées. Ils sautaient
d'un mât à l'autre, salués trois fois
par le sifflement du rocher et les cris de tout l'équipage.
Ces phénomènes ont été
observés par quantité de navigateurs, tant sur
les océans qu'en Méditerranée.
Dans l'océan Atlantique, les marins
de Christophe Colomb ne manquèrent pas d'être
frappés par l'apparition de feux de ce genre et pareillement
ceux de Magellan, dont un compagnon, le chevalier Pigafetta,
écrit dans sa relation de voyage : « Dans les
temps orageux, nous vîmes souvent ce qu'on appelle le
Corps-Saint, c'est-à-dire Saint-Elme. »
...
À quelles causes les navigateurs des
temps anciens ont ils attribué ces phénomènes?
Le révérend père Fournier, qui tenait
beaucoup aux « exhalaisons visqueuses » émanant
selon lui de la mer, explique encore par elles les feux volants.
La multitude de ces feux arrive, « ou par la diversité
des pelotons d'exhalaisons ou bien parce qu'il y a plusieurs
nuées les unes sur les autres». Les dites «
exhalaisons » s'embraseraient facilement, d'abord parce
qu'elles seraient visqueuses et grasses, ensuite du fait de
l'agitation de l'orage, enfin par « la contrariété
d'un air froid qui les environne. » Certains, comme
Bodin, inclinent à la croyance générale
qu'il y a là un effet de magie ou de quelque sorcier,
ce pourquoi les matelots ont bien raison de poursuivre la
boule de feu à coups de pique.
Tiré de La mer
de V. Romanovsky aux éditions Librairie Larousse, p.
46-48, Collections «Les phénomènes Célestes».
Université de Moncton, Centre d'études
acadiennes, Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.008
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