Il y a quelques années, je commençais
des recherches sur la légende du vaisseau-fantôme,
en vue de la préparation d'une thèse de doctorat.
Les Archives de folklore de l'Université Laval possédaient
neuf versions de cette légende et moi, j'en connaissais
une.
C'était une anecdote qu'un vieillard
de Shédiac au Nouveau-Brunswick m'avait racontée.
Un bateau échoué sur la côte à
la Pointe-du-Chêne est transformé en salle de
danse et tout le mal qui s'y commet lui attire des malédictions.
Ce bateau-salle-de-danse brûle et, depuis, il apparaît
en feu dans la baie pour servir de leçon à tous
les pêcheurs des alentours. Je vous raconterai plus
tard une autre version qui explique la présence du
bateau-fantôme dans la Baie de Shédiac de façon
différente.
...
En général, les légendes
se classent en diverses catégories. Elles peuvent être
locales, maritimes, étiologiques, universelles. Une
légende que je connais bien appartient à ces
quatre groupes. C'est celle du vaisseau-fantôme qui
est d'abord bien localisée; le point de départ
de mon travail est le bateau-en-feu de la Baie des Chaleurs,
entre le Nouveau-Brunswick et la Gaspésie. C'est aussi
une légende maritime parce que le phénomène
en cause se produit sur la mer et que les gens qui vivent
à proximité de la mer sont les principaux détenteurs
de cette légende. Elle est étiologique puisqu'elle
tente d'expliquer un phénomène naturel, un feu
sur la mer, phénomène que la science n'a pas
encore expliqué. Enfin, elle est universelle dans l'espace
et dans le temps. Presque tous les pays du monde ont un vaisseau-fantôme
qui a toujours existé selon les informateurs.
Pour faire l'étude scientifique du
vaisseau-fantôme, j'ai recueilli plusieurs centaines
de versions de cette légende. J'ai bénéficié
de la collaboration d'éminents folkloristes tels que
monsieur Edward Ives qui était allé à
l'Île-du-Prince-Édouard faire une enquête
sur Larry Gorman.
...
Vous avez sans doute vu, au moins en image,
le vaisseau-fantôme de pierre le plus fantastique. Il
est associé à une belle histoire d'amour tragique
du XVIIe siècle. Blanche de Beaumont quitte Versailles
pour venir au Québec rejoindre son fiancé, Raymond
de Nérac. Après une traversée heureuse,
le navire pénètre dans le golfe Saint-Laurent
et rencontre un vaisseau de pirates. Ces derniers se débarrassent
de l'équipage, pillent le navire avant d'y mettre le
feu. Ils ont soin de garder, comme butin, la jeune Blanche
de Beaumont. Mais celle-ci, voyant le sort qui lui est réservé,
se jette à l'eau. Un vieil Acadien, qui rapporte la
légende dans son langage savoureux, mentionne les dernières
paroles de Blanche : « Vous nous fèsez pèrir,
vous pèrirez vous aut mêmes! »
Et, pendant le violent orage qui suit, le
narive des pirates est pétrifié par la foudre.
Un éclair le fend et c'est le rocher Percé qui
a conservé encore vaguement la forme d'un navire.
Il va de soi que les bateaux-fantômes
de bois sont légion. Au Cap d'Espoir, en Gaspésie,
on conserve une épave vermoulue datant de plus de 200
ans. C'est un vestige de la flotte de Walker qui vient périodiquement
refaire la tragédie de 1711 alors qu'elle se brisait
sur l'Ile-aux-Oeufs.
Parmi les vaisseaux de fer, on compte le Titanic
qui se montre à l'anniversaire de son naufrage. Il
y a aussi le Chicora qui apparaît sur le lac Michigan
pour annoncer une tempête.
Mais c'est surtout le bateau-de-feu qui fait
le sujet de mon étude. Dans la Baie des Chaleurs, on
aperçoit ce bateau qui a l'air de brûler et quand
on veut aller à son secours, on ne peut l'atteindre.
Il s'éloigne à mesure qu'on avance et, à
un moment donné, il n'est plus en avant de nous, mais
en arrière. Quelques fois il a la forme d'un feu de
broussailles ou de boules de feu. Dans la région de
Caraquet, au Nouveau-Brunswick, on l'appelle le feu-du-mauvais-temps,
parce qu'il apparaît toujours, dit-on, avant une tempête.
...
Le vaisseau-fantôme apparaît aussi
dans d'autres domaines : littérature, théâtre,
musique, peinture et cinéma.
Conférence donnée à l'Université
du Maine par Catherine Jolicoeur dans le cadre de «
Franco-American Public Lectures ».
Université de Moncton, Centre d'études
acadiennes, Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.051
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