Bateaux pirates
Quand on était jeunes, nos parents
nous disaient qu'à la veille du mauvais temps, on voyait
un feu. Ordinairement, on voyait ça du côté
de Maisonnette. C'est trois milles de chez nous. Pis ça
c'était surtout au coucher du soleil. Quelquefois on
voyait des grosses boules de feu au bout de la Pointe de Maisonnette.
Il sortait d'sur la Baie des Chaleurs. Alors papa disait :
« On va avoir une grosse tempête. » Ça
paraissait en-dedans dans la baie de Caraquet. Souvent ces
feux-là, on ne les voyait pas se séparer. Mais
on s'tournait et on voyait deux feux. Quand on les voyait
longtemps dans la baie même, ben là on disait
: « Là c'est une vraie tempête qu'on va
avoir. » Ça c'est c'que j'me rappelle, y a des
années d'ça quand j'étais jeune. Depuis,
j'le vois jamais parce qu'y a des maisons qui cachent. On
n'entend pus dire que les gens le voient maintenant; on n'entend
pas parler ces années ici. Soit qui a des pêcheurs
qu'ont voulu le rattraper dans la direction du feu. Pis à
un moment donné, l'feu changeait d'place. La première
chose qu'i savaient, l'feu était en arrière
d'eux-autres.
J'sais qu'c'était à la veille
du mauvais temps. C'était une journée ou deux
après, mais c'était une tempête quelconque,
une grosse pluie avec le vent, quelque chose comme ça.
L'histoire du temps, c'était un bateau
de pirates qu'avait accosté un autre bateau, qu'avait
pillé l'bateau, i avaient fait monter les gens de c'te
bateau-là à bord. Pis même y avait un
prêtre. I ont maltraité l'prêtre. À
un moment donné, i parait que l'prêtre a été
lié à un grand mât. Pis i tiraient des
coups d'feu ou quelque chose. En tout les cas, le bateau a
brûlé et pis ça c'était pour ça
qu'on voyait l'feu du mauvais temps. I disaient, quand on
voyait deux feux, c'est quand le bateau s'était séparé
en deux. On le voyait assez souvent, surtout l'automne, le
soir après le coucher du soleil. Les boules paraissaient
quelquefois grosses comme un pion dans les 15 pouces de diamètre,
d'autres fois plus petites. On le voyait pas se promener,
mais aussitôt qu'on se tournait de bord ça changeait
de place, par moments. D'autres fois, c'était toute
la soirée à la même place. Ça dépendait
peut-être du vent ou d'la marée, j'sais pas quoi.
J'n'ai jamais entendu parler qu'on avait photographié
ce feu-là.
Mme Pierre Comeau
(Yvonne Blanchard) 77 ans
Caraquet NB
Juin 1974
Université de Moncton, Centre d'études
acadiennes, Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.125
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