Le Vaisseau Fantôme
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Légende du vaisseau-fantôme

Une folkloriste célèbre de la Nouvelle-Écosse, Helen Creighton, surnommée The Lady of the Legend, m'écrit, en apprenant que je préparais une thèse sur le vaisseau-fantôme: « It's wonderful to have chosen the Phantom Ship as a subject for your thesis; although l would have thought it the last subject for one of your calling! »

J'ignore si elle me trouvait indigne du sujet ou si le vaisseau-fantôme requérait la direction d'un chercheur muni de plus solides connaissances que les miennes. Je n'ai pas éclairci ce point mais j'ai fait des découvertes assez intéressantes relatives à la légende. Au cours de mes nombreuses démarches dans ce domaine, j'ai essayé de découvrir l'origine de celle du vaisseau-fantôme, ses aspects, son étendue dans l'espace et dans le temps, sa pérennité et les croyances qui l'entourent. Ce faisant, j'ai même trouvé ce que je ne cherchais pas, à savoir des légendes connexes et la multidisciplinarité à laquelle elle se prête.

Quelques folkloristes avaient accompli, avant moi, une courte analyse des bateaux-fantômes de leur pays. Par exemple, en 1882, Henri Gaidoz déclare que toutes ces légendes se ramènent à trois types fondamentaux :

1- Le vaisseau fantastique, né d'une illusion d'optique, entretenu et développé par l'imagination populaire, surtout celle des marins;

2- Le vaisseau-fantôme, dont l'apparition annonce qu'un navire réel s'est perdu corps et biens;

3- Le vaisseau-des-morts qui se rattache à une des plus vieilles croyances européennes sur les voyages qu'il faut faire pour se rendre au pays des morts, par delà le fleuve Océan.

Cinq ans plus tard, en 1887, l'annuaire des traditions populaires de France publie la même liste mais un peu plus détaillée. Il présente les vaisseaux énormes comme le Grand-Chasse-Foudre et la Patte-Luzerne; les vaisseaux-paradis où le matelot a tout à souhait et leur contraire, les vaisseaux-enfers comme le Voltigeur Hollandais et le Navire-Errant; les vaisseaux qui transportent les morts, comme le BagNoz breton; les vaisseaux chargés de revenants; ceux qui ne peuvent accoster ou toucher au port; les navires follets qui attirent d'autres vaisseaux pour les perdre; le navire de la fin du monde, comme le Naglefer, construit avec les ongles des noyés.

Aux États-Unis, Ralph de S. Childs publiait, en 1949, un article sur les 15 bateaux-fantômes qui apparaissent le long de la côte du Nord-est américain. Ce sont les revenants des bateaux perdus en mer ou qui, pour une raison quelconque, sont condamnés à naviguer pour toujours sans faire escale. Il les divise en quatre catégories selon le motif de leur apparition : ceux qui ne font qu'apparaître; ceux qui sont de mauvais augure; et ceux qui apparaissent à date fixe ou qui sont associés au crime et au châtiment.

Dans un article daté de 1958, Edward Ives de l'Université du Maine à Orono, fait une analyse assez minutieuse des vaisseaux-fantômes du détroit de Northumberland, détroit qui se trouve entre le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard. Ce sont les débris d'un bateau de plaisance qui a brûlé quand des marins ivres ont renversé une lampe allumée dans la cabine du capitaine ou ceux d'un navire d'immigrants au Québec frappé par la foudre et qui a brûlé dans le détroit. Près de l'Île de Shippagan au Nouveau-Brunswick, c'est celui du capitaine Craig qui a fait naufrage non loin de là. Dans les cas énumérés ici, le fait réel qui est à la base de la légende est plutôt physique quant à son origine et il semble que ce fait soit assez récent. Cependant, si on en croit les chercheurs, l'origine de ce fait serait encore plus ancienne.

En effet, Jehan Mousnier, folkloriste français, déclare que la légende du vaisseau-fantôme serait issue de la tradition phénicoscandinave de la mer des Ténèbres ou mer Ténébreuse, tradition qui engendra le Davy Jones Locker. Elle serait aussi liée aux légendes des Maelströms, thème repris par la littérature et revenu ensuite à bord.

Cet exemple de réversibilité s'ajoute à l'aspect caractéristique de certaines traditions orales qui idéalisent des faits divers pour les porter à la connaissance par transmission orale. Il est bien évident que, parmi ces faits divers, ceux de l'existence de Dérelicts, vaisseaux abandonnés, seraient indéniables.

Cette légende peut aussi se raccrocher à celles qui seraient issues des phénomènes météorologiques auxquels sont liés, dans l'imagination populaire, des influences bénéfiques ou maléfiques. On sait que le bateau-fantôme de Caraquet au Nouveau-Brunswick s'appelle aussi le feu-du-mauvais-temps. Les autres feux mystérieux, feux follets, feu St-Elme, mer en feu ou phosphorescence entrent dans cette catégorie des légendes connexes.

Dans une certaine mesure, on peut encore rapprocher la légende du vaisseau-fantôme de celles qui contiennent des thèmes reliés aux monstres marins. Lorsqu'il s'agit du vaisseau-fantôme aérien, le thème de la chasse galerie semble bien celui qui serait le plus approprié, surtout dans son motif - Selling soul for boat sailing in the sky.

À la suite de recherches sur le terrain au Canada, et dans la littérature européenne et américaine en même temps que canadienne, j'ai découvert que la légende du vaisseau-fantôme est universelle dans l'espace et dans le temps. Presque tous les pays du monde ont leurs bateaux-fantômes et depuis un temps immémorial, cette légende se transmet par tradition orale surtout.

Un vieil Acadien, Jaddus Lanteigne de Saint-Paul-de-Caraquet, NB, avait vu le bateau-fantôme qu'il appelait le bateau-sorcier. Il l'avait contemplé à plusieurs reprises dans la baie de Caraquet. Quand je lui ai demandé quelle était l'origine de ce bateau-en-feu, il me répond : « C'est vieux comme l'Acadie! »

Une incursion dans les anciennes mythologies nous rapprochera sans doute de l'origine de ce phénomène. Ces récits antiques nous révèlent l'existence de vaisseaux mystérieux soit sur mer ou dans les airs ou encore au firmament. Chez les Grecs, la constellation Argo serait la nef dans laquelle Jason et ses compagnons sont allés à la recherche de la Toison d'or en Colchide. Elle a été placée dans le ciel par Athéna ou Poséidon afin de servir de guide à ceux qui traversent les mers du Sud.

Une autre tradition identifie cette constellation au premier navire qui a été construit et celui dans lequel les Danaïdes ont navigué d'Égypte à Rhodes. En Égypte, c'est l'arche dans laquelle Iris et Osiris ont échappé au déluge. Les Romains n'avaient retenu que le nom Argo; les Arabes, eux, l'appellent Al Sufina, c'est-à-dire le navire. Pour les astronomes bibliques, c'est l'arche de Noé et c'est Agastaya pour les Hindous.

La mythologie slave a son vaisseau qui vole apparenté à la Toison d'or, Jason, les travaux d'Hercule, les Argonautes d'Apollonius de Rhodes, avec une allusion au bélier volant de Phrixos. On dit que les ancêtres des Grecs venaient de la Russie.

Le Skidbladner est le vaisseau gigantesque de la mythologie scandinave. Construit par des nains, toutes les ases (divinités de la guerre) peuvent s'y loger. Démonté et plié, on peut le mettre facilement dans sa poche. Selon les auteurs, il appartient au dieu Odin ou à Frey.

Les prophéties irlandaises du Moyen-Âge parlent du Roth ramhach qui va également sur terre et sur mer et qui serait le navire de la fin du monde. Tout comme celui de la mythologie germanique qui amènera de l'occident le géant Hrym, l'un des quatre à se rendre assister au Crépuscule des Dieux.

Ces diverses légendes du vaisseau-fantôme dans l'Antiquité se retrouvent surtout dans la littérature écrite. Cependant, la littérature orale d'Amérique du Nord nous permet d'émettre certaines hypothèses et nous faire connaître ainsi le résultat de l'étude accomplie ici. Des deux milles versions que j'ai recueillies et analysées nous démontrons ce qui suit :

1- Par-delà les croyances et la poésie orale qui s'attachent à une légende universelle, celle-ci exerce une emprise extraordinaire sur toute la région et même sur tout un peuple.

2- Elle s'enracine jusqu'au plus profond de l'homme et le rejoint jusqu'à l'autre versant de sa vie : l'au-delà, l'invisible, l'inconnu, l'imaginaire.

3- Elle répond à un besoin psychologique de l'homme, celui de savoir, de connaître le sens, l'origine, la cause des phénomènes qui l'entourent. Et, comme la justice immanente semble l'explication du vaisseau-fantôme la plus répandue dans la tradition populaire, il va de soi que les versions de la légende parlent surtout de personnes qui, par leur conduite répréhensible, s'attirent des châtiments. Par exemple, le Hollandais Volant, le type du révolté qui, à cause de son insolence envers son créateur, doit subir la malédiction qu'il s'est attirée. Les pirates, que nos Acadiens appellent forbans, les marins blasphémateurs, ivrognes, querelleurs, etc. et qui, pour la plupart, ont péri en mer surtout par le feu; tous ces mécréants, ces méchants apparaissent sous forme de bateaux-en-feu pour avertir qu'ils continuent à brûler et, ainsi, donner aux vivants une salutaire leçon.

4- Pour les chercheurs des disciplines autres que celle du folklore, cette légende fournit une matière inépuisable et captivante aux études comparées en psychologie, histoire, sociologie, anthropologie, ethnographie, littérature, musique, cinéma, arts plastiques, etc.

À titre de conclusion, je vous livre la plus récente version que j'ai recueillie d'une jeune fille de douze ans, Darlene Gallant de Saint-Arthur dans le Restigouche au Nouveau-Brunswick :

« Des pêcheurs, qui avaient aperçu une goélette fantôme dans la Baie des Chaleurs, sont montés dans deux bateaux et ont navigué de façon à cerner le phénomène de chaque côté. Ils avançaient sur la goélette en feu qu'ils voyaient très bien quand, tout à coup, ils se sont frappés l'un l'autre. Ils avaient passé à travers le bateau-fantôme! »

Catherine Jolicoeur
Centre universitaire SLM, Edmundston, NB

Université de Moncton, Centre d'études acadiennes, Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.011

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