Le Vaisseau Fantôme
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Vaisseau-fantôme et bateau-de-feu
Marie-Claude Roy et Mireille Trudelle

(suite)

Dans chaque version tous les témoins sont des hommes, peut-être parce que ceux-ci avaient plus de contacts directs avec la mer que les femmes. Le témoin est fréquemment seul dans un endroit isolé et sombre. En effet, les apparitions survenaient le soir aux alentours de minuit, heure propice aux élucubrations de l'esprit tourmenté. À cette heure la femme est au foyer et les hommes, seuls sur la route ou au travail, n'ont rien d'autre à faire que de laisser libre cours à leurs pensées.

Dans les récits, nous constatons différentes réactions de la part des témoins devant les bateaux. Quelques-uns sont apeurés, d'autres incrédules ou ébahis. M. Adélard Roy et M. Frank Doiron s'empressèrent de faire vérifier leurs dires en faisant constater le phénomène par leurs amis.

Dans la version de Mme Régina Bernard, les quarante bateaux ont viré de bord, appréhendant la tempête. Dans deux autres versions, les gens essaient de s'approcher du bateau, mais celui-ci s'éloigne et disparaît.

« À l'approche d'un navire, le bateau-fantôme s'agite et s'éloigne et c'est en vain que l'audacieux visiteur chercha à l'atteindre. »(8)

Comme toute apparition mystérieuse, celle-ci est insaisissable. Si on pouvait l'atteindre, on briserait le mythe. Comme la mer, le bateau-fantôme personnifie l'incontrôlable, l'incompréhensible. Ce phénomène présage de façon régulière la venue de tempêtes terribles. Il annonce toujours un vent de nordais. Cependant, on remarque quelques additions à ce présage météorologique; notamment celui de prédire un naufrage ou une scène de meurtre. Ce fait est peu fréquent ici mais a été mentionné ailleurs.

Les gens cherchaient tellement à s'expliquer les différentes réactions de la mer qu'ils la scrutaient afin de trouver des constantes qui les informeraient quelque peu. C'est en quoi consiste la fonction du bateau de feu. Les présages se réalisent toujours, à tel point qu'on peut penser que ce sont des phénomènes physiques, météorologiques. Une sorte d'instinct annonce les grands vents à venir et cet instinct est renforcé par l'apparition du vaisseau-fantôme.

« On a eu une tempête épouvantable pour trois jours de temps, trois jours et trois nuits. »(9)

« Comme de fait, trois jours après, c'était un nordais, c'était une tempête abominable. »(10)

On identifiait souvent les bateaux-fantômes comme des bateaux ayant déjà existé.

Dans les versions étudiées, on retrouve les bateaux des anciennes guerres d'Acadie qui ont coulé ou des bateaux de forbans et de pirates. On allait jusqu'à reconnaître des bâtiments tel que le Colborne qui a coulé dans une tempête parce que les hommes avaient trop bu et un bateau du capitaine Kidd.

On peut affirmer sans crainte que le bateau-fantôme est une illusion encouragée par l'esprit de superstition des marins. Cette prédisposition à la superstition découle quelque peu du christianisme. Celui-ci, apportant des explications surnaturelles aux phénomènes irrationnels, enracine l'homme de la mer dans ses croyances aveugles. Le feu, présent partout dans les versions, représente le surnaturel, personnifié dans la religion catholique par le diable. L'élément en feu est le symbole chrétien de la damnation. Le diable, les feux-follets, l'enfer sont ainsi des signes d'une malédiction divine causée par des actions répréhensibles.

Ainsi, par l'étude de la légende, on apprend le fonctionnement de l'esprit humain et ses façons de réagir. On note cependant que rarement, le vaisseau-fantôme ou bateau-de-feu inspirait la terreur au même titre que le diable, les feux-follets ou les sorcières. Cela s'explique du fait que ses apparitions n'étaient jamais néfastes. Les marins étaient devant un phénomène presque familier. Ces apparitions avaient généralement une fonction moraliste pour le peuple. On s'en servait possiblement comme matière à édification. C'était en quelque sorte un châtiment exemplaire que le destin avait infligé à ceux qui troublaient la paix sociale. On s'assurait d'une bonne conduite pour ne pas subir le même sort. Ces manifestations indiquaient aussi la bonne marche à suivre pour le marin : ne pas boire en mer, ne pas piller, ne pas se servir de son bateau comme d'un repaire à brigands. Les vaisseaux-fantômes, identifiés par leur nom, Ieur équipage, leurs aventures, relataient toujours des actes répréhensibles vis-à-vis la population canadienne-française côtière.

L'inexplicable est vite récupéré par le passé. On y puise des modèles de comportements qui ont été récompensés mais aussi des modèles qui ont été châtiés. On se sert ainsi de passé pour montrer que les mauvais comportements sont susceptibles d'apporter des punitions. À ce moment-là, ces mystérieux phénomènes sont au service de la religion et de la société.

« Ce n'est pas d'ailleurs tellement le phénomène lui-même qui fait peur, mais les légendes créées autour de lui. »(11)

La légende est donc amplifiée à partir d'un simple fait. La terreur est inspirée par l'acte qui a occasionné le naufrage et non par la réapparition même du naufragé.

« En l'ancien temps, y avait des pirates dans la mer pi un bâtiment d'pirates qui allait là, ça qui contait... a té coulé par d'autres pirates y a péri là, ouais, pi c'est ça qu'les vieux disent... pis du monde qui montait dans les mâts partout. » (12)

Les pirates, qui avaient un genre de vie fort répréhensible, sont punis de leur mauvaise existence en étant condamnés à rester sur le bateau en feu et à souffrir. Tout cela est logique, car il fallait se faire des modèles pour faire respecter la morale.

« Le Colborne, il avait été à la côte, à Port-Daniel là, et pis ensuite de ça, il'avont bu de la boisson, pi ils s'avont saoulés, il'avont été à bord... pi ensuite de ça, ben, la méchante manoeuvre, pi c'tempête de vent là qui s'est levé, ben le bâtiment a fait naufrage, il a calé ». (13)

À cette époque, l'Église n'approuvait pas du tout l'abus de l'alcool. Cet abus attirait donc le malheur.

Nous remarquons ici une constante avec l'Église catholique : le mal amène le mal, une mauvaise action doit donner lieu à un châtiment, qui est souvent disproportionné par rapport au forfait.

Dans les sept versions étudiées, deux représentent des avertissements aux vivants qui doivent se mettre en sécurité à cause de l'approche d'une tempête. Deux autres versions, sont dominées par la curiosité occasionnée par l'apparition inusitée de lumières et du bateau en feu. Encore ici, cela présage le mauvais temps à venir. Enfin, dans les versions de Benoit Benoit et de Frank Dorion, la vision du bateau-fantôme épouvante et apeure, parce que les revenants sont, de nature même, indésirables. Seule la version de Mlle Johanne LaRochelle exprime l'incrédulité face aux manifestations.

Habituellement les témoins des phénomènes insistent que les auditeurs croient aux faits racontés. Il ressort de ces récits une sorte de crainte de passer pour « soulon » ou menteur. Pour les témoins, c'est du sérieux car il ne faut pas prendre à la légère les manifestations surnaturelles.

Cette peur peut aussi être expliquée d'une toute autre façon. Le naufragé est un mort sans sépulture, qui n'a pas eu droit aux cérémonies habituelles et à toutes les prières qui lui seraient dues. Les naufragés inspirent la crainte car on s'imagine que ces gens morts dans l'eau peuvent facilement revenir, chose peu probable s'ils étaient enterrés. On peut penser qu'ils demandent une finalisation chrétienne à leur mort : « Derrière la peur du mort, se cache la peur des sentiments que les vivants ont, ressentent. » (14) Le vivant est arrête par les barrières sociales et ne peut mettre à fin tous ses projets de vengeance ou de haine tandis que le mort, n'étant nullement contraint aux handicaps matériels, peut se permettre des actions semblables. « Le vivant a peur des morts dans la mesure où il leur prête tous les sentiments humains ». (15)

Dans les récits du bateau-fantôme, on remarque un grand nombre d'analogies : premièrement, toutes les manifestations ont eu lieu autour de la Baie des Chaleurs depuis une quarantaine d'années, pendant la saison d'automne. Les manifestations visuelles sont toujours de feu aperçu par des gens de la côte. Les présages sont inévitablement les mêmes, étant annonciateurs de mauvaise température, comme un baromètre infaillible. Les apparitions sont constamment reliées à un événement passé. Le feu est prédominant dans toutes les légendes. Il est présent dans toutes les apparitions; c'est lui qui permet d'apercevoir le bateau-fantôme.

Aujourd'hui, la légende est toujours un phénomène vivant. Elle n'est pas prête à disparaître. Nous sommes d'accord pour dire que les mythes sont l'expression de désirs persistants, de même nature que ceux qui se manifestent dans les rêves. La légende est durable parce que les gens auront toujours le goût du merveilleux. Quand les phénomènes qui font les légendes seront expliqués scientifiquement, ils seront aussitôt remplacés par d'autres événements inexplicables, d'une autre nature. Tant que l'homme n'aura pas apaisé toutes ses peurs, toutes ses craintes, tant qu'il n'aura pas toutes les réponses fondamentales, il créera des mythes, des légendes.

Légendes :
1. Catherine Jolicoeur, Le vaisseau fantôme, légende étiologique., Les Archives de Folklore, no 11, P.U.L., p.12.
2. Feu du mauvais temps, Collections St-François de Fatima.
3. Bâtiment de pirates, Collections Johanne LaRochelle.
4. Le bateau en feu, Collections Luc Lacourcière.
5. Histoire du bateau-fantôme, Collections Père Anselme Chiasson.
6. Feu du mauvais temps, Collections St-François de Fatima.
7. Catherine Jolicoeur, Le vaisseau fantôme, légende étiologique. Les Archives de Folklore, No 11, P.U.L., p. 76.
8. «Les mystères du Golfe», dans L'Opinion publique, 1878.
9. Feu du mauvais temps, Collections de S. François de Fatima.
1O. Histoire du bateau-fantôme, Collections Père Anselme Chiasson.
11. Catherine Jolicoeur, Le vaisseau-fantôme, P.U.L.
12. Bâtiment de pirates, Collections Johanne LaRochelle.
13. Le vaisseau-fantôme, Collections Luc Lacourcière.
14. Jean DuBerger, notes du cours intitulé Légendes d'Amérique française.
15. Jean DuBerger, notes de cours.

ROY, Marie-Claude et TRUDELLE, Mireille, «Vaisseau fantôme et bateau de feu», Culture & tradition, Vol.3, 1978, p.17 à 35

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