Asbestos, une histoire minière et syndicale depuis plus de cent ans
Asbestos, une histoire minière et syndicale depuis plus de cent ans
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Vie ouvrière,
syndicalisation et grève
Conclusion
Filons d'histoire
Pages : 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-12

Vie ouvrière, syndicalisation et grève – Page 10

1949 : La grève de l'Amiante à Asbestos
Rencontre de bienséance entre Maurice Duplessis et Mgr Joseph Charbonneau
Maurice Duplessis
et Mgr Charbonneau
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La grève de l'amiante a été l'objet d'étude de nombreux chercheurs, générant ainsi plusieurs thèses et articles. On peut affirmer qu'au Québec il s'agit sans aucun doute du conflit de travail le mieux connu. Dès 1956, un groupe de chercheurs, sous la direction de Pierre Elliot Trudeau, publiait un livre sur la grève de 1949. Ce livre demeure une oeuvre maîtresse pour qui veut comprendre le contexte de la grève. Pour ces auteurs, la grève de l'amiante avait constitué un tournant dans l'histoire sociale du Québec. Que l'on soit d'accord ou non avec les interprétations du groupe de Trudeau, on doit reconnaître que ce dernier a initié le débat sur la grève de l'amiante. Ainsi ce n'est pas sur les résultats de la grève que le débat entre chercheurs va se faire, mais sur la place que prend la grève de l'amiante dans l'histoire du syndicalisme et du mouvement ouvrier au Québec. Nous n'avons pas ici la prétention d'ajouter au débat des historiens. Nous souhaitons plutôt apporter une attention particulière au débat local, voir en quoi ce conflit va modeler la conscience collective des gens d'Asbestos.

La grève
Comme nous l'avons mentionné plus tôt, le Syndicat, à la fin des années 1940, se fit plus revendicateur. L'année 1947 est révélatrice du climat existant chez les dirigeants syndicaux de l'amiante, spécialement chez Rodolphe Hamel qui souhaitait voir les ouvriers s'affirmer :

« Voici encore un point qui va demander beaucoup de ténacité, il faut que chaque Syndicat soit stimulé pour obtenir justice, au point de vue de salaire et de conditions de travail. Il faut que chaque membre de nos Syndicats comprenne sa responsabilité envers son Syndicat et sa famille. Nous n'avons pas le droit d'accepter des salaires et des conditions de travail qui ne sont pas conformes aux besoins de notre famille. N'oublions pas que chaque homme a sa part dans les mines, comme ailleurs. Nous n'avons pas le droit de laisser souffrir aucun membre de notre famille au point de vue : habitations, nourriture, vêtements, médicaments, assurance, etc. En ayant soin aussi de nous ramasser une petite réserve pour nos vieux jours. Tout cela est juste et légitime. En le demandant nous demandons que les miettes, chose qu'il ne faut pas oublier, c'est que nous ne sommes pas les seuls juges, qu'un jour viendra ou nous serons obligés de rendre compte de la manière dont nous aurons accompli nos devoirs comme bon père de famille; que chaque homme médite longtemps là-dessus afin que dans la lutte que nous entreprendrons cet automne, chaque homme soit assez solide pour tenir jusqu'à la victoire complète. Il nous faut obtenir justice une fois pour toutes. Pour ma part je suis prêt à tous les sacrifices qui s'imposeront pour la bonne cause.318 »

Les leaders de la grève de 1949
Les leaders de la grève de 1949
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1947 ne fut pas l'année du conflit anticipé par Rodolphe Hamel. En effet, une entente couvrant l'année 1948 fut signée avec C.J.M. Bien que le syndicat obtienne l'augmentation salariale souhaitée, peu de changements furent apportés au niveau des conditions de travail. Toutefois, la compagnie accorda peu de répit au syndicat :

« Je me suis occupé de griefs à la C.J.M. et à Saint-Rémi. À la C.J.M. la compagnie veut diminuer la main d'oeuvre afin de se compenser, pour l'augmentation de salaire accordée à la dernière Convention. Sur des pelles mécaniques il y avait, un opérateur, un huileur et deux « Ground-men » or la Compagnie a enlevé un « Ground-men » pour partager le travail de ce dernier entre le hileur et l'autre « Ground-men » sans toutefois augmenter leur salaire. Le Syndicat n'a pas accepté ce changement, c'est pourquoi il y eut une conciliation qui n'a pas donné de résultat, et le Syndicat a demandé un arbitrage dans ce litige. Cet arbitrage aura une influence favorables ou défavorables au Syndicat dans les autres changements que la Compagnie projette de faire.319 »

Avant les débuts de l'arbitrage, croyant le juge défavorable à la cause, le Syndicat fit pression auprès d'Albert Goudreau, député et maire d'Asbestos, afin que ce magistrat soit remplacé. Malgré un juge qu'il croyait favorable, le Syndicat perdit sa cause en arbitrage320.

C'est dans ce climat que s'amorcèrent les négociations de 1949. À ce niveau, tout était à recommencer. À la fin janvier, les négociations furent suspendues. Les tensions étaient palpables chez les dirigeants de la C.T.C.C. et le discours se radicalisa comme en témoigne la journée syndicale organisée par le SNAA :

« M. Jean Marchand fut le premier à parler à la foule. Il fit remarquer le progrès syndical et rappela les souvenirs des débuts à Asbestos. Il dit que la classe ouvrière s'organise de plus en plus; l'ouvrier a droit de participer aux fruits de la prospérité d'une industrie et que le capitalisme a fini de régner seul. On ne peut plus empêcher la classe ouvrière de se faire valoir, car elle est organisée. Le syndicalisme désire voir l'ouvrier obtenir ses droits et sa part dans l'industrie, savoir ce qui s'y passe. On semble être d'accord là-dessus, en principes, mais lorsque vient l'application, non. Le premier but d'un Syndicat est de signer une entente collective avec l'employeur. Mais celui-ci se réserve trop de privilèges qu'il classe "Les droits de la Direction". Il y a un rideau entre l'industrie et la classe ouvrière. Les syndicats continueront de demander, et là-dessus, M. Marchand déclare que les compagnies, les professionnels, les hommes d'affaires n'ont jamais arrêté de songer à accroître leurs revenus, et demande pourquoi il en serait ainsi de l'ouvrier, surtout en face du coût toujours croissant de la vie.321 »

Face au radicalisme des discours, le journal local n'hésitait pas à prendre position dans le débat en faveur de la Compagnie et pointait du doigt la Fédération, vu l'échec des négociations :

« Les négociations furent discontinuées, non pas au sujet des termes de l'entente proposée, mais simplement par la Fédération au sujet du désir de la Compagnie de vouloir renseigner ses employés.322 »

Le recours à l'arbitrage fut recommandé par les agents négociateurs. C'est au cours d'une assemblée, le 13 février, que les membres du Syndicat National de l'Amiante d'Asbestos devaient prendre position. Plus les heures passaient, plus le recours à la grève devenait quasi inévitable. De tous les coins de la salle où étaient réunis les syndiqués, on entendait les cris en faveur de l'arrêt de travail immédiat. Quand le secrétaire de la C.T.C.C., Jean Marchand, eut fini de parler, le choix de l'assemblée avait été fait323. Plus tôt dans la journée, les mineurs de Thetford en étaient arrivés aux mêmes conclusions, l'assemblée avait toutefois accordé trois jours à Marchand afin d'orchestrer un déblocage des négociations. À Asbestos, on refusa : les mineurs déclenchaient la grève dès la fin de l'assemblée324, En une journée, la grève s'étendit à toute l'industrie de l'amiante et les opérations de la majorité des compagnies furent paralysées325. Au premier jour, l'ambiance était à la fête à Asbestos; l'optimisme était de mise dans la ville. Pour plusieurs, l'expérience de 1937 venait renforcer la confiance des travailleurs de voir un règlement rapide du conflit. Des danses et des veillées furent organisées de façon spontanée durant la soirée, les endroits publics étaient bondés en cette première journée326. De son côté, la Canadian Johns-Manville, avec l'appui du gouvernement provincial, mena une offensive publicitaire auprès de l'opinion publique et chez les grévistes au moyen de lettres individuelles.

Pour la C.J.M. les causes du déclenchement de la grève étaient claires :

Les ouvriers grévistes défilant dans les rues d'Asbestos
Grévistes défilant dans les rues d'Asbestos
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« Des chefs de la Fédération Nationale des Employés de l'Industrie Minière prétendent maintenant que les conditions poussiéreuses sont une des principales raisons de la grève illégale atteignant 2 400 ouvriers dans les Moulins, la Mine et la Manufacture de la Canadian Johns-Manville à Asbestos. Cette prétention n'est qu'un moyen d'attirer la sympathie du public et de cacher leur véritable objectif qui est d'englober l'industrie de l'amiante du Canada dans des négociations globales pour l'industrie. En effet, la Fédération a déjà tenté d'obtenir que le Ministère Provincial du Travail établisse une cour d'arbitrage pour l'industrie minière.327 »

La grève étant illégale, la Commission des relations ouvrières retira l'accréditation du Syndicat. Cette situation incita la compagnie à faire appel à des briseurs de grève328. Les ouvriers souhaitant voir respecter leur ligne de piquetage, prirent les moyens nécessaires. La compagnie répondit aux grévistes par une injonction. Le lendemain, un détachement de la police provinciale arrivait à Asbestos afin de faire respecter l'injonction et protéger les propriétés de la C.J.M.329

De toute la grève, la police provinciale fut cantonnée uniquement à Asbestos. À Thetford, il n'y eut que quelques accrochages sans conséquence, les agents réguliers maintinrent l'ordre330. Il n'y avait aucune raison apparente à la présence de la police provinciale à Asbestos. Les grévistes avaient eu jusque-là un comportement tout à fait calme qui ne laissait présager aucun débordement. Pourtant une semaine après le déclenchement de la grève, un détachement d'une centaine de policiers se dirigeait, sur ordre du procureur général, vers Asbestos. Pour protester contre cette mesure non appropriée dans les circonstances, une résolution déplorant la présence de la police provinciale fut adoptée en assemblée régulière du conseil municipal d'Asbestos.

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318 SAHRA. Fondss de la Fédération de la Métallurgie P5, Cahiers des procès-verbaux des réunions de la Fédération National des Employés de l'Industrie Minière. Congrès de la FNEIM 2-3 août 1947.
319 SAHRA. Fondss de la Fédération de la Métallurgie P5, Cahiers des procès-verbaux des réunions de la Fédération National des Employés de l'Industrie Minière, 30 mai 1948, p. 57.
320 SAHRA. Fondss de la Fédération de la Métallurgie P5, Cahiers des procès-verbaux des réunions de la Fédération National des Employés de l'Industrie Minière, 30 juillet 1948.
321 « La journée syndicale d'Asbestos a remporté le plus grand succès. », L'Asbestos, 21 janvier 1949, p. 1-6.
322 « Négociations suspendues. », L'Asbestos, no 44, 28 janvier 1949, p. 1
323 Gilles Beausoleil, « Histoire de la grève », dans Pierre Elliot Trudeau. La grève de l'amiante. Montréal, Les éditions Cité libre, 1956, p. 168.
324 Georges Dionne, 43 ans dans leur trou (Georges Dionne mineur et militant). s.1., CSN, 1979, p. 22.
325 Gilles Beausoleil, op cit., p. 170.
326 Michelle Perrot. Jeunesse de la grève (France 1871-1890), Paris, Seuil, 1984, p.157-158; Gilles Beausoleil, loc cit.
327 « Communiqué de la C.J.M. », L'Asbestos, 18 février 1949, p. 1-4.
328 Jacques Rouillard, op cit., p. 280.
329 « Le rapprochement reste à venir entre employeurs et employés. », L'Asbestos, 25 février 1949, p. 1-4.
330 René Rocque, prisonnier politique?, Montréal, CTCC, s.d.. p. 2.


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