Asbestos, une histoire minière et syndicale depuis plus de cent ans
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Vie ouvrière,
syndicalisation et grève
Conclusion
Filons d'histoire
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Vie ouvrière, syndicalisation et grève – Page 6

Revêtements à tuyau
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En plus de vouloir négocier sur leur terrain, les grévistes n'entendaient pas s'en laisser imposer par la compagnie. S'étant déroulé paisiblement jusqu'à ce moment, le conflit de 1937 prendra un tournant différent. Après trois jours de grève, les ouvriers allaient répondre promptement aux provocations d'un cadre de la compagnie minière. P. P. Bartleman, chef du bureau d'engagement et constable à la compagnie, un homme peu prisé des ouvriers, avait reçu l'ordre des grévistes de ne pas sortir avec son cheval, des terrains de la compagnie, tant que le conflit ne serait pas règlé258. Faisant fi de ce conseil :

« Bartleman fit son apparition dans les rues d'Asbestos et autour de l'usine, monté sur son cheval et on dit qu'il aurait exhibé son révolver devant les grévistes. À tout événement, il se promenait ainsi depuis quelques temps dans les rues lorsqu'un groupe de grévistes l'entourèrent et lui demandèrent de quitter immédiatement la ville. Ils le forcèrent à descendre de cheval et lui dirent de cacher son revolver. Bartleman demanda alors aux grévistes de ne pas le molester et les grévistes lui dirent qu'ils ne lui feraient pas de mal, mais de remettre son arme et qu'ils le conduiraient chez le maire.259 »

Des officiers de la compagnie ainsi que des représentants du syndicat furent convoqués au bureau du maire. Il fut convenu que Bartleman quitte la Ville et n'y remette plus les pieds tant que le conflit ne serait pas terminé, « c'était préférable, pour le maintien de l'ordre qu'il ne demeura pas à Asbestos.260 »

« Lorsque la conférence se termina Bartleman sorti de l'hôtel de Ville et 450 grévistes qui attendaient à la porte, lui firent un bruyant accueil, lui lançant des épithètes de toutes sortes, et lorsque les grévistes apprirent que Bartleman quittait la ville la foule montra sa bonne humeur et accueilli la nouvelle par des applaudissements prolongés.261 »

Tel que souhaité par les grévistes, le gérant-général de la Johns-Manville Company de New-York, F. A. Williams vint à Asbestos pour rencontrer les officiers du Syndicat afin d'en arriver à un règlement. Si le gérant Clyde Shoemaker avait eu une attitude condescendante dans ses rapports avec le syndicat local depuis le début, il en allait tout autrement de F. A. Williams.

Amiante en feuille
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Ce dernier va même jusqu'à féliciter le Syndicat pour avoir assuré le maintien de l'ordre et empêché que le conflit ne dégénère262. Le 28 janvier, le syndicat obtient un mandat clair des grévistes pour entamer des négociations avec la Canadian Johns-Manville en vue d'en arriver à un contrat collectif de travail263. Les négociations débutèrent la journée même, en présence de F. A. Williams et Clyde Shoemaker représentant la compagnie minière; Me L. Migneault, de Sherbrooke et Étienne Demers représentant le Syndicat, ainsi qu'un délégué du département du Travail à Québec. À ceux-ci s'ajoutaient le maire d'Asbestos, Philippe Roy, le député Albert Goudreau et l'aumônier du Syndicat, l'abbé Alfred Aubert. Les négociations eurent lieu à l'hôtel Iroquois. L'objectif du Syndicat, fortement demandé par les grévistes, le salaire minimum de 33 sous et demi de l'heure, salaire comparable au reste de l'industrie de l'amiante264. L'une des sources de désaccord était la délicate question de la reconnaissance du Syndicat Catholique par la compagnie. De plus, certains éléments plus radicaux chez les grévistes réclamaient que l'appartenance au Syndicat Catholique soit un prérequis à l'embauche pour la compagnie. Le fossé s'élargissait entre les ouvriers catholiques et les ouvriers anglo-protestants. Ne voulant pas être placés sous l'égide d'un syndicat confessionnel, ces derniers firent pression auprès de la compagnie, faisant valoir leur point de vue pour trouver un compromis satisfaisant265.

Rapidement, les négociations aboutirent à un règlement sur le salaire. La question de la reconnaissance demeurait en suspens. Le gérant-général Williams approuva un contrat de travail fixant le salaire minimum à 33 sous et demi de l'heure avec révision de l'échelle des salaires de tous les départements. Toutefois, ce dernier affirma ne pouvoir signer le contrat de travail au nom de la compagnie, mais qu'il soumettrait le réglement au bureau de direction Johns-Manville à New-York266.

Avant que le conflit ne se termine, les ouvriers souhaitaient régler leurs comptes avec le gérant Shoemaker qui faisait partie en quelque sorte des causes indirectes de la grève. Aussitôt Williams parti, les ouvriers s'emparent de Shoemaker et le conduisent à l'Hôtel de Ville pour ensuite lui ordonner de quitter immédiatement Asbestos. Cet acte de soulèvement contre l'autorité scandalisa le curé Castonguay :

« Dans la nuit, acte de sauvagerie sur la personne de C. H. Shoemaker, Gérant à Asbestos de la Cie C. J. M. peu de minutes après minuit [...] On force la porte où se trouve M. C. H. Shoemaker, on s'empare de sa personne, on le conduit, en le frappant, insultant, jusqu'à l'Hôtel de Ville – en chemin, on enlève sa montre et 90 $ en argent de papier qu'il avait dans ses poches.267 »

Ce mouvement spontané était prévisible, vu la détérioration des relation entre le gérant et les ouvriers268.

« La population d'Asbestos s'attendait tôt au tard à une manifestation de ce genre. Un gréviste a déclaré à notre représentant ce matin : « Depuis plusieurs mois, les ouvriers se plaignaient de M. Shoemaker à la suite de prétendues injustices de sa part à l'égard des travailleurs et hier soir, sans avertissement, un groupe s'est emparé de lui au sortir de la conférence dans le vestibule de l'Hôtel Iroquois et l'a conduit à l'Hôtel de Ville.269 »

Le conflit prit fin lorsque les ouvriers eurent la confirmation de l'acceptation du projet de contrat de travail dans un télégramme de Lewis-H. Brown, président de Johns-Manville. La dépêche fut reçue avec un enthousiasme débordant chez les centaines de grévistes réunis à l'Hôtel de Ville, dans l'attente d'une réponse de la compagnie. Le tout Asbestos, y compris plusieurs chefs de département à la compagnie, se rassembla pour souligner l'événement. Plusieurs discours furent prononcés, félicitant la bonne conduite des parties, surtout celle des grévistes. Des centaines d'ouvriers assistèrent à la messe le lendememain « pour remercier la Providence de son concours dans le règlement.270 »

Bien que la question de la reconnaissance du Syndicat reste en suspens, la signature d'un contrat de travail par la compagnie venait en quelque sorte reconnaître le Syndicat Catholique de l'Amiante d'Asbestos comme représentant des ouvriers. Ainsi, ce dernier devenait l'unique agent négociateur de règlement des conflits. Au lendemain de la grève, les organisateurs du syndicat montrent leur ouverture à l'ensemble des travailleurs :

« Monsieur le Maire est bref. Il fait une mise au point au sujet de l'engagement des étrangers disant que tous seront bien reçu par Monsieur Lockwood qui est un gentil homme. Il fait une autre mise au point au sujet des anglais, il démentit le Sherbrooke Record et il dit que les Canadiens estiment les étrangers en autant que ceux-ci leur rendent la réciproque. Il invite les ouvriers à rester unis puis il termine en disant que ceux qui semblent avoir des troubles de conscience de dormir en paix que leurs péchés étaient pardonnés [...] Monsieur l'Aumônier fait plusieurs remarques entre autres qu'il n'y aura pas de politique dans le syndicat. Il invite les anglais à se joindre à nous. Il parlera anglais si c'est nécessaire. Puis, il invite les gens à lire la Tribune qui fait un très bon travail pour le Syndicat et qui a ouvert ses colonnes au Syndicat de l'Amiante.271 »

Durant les années 1940, le Syndicat allait perdre peu à peu son caractère confessionnel et se centrer sur la défense des intérêts de l'ensemble des travailleurs de la CJM, toutes confessions confondues. Toutefois, ces premières expériences d'affirmation marquèrent la communauté anglophone qui demeura toujours réticente à l'adhésion à un syndicat aux racines confessionnelles. Les travailleurs francophones ont pris conscience qu'ils représentaient une force et que la grève pouvait être un moyen fort efficace pour faire valoir la cause ouvrière.

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258 Procès-verbal du conseil municipal d'Asbestos, 6 avril 1936, p. 387.
259 « Les grévistes d'Asbestos chassent de la ville un policier de la compagnie », 27 janvier 1937, p. 4.
260 Loc cit.
261 Loc cit.
262 « Les négociations sont commencées à Asbestos en vue d'un règlement », La Tribune, 28 janvier 1937, p. 2 et 9.
263 ASNAA, Procès-verbal assemblée spéciale, 28 janvier.
264 « Les négociations sont commencées à Asbestos en vue d'un règlement », op cit.
265 « Operations at Asbestos near normal today », Sherbrooke Daily Record, February 1, 1937, p. 1.
266 « Patrons et employés en viennent à un règlement à Asbestos », La Tribune, 29 janvier 1937, p. 3.
267 APSA, Registre.
268 « Le gérant Shoemaker est chassé d'Asbestos par un groupe de gréviste, hier », La Tribune, 29 janvier, p. 3
269 « Le gérant Shoemaker est chassé d'Asbestos par un groupe de gréviste, hier », La Tribune, op cit.
270 « Les ouvriers d'Asbestos gagnent leur point auprès de la compagnie », 30 janvier 1937, p. 5-11.
271 ASNAA, Assemblée générale du SNCAA, 14 février 1937.


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