Asbestos, une histoire minière et syndicale depuis plus de cent ans
Asbestos, une histoire minière et syndicale depuis plus de cent ans
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de l'exploitation minière

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et urbanisation
(1919-1929)

Dépression
des années 1930
Vie ouvrière,
syndicalisation et grève
Conclusion
Filons d'histoire
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Vie ouvrière, syndicalisation et grève – Page 12

Le 2 mai, la compagnie ajoutait de l'huile sur le feu en émettant un communiqué annonçant que la production était recommencée et que, si les grévistes voulaient conserver leur priorité, ils devaient retourner au travail au plus tôt340.

De l'argent pour les grévistes
De l'argent
pour les grévistes
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Le 4 mai, une assemblée fut convoquée à Thetford Mines et à Asbestos. À Asbestos on décida d'organiser un défilé dans le but de montrer la solidarité entre les grévistes et leur opposition aux briseurs de grève. Très tôt le matin du 5 mai, les grévistes se réunirent en face de l'église. De leur côté, les policiers parcouraient les routes environnantes. Le camion d'un groupe de grévistes de Thetford fut intercepté par la police; le groupe continua vers Asbestos à pied. Le défilé se mit en branle vers 7 heures 50, s'arrêtant devant les barrières de l'usine. On comptait parmi le groupe un nombre assez élevé de femmes récitant le chapelet. Du groupe, quelques hommes s'approchèrent des barrières, une bombe lacrymogène fut lancée par un policier posté à l'intérieur des terrains de la compagnie.

Un des grévistes fut touché au front. D'autres grévistes décidèrent de se diriger vers les routes pour bloquer la ville aux briseurs de grève, malgré la rumeur de renfort policier. Des lignes de piquetage furent établies. Le soir, les dirigeants syndicaux proposèrent aux piqueteurs de rentrer chez eux. Les grévistes décidèrent de rester sur les lignes toute la nuit pour bloquer l'accès de la ville aux briseurs de grève, de façon définitive. Les chefs syndicaux convoquèrent une assemblée pour minuit.

Les piqueteurs, contrariés par la tenue de cette assemblée, avaient pris tous les moyens pour passer la nuit sur les routes. Les chefs syndicaux tentaient tant bien que mal de convaincre les grévistes de cesser le blocus et de retourner chez eux, les avertissant qu'un contingent de policiers fortement armés venait vers Asbestos. Les grévistes décidèrent de poursuivre quand même le blocus. Ce n'est qu'avec l'intervention de l'aumônier du syndicat, aux petites heures de la nuit, que les ouvriers rentrèrent chez eux341. À 4 heures, le nouveau contingent de la police provinciale faisait son entrée dans la ville. Les policiers se rendirent à la salle du sous-sol de l'église pour y arrêter les grévistes de Thetford qui s'y trouvaient. À sept heures, le juge O'Bready de Sherbrooke lut l'acte d'émeute devant l'église. Tous les hommes présents furent mis sous arrêt. Durant toute la journée, les policiers procédèrent à des arrestations. Ces personnes étaient conduites au Club Iroquois, quartier général de la police provinciale, où elles étaient soumises à des interrogatoires brutaux.

Cinquante-trois grévistes furent détenus et envoyés à Sherbrooke, puis à Montréal pour la fin de semaine. Le 7 mai, toute la ville était sous contrôle policier. Toutefois les grévistes continuaient de communiquer entre eux. L'acte d'émeute fut levé dimanche le 8. Les assemblées pouvaient recommencer. Pendant ce temps, on déployait de multiples efforts en vue de libérer les grévistes toujours détenus. Tous ces événements n'avaient en fait que raffermi la résistance ouvrière342.

Lecture de l'acte d'émeute
Lecture de l'acte d'émeute
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L'acte d'émeute réussit à faire perdre le caractère familial et communautaire qu'avait pris la grève, en éloignant pour de bon les femmes et les enfants de la scène du conflit, et en trouvant les moyens pour tranquilliser les ouvriers. La grève prit fin le 1er juillet au matin. Quand la nouvelle fut annoncée par les leaders syndicaux, l'esprit de la fête s'empara de la ville :

« Immédiatement après, les ouvriers sont sortis de la salle et ont manifesté leur joie par les rues d'Asbestos. Fanfare en tête les grévistes ont paradé. Les femmes ont rejoint le groupe pour démontrer qu'elles étaient tout aussi contentes que leurs époux de la fin de la grène [...] M. l'abbé Camirand a célébré une messe d'action de grâce dans l'église paroissiale qui était remplie à pleine capacité par les mineurs qui plus tôt avaient célébré la fin de la grève. Les cloches de l'église ont sonné sans interruption pendant une demi-heure.343 »

Mais, dans les jours qui suivirent, on s'aperçut que les termes n'étaient pas très favorables aux grévistes. Ainsi, les briseurs de grève gardaient leur emploi. La déception était perceptible chez la plupart des travailleurs, entraînant quelques escarmouches :

« Tous avaient repris le travail lundi et la ville était dans une atmosphère plutôt joyeuse. Les hommes rentraient à leurs foyers lorsqu'un groupe d'entre eux incita les camarades à se grouper. Ce groupe de mineurs décida alors qu'il n'était pas normal que les "scabs" ou ceux qui ne s'étaient pas mis en grève soient traités avec autant de considération que les anciens grévistes. Bref, la chaleur aidant, les manifestants lancèrent quelques pierres sur les maisons des "traîtres". Ils ont cassé quelques vitres, mais les dégâts sont dans l'ensemble très minimes.344 »

Après des mois de tensions et de violence, certains esprits échauffés avaient de la difficulté à s'apaiser :

« Le pire qui est survenu cependant, c'est à 3h du matin, dimanche, alors que le feu a rasé la grange de M. Léodore Roux, de Tingwick, dont le fils aurait été un non345 »

Le règlement de la grève n'a pas eu pour effet de faire cesser les gestes de provocation et de violence de part et d'autre. La Ville d'Asbestos fut obligée d'imposer un règlement, rappelant l'acte d'émeute, afin de ramener les gens à de meilleures intentions346. Toutefois, la ville ne peut empêcher les débats entre voisins :

Assemblée du syndicat
Assemblée
du syndicat
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« Dimanche dernier, un citoyen de la rue Saint-Jacques était à lire son journal sur sa galerie quand un de ses voisins lui adressa plusieurs paroles qui n'eurent pas le don de lui plaire. Le lecteur qui fut "scab" durant la grève se rendit à la rencontre de son interlocuteur, qui fut gréviste. Il y eut plein d'activités et les passants s'y rassemblèrent en grand nombre. Chose curieuse, nos policiers accoururent de tous les côtés pour mettre ordre et dispersèrent les gens.347 »

En fait, les ressentiments et les rancoeurs furent perceptibles encore pendant plusieurs années, le gens faisant peu de place aux nuances et à la réconciliations.

La déception face aux conditions de règlement du conflit était aussi présente chez les dirigeants syndicaux :

« À Asbestos la situation lors du règlement de la grève nous obligeait à accepter ce qui nous était présenté. Les clauses difficiles à interpréter sont celles du retour au travail et de la non-discrimination. La Compagnie interprète le règlement à sa façon c'est ce qui rend encore plus difficile le retour au travail. De plus on lance toutes sortes de rumeurs afin de décourager les ouvriers et en essayant de discréditer les confrères Picard et Marchand.348 »

Les négociations et l'arbitrage étaient difficiles et la C.J.M. n'avait pas l'intention de faire de quartier :

« Le projet soumis par la Cie est impossible. C'est encore pire que le projet qui nous avait été présenté au mois de décembre. Il a assisté à toutes les séances d'arbitrage dans l'affaire des Compagnies de Thetford. Le Président, le juge Thomas Tremblay, lui semble impartial. Les Compagnies n'ont rien ménagé pour tâcher de démontrer que les conditions de travail étaient les mêmes dans l'industrie de l'Amiante que les autres industries. Suivant l'opinion des médecins qui ont témoigné pour les compagnies, la poussière d'amiante ne serait pas dangereuse et ne causerait pas la tuberculose. Yvan Sabourin, qui agissait comme avocat conseil pour les Compagnies de Thetford a fait un grand plaidoyer sur l'élimination des poussières, a dit que la cause du taux élevé de tuberculose à Thetford n'était pas dû à la poussière mais au manque d'hygiène à la maison et au travail des ouvriers.349 »

Annonce du règlement de la grève
Annonce du règlement de la grève
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Sans doute dans le but d'apaiser les tensions entre le syndicat et la compagnie, la Johns-Manville effectua des changements au sein de la direction à Asbestos. Ainsi, George K. Foster, trop identifié au conflit, fut promu au poste de Production Manager of Asbestos Fibre Division. K.V Lindell fut nommé pour remplacer Foster à la direction, à titre de Gérant de la mine Jeffrey350. Le 21 février, était signée la convention collective avec la C.J.M.351 Suite à sa nomination, Lindell s'activa à recréer le lien avec les ouvriers et le syndicat :

« Il nous fait rapport également que lors des dernières séances de négociations à Asbestos, M. Lindell nous a dit qu'il espérait des relations harmonieuses pendant l'année en cours et qu'il traiterait tout le monde avec justice en considérant le "Worker" sur le même pied d'égalité qu'un surintendant. M. Lindell nous dit que la Compagnie et les ouvriers ont fait des erreurs en 1949 et qu'il espérait que ces choses seraient évitées dans l'avenir.352 »

Cette nouvelle attitude des dirigeants de la C.J.M. permit d'améliorer les relations entre le syndicat et la compagnie, facilita les négociations lors du renouvellement des conventions collectives suivantes. Ainsi, en quelques années, les ouvriers syndiqués d'Asbestos furent parmi les mieux rémunérés de toute l'industrie minière353.

De 1919 à 1950 représente une période charnière dans l'histoire d'Asbestos. Il s'agit d'une longue marche pour l'affirmation ouvrière et la reconnaissance syndicale. Les grèves et les conflits ouvriers vécus durant cette période ont été des catalyseurs de cette prise de conscience de toute la classe ouvrière à Asbestos. En effet, une ville mono-industrielle, d'une seule compagnie, le sens communautaire et familial du mouvement ouvrier, plusieurs éléments qui viennent lier la destinée de la Ville d'Asbestos à celle de ses travailleurs. Bien qu'elle n'ait duré que quelques mois, l'expérience commune de la grève vécue par la population d'Asbestos, transforma complètement cette communauté. Qu'ils soient tristes ou heureux, les événements vécus durant la grève allaient demeurer dans la mémoire collective.

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340 Gilles Beausoleil, op cit., p. 183.
341 Jacques Cousineau, L'Église d'ici et le social (1940-1960), Bellarmin, Montréal, 1982, p. 94.
342 Gilles Beausoleil, op cit., p. 195-205.
343 « Fin de la grève », Le Devoir, 1er juillet 1949.
344 « Un incident à Asbestos entre les "Scabs" et les grévistes », Le Devoir, 6 juillet 1949.
345 « Le flânage devant les salles publiques ne sera pas toléré. », L'Asbestos, 12 août 1949, p. 1.
346 « Les non-grévistes sont victimes de manifestations. », L'Asbestos, 22 juillet 1949, p. 1.
347 « Les coups suivent les paroles aigres », L'Asbestos, 2 septembre 1949, p. 1.
348 SAHRA. Fondss de la Fédération de la Métallurgie P5, Cahiers des procès-verbaux des réunions de la Fédération Nationale des Employés de l'Industrie Minière, 14 août 1949.
349 SAHRA. Fondss de la Fédération de la Métallurgie P5. Cahiers des procès-verbaux des réunions de la Fédération Nationale des Employés de l'Industrie Minière, 9 octobre 1949.
350 « Production men moved up in Asbestos fibre division », Johns Manville News Pictorial, February 1950, p. 3.
351 P. E. Trudeau, op cit., p. 238.
352 SAHRA. Fondss de la Fédération de la Métallurgie P5. Cahiers des procès-verbaux des réunions de la Fédération Nationale des Employées de l'Industrie Minière, Janvier 1950, p. 99-100.
353 P.E. Trudeau, op cit., p. 327.


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