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Vie ouvrière, syndicalisation et grève Page 11
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Gréviste jouant
aux cartes
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« Attendu que le 14 février 1949 une grève a été déclarés à Asbestos dans l'industrie de l'amiante;
Attendu que durant la semaine du 14 au 19 février tout s'est passé d'une manière paisible à Asbestos;
Attendu que le 19 février à la demande de la Canadian Johns-Manville Co. Ltd. un détachement d'environ 150 polices provinciales a été envoyé à Asbestos soit-disant pour protéger ses propriétés et ses employés salariés;
Attendu qu'à leur arrivée un grand nombre de policiers étaient sous l'influence de liqueurs alcooliques;
Attendu qu'un certain nombre se sont même rendu coupables d'actes indécents dans les rues de la ville et aussi d'avoir été des causes de désordre dans les places publiques;
Attendu que dans certains cas les polices provinciales ont usé de violence contre des constables de la Canadian Johns-Manville et des employés préposés à l'entretien durant la grève;
Attendu que ces actes ont été accomplis sous avertissement et dans le but évident de provoquer des troubles;
Il est résolu à l'unanimité des membres présents de protester auprès de M. Hilaire Beauregard, Directeur de la Police Provinciale sur la conduite de ses hommes et que copie de cette résolution soit adressée aux différents postes de radios ainsi qu'aux journaux pour publication.331 »
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Les protagonistes
de la grève
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Malgré tout, les policiers demeurèrent à Asbestos et le contingent fut même augmenté332. À partir d'avril, les policiers se chargèrent personnellement d'escorter les briseurs de grève que la compagnie recrutait. De plus, ils profitaient de l'occasion pour narguer les grévistes. La patience de ces derniers était mise à rude épreuve. Toutefois, le syndicat fut à même de démontrer à la population d'Asbestos tout le mouvement de solidarité que le conflit soulevait à travers le Québec :
« Lundi, une grande parade fut faite par les rues d'Asbestos. Une délégation d'étudiants de l'Université de Montréal sont venus rendre visite aux grévistes d'Asbestos. Un comité de secours a été formé à l'Université sous la direction de l'Équipe de recherces sociales. Une trentaine d'étudiants sont venus en automobile, apportant avec eux près de 200 $ en argent et des vivres d'une valeur à peu près égale.333 »
Malgré les appels au calme, les accrochages se multiplièrent entre les parties. La Ville décida d'intervenir pour empêcher l'escalade :
« La situation générale de la grève est discutée et à la demande d'un grand nombre de citoyens et à cause des actes regrettables qui ont été commis, le conseil étant responsable du maintien du bon ordre dans la municipalité, il est résolu comme suit :
1e Jusqu'à nouvel ordre le couvre feu aura lieu à l'heure du matin pour se terminer à 5 heures;
2e Que la salle municipale de l'Hôtel de Ville à l'avenir soit fermée à minuit et trente du matin.334 »
Lorsqu'une grève s'allonge, les risques de violence augmentent. Les négociations qui n'aboutissent pas et la victoire qui semble s'éloigner font place au pessimisme. C'est alors que le conflit prend une tout autre tangente :
« La grève se prolongeant, les esprit sont plus vifs et on a pu constater cette semaine qu'il ne faut pas grand chose pour déclencher un attroupement, un commencement de bagarre. Un appel au calme est fait par les ouvriers, mais cela ne suffit pas, car au moins trois événements ont marqué la semaine présente et ont donné à la grève une tournure pour le moins dramatique.335 »
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Les ouvriers
aux barricades
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Cette violence vient souvent de l'intransigeance des patrons qui tentent de casser la grève336. La multiplication par la compagnie des communiqués intimidants envers le syndicat et les travailleurs grévistes dans le journal local eut sans doute ses effets dans l'augmentation des tensions337. De plus, dans le conflit d'Asbestos, c'est le recours systématique aux briseurs de grève par la Canadian Johns-Manville qui allait faire culminer le recours à la violence. Les accrochages entre gréviste et non-gréviste se multipliaient. Au yeux des grévistes, ces briseurs de grève symbolisaient une défaite prochaine; de plus, ils avaient la protection de la police provinciale338. Le 29 avril, les deux parties rompirent définitivement les négociations, la compagnie insistant pour donner la priorité aux briseurs de grève. Le syndicat chercha l'appui de la Ville afin de faire pression sur la compagnie :
« Des officiers du Syndicat National de l'Amiante Inc. ainsi qu'un groupe d'ouvriers rencontrent le conseil pour lui faire les demandes suivante :
1e Enlever le couvre-feu qui a été imposé dernièrement de 1 heure à 5 heures du matin;
2e Passer un règlement afin d'empêcher les gens de l'extérieur de venir travailler à Asbestos durant la grève, alléguant que ces gens peuvent être une cause de troubles.
Le maire explique que le couvre-feu a été imposé à la demande d'un grand nombre de citoyens afin de prévenir certains troubles comme il s'en est produit depuis le commencement de la grève et si possible en éviter de plus graves, comme la ville a le devoir de protéger ses citoyens dans de telles circonstances. Le secrétaire à la demande du maire donne lecture d'une lettre de l'avocat Albert Leblanc de Sherbrooke dans laquelle il émet l'opinion que la ville pourrait être tenue responsable des dommages causés si elle ne prend pas des mesures raisonnables pour les prévenir et il cite plusieurs cas dans lesquels des villes ont été tenues responsables. Quant à la deuxième demande, le conseil ne croit pas qu'il possède les pouvoirs nécessaires pour passer un règlement empêchant les gens de l'extérieur de venir travailler à Asbestos.
Après une longue discussion les officiers du Syndicat proposent au conseil de se tenir responsables des dommages qui pourraient être causés par des grévistes pendant que durera la grève et pour ce faire donner au conseil une garantie écrite, ceci afin de permettre au conseil de dégager sa responsabilité. Le conseil demande alors aux officiers de produire par écrit le projet d'entente par lequel le Syndicat se tiendrait responsable des dommages qui pourraient être causés et que le conseil l'étudiera à une prochaine réunion.339 »
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331 |
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AVA. Procès-verbal du conseil de la Ville d'Asbestos, 21 février 1949, p. 38. |
332 |
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Jean Hamelin, Histoire du Québec, Saint-Hyacinthe, Edisem, 1976, p. 478. |
333 |
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« Appui financier aux grévistes de l'amiante. », L'Asbestos, 15 avril 1949, p. 1. |
334 |
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AVA. Procès-verbal du conseil de Ville d'Asbestos, 26 avril 1949, p. 50. |
335 |
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« Tournure dramatique de la grève d'Asbestos », L'Asbestos, 18 mars 1949, p. 1. |
336 |
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M. Perrot, op cit., p. 180-181. |
337 |
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« Déclaration de la Canadian Johns-Manville Co. Ltd. », L'Asbestos, 18 mars 1949, p. 5; «Pourquoi suivre les chefs de grève qui défient nos lois? », L'Asbestos, 18 mars 1949, p. 6.; « La grève se terminerait en fin de semaine? », L'Asbestos, 1er avril 1949, p. 4. |
338 |
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Gilles Beausoleil, op cit., p. 195. |
339 |
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AVA. Procès-verbal du conseil de Ville d'Asbestos, 29 avril 1949, p. 51. |
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