Le Canada doit faire le plein à la créativité culturelle
Une nouvelle stratégie est nécessaire pour connecter le talent créatif avec les entreprises et la technologie
De la page de l’éditorial du Globe and Mail du 4 Septembre 2012-page A17
La culture est égarée au carrefour de l’économie canadienne. Le Rapport Massey de 1951 a créé notre première “feuille de route” culturelle en insistant sur la création d’un Conseil des arts canadien pour soutenir nos créateurs et artistes des arts de la scène.
Les recommandations du rapport ont également fortement encouragées la création d’une bibliothèque nationale et le développement de nos principales institutions culturelles nationales: la Société Radio-Canada, l’Office national du film, nos archives et nos musées et le secteur de la recherche scientifique. Le rapport Massey-Lévesque affirmait alors l’importance de la culture pour la société canadienne et liait notre souveraineté et notre survie au développement d’une culture canadienne distincte.
La mise en œuvre de ces recommandations a produit des résultats extrêmement positifs. Cependant, les gouvernements successifs ont confiné la culture à un étroit créneau et le secteur culturel dans son ensemble a été relégué à la périphérie de l’élaboration des politiques gouvernementales.
Aujourd’hui, alors que nous faisons face aux défis d’une économie numérique hautement concurrentielle, les ressources culturelles du Canada, sous-capitalisées, mais combien vivantes et diversifiées, pourraient devenir d’importants atouts dans notre stratégie de l’innovation.
Les gouvernements fédéraux et provinciaux, ont été à la recherche de l’ingrédient magique qui percera le secret de l’innovation. La question est cruciale et urgente. Le Conference Board du Canada, qui a mesuré l’innovation dans 17 pays, a accordé l’affligeante 14e place au Canada.
En octobre dernier, «Innovation Canada: un appel à l’action», un rapport influent préparé sous la présidence de Tom Jenkins de OPEN TEXT, soulignait le rôle central de l’innovation comme «la source ultime de la compétitivité à long terme des entreprises et de la qualité de vie des Canadiens ».
L’explosion de la technologie mobile numérique a déjà transformé de nombreux aspects de notre vie quotidienne. Elle a radicalement changé nos lieux de travail. Les anciens modèles d’affaires et les habitudes sont remis en question, de nouvelles formes d’expression émergent et nos enfants, les natifs du numérique, fonctionnent d’une façon nouvelle.
Le numérique a radicalement changé notre façon de communiquer avec famille et amis, et la façon dont abordons nos biens culturels: comment nous écoutons la musique, comment nous créons et lisons les livres, comment nous distribuons et visionnons les films, comment nous utilisons les bibliothèques et trouvons l’information, même comment nous vivons l’expérience du théâtre, de l’opéra et du ballet.
Afin de pouvoir naviguer sur ce tsunami numérique, nous devons comprendre le rôle plus large du secteur créatif dans le programme d’innovation, et examiner comment nous gérons les changements, les défis et les possibilités qui seront bénéfiques pour notre vie comme Canadiens.
Tout au long de l’histoire, les communautés et organismes de création ont été à l’avant-garde de nos conceptions de ce que l’avenir offre, s’aventurant au-delà des dogmes conventionnels et testant les limites. Ce sont des éléments essentiels à toute mesure de notre qualité de vie. Les créateurs nourrissent et inspirent l’innovation.
Le Canada a besoin d’une nouvelle “feuille de route” novatrice qui lierait fermement le secteur dynamique de la création et de la culture aux entreprises ouvertes de la technologie. Cette collaboration est essentielle à l’atteinte du pays que nous voulons être.
Notre secteur des arts, de la culture et du patrimoine génère déjà plus de 46 milliards de dollars pour l’économie canadienne et emploie plus de 600 000 personnes. Ces seuls chiffres suggèrent que les gouvernements et les milieux d’affaires devraient reconnaître le potentiel de ce secteur à se mobiliser pour jouer un rôle croissant dans la société et montrer la voie à une stratégie d’innovation.
Les Canadiens doivent réaliser qu’il existe un bassin beaucoup plus large d’éléments créatifs que ceux que l’on trouve traditionnellement dans le domaine des arts visuels ou des arts de la scène. La créativité existe et fourmille au sein de nombreux secteurs professionnels: architectes, graphistes, designers industriels de la mode et de jeux vidéo, créateurs, journalistes, diffuseurs, chercheurs de toutes sortes, professionnels de la santé, universitaires, enseignants — et bien d’autres — en particulier parmi ceux engagés dans notre dynamique secteur de la technologie numérique.
On peut seulement commencer à imaginer les incroyables bienfaits économiques pour le Canada de se fier à une «coalition des créateurs» et d’encourager les esprits agiles du secteur culturel à collaborer avec d’autres secteurs de la conception créative et du secteur de la technologie numérique. Ensemble, ils pourraient fournir du combustible à innovation pour l’ensemble des plateformes des nouveaux médias et devenir des moteurs efficaces pour une croissance durable.
Avec de nouveaux outils de connectivité déjà intégrés dans presque tous les foyers, entreprises et institutions, l’infrastructure essentielle est déjà en place pour que les gouvernements lancent une stratégie nationale globale de l’innovation, qui inclut la culture.
Ce faisant, ce nouveau paradigme économique mènera sans doute à un recentrage de nos valeurs communes et par la suite à la création d’une nouvelle “feuille de route” culturelle, dynamique et inspirée. Une mise à jour du rapport Massey-Lévesque s’appuierait sur l’étroite interdépendance de l’innovation, de la politique économique, des arts, de la culture et de l’ensemble du secteur créatif pour enfin établir un cadre souple pour une société plus dynamique.
Le temps est compté et les possibilités éphémères. Notre économie, notre culture et notre réputation en tant que nation innovatrice et créatrice en dépendent.
Edgar A. Cowan
John Hobday, CM
Ian E. Wilson, CM
Edgar A. Cowan est un consultant en médias (arts et numérique)
John Hobday est un ancien directeur du Conseil des arts du Canada
Ian E. Wilson est un ancien Bibliothécaire et Archiviste du Canada