Preferred Language/ Langue préférée

Le gouvernement s’apprêterait-il à changer la réglementation concernant la propriété étrangère dans les industries culturelles?

Bul­letin de la CCA 5/10

9 février 2010


 

Les faits en résumé

Le 10 décem­bre 2009, le Con­seil des min­istres ren­ver­sait une déci­sion du CRTC à l’effet que la com­pag­nie Glob­alive Wire­less Man­age­ment Cor­po­ra­tion ne pou­vait détenir une licence d’exploitation de télé­phonie sans fil au Canada parce qu’elle était de facto con­trôlée par Oras­com, une com­pag­nie étrangère. En dedans de quelques jours, Wind Mobile, une divi­sion de Glob­alive, lançait son ser­vice de télé­phonie mobile à Toronto et Calgary.

Il s’agit là d’une déci­sion d’une très grande impor­tance : en ren­ver­sant la déci­sion du CRTC, le gou­verne­ment a élim­iné de fait toute restric­tion réelle sur l’acquisition par des intérêts étrangers de com­pag­nies de télé­com­mu­ni­ca­tions. La majeure par­tie des obser­va­teurs croient en effet que l’action gou­verne­men­tale ne peut qu’avoir un effet équiv­a­lent sur l’ensemble des secteurs où le Canada a tra­di­tionelle­ment lim­ité la pro­priété étrangère, dont la radiod­if­fu­sion et la câblodistribution.

En annonçant la déci­sion du Con­seil des min­istres, le gou­verne­ment a soutenu qu’il ne s’agissait pas là d’un précé­dent, une asser­tion jugée par plusieurs cri­tiques comme pure­ment rhé­torique.  Ces derniers font val­oir entre autres qu’en vertu du chapitre 11 de l’Accord nord-américain de libre-échange, (ALÉNA),une com­pag­nie améri­caine pourra désor­mais obtenir gain de cause si elle décide de pour­suivre le gou­verne­ment cana­dien si le CRTC rejette l’acquisition d’une entre­prise de radiod­if­fu­sion ou de câblodis­tri­b­u­tion dans le cadre d’une trans­ac­tion sem­blable à celle de Globalive.

Le 8 jan­vier 2010, la com­pag­nie Pub­lic Mobile, un nou­veau joueur cana­dien dans le marché domes­tique de la télé­phonie sans fil, dépo­sait auprès de la Cour fédéral une demande de révi­sion juridique de la déci­sion du Cab­i­net « afin de clar­i­fier les règles con­cer­nant la pro­priété étrangère des entre­prises de télé­com­mu­ni­ca­tion ». Le Syn­di­cat cana­dien des com­mu­ni­ca­tions, de l’énergie et du papier cherche à obtenir le droit d’intervenir dans la cause afin de soulever ses préoc­cu­pa­tions cul­turelles découlant de la déci­sion gou­verne­men­tale et pro­téger l’intégrité des restric­tions qui s’appliquent actuelle­ment à la pro­priété étrangère. On s’attend à ce que plusieurs groupes du secteur cul­turel se joignent à cette requête pour obtenir le statut d’intervenants.

Pourquoi les restric­tions sur la pro­priété étrangères sont-elles impor­tantes pour la culture?

  1. Les entre­prises cul­turelles sous con­trôle cana­dien sont plus sus­cep­ti­bles de pro­duire des oeu­vres qui reflè­tent les réal­ités de chez nous. Dans une étude pub­liée en octo­bre 2003, la Con­férence cana­di­enne des arts démon­trait com­ment les entre­prises d’enregistrement et les éditeurs cana­di­ens pro­duisent la très grande majorité des œuvres dans ces deux domaines. Les ges­tion­naires de nos indus­tries cul­turelles parta­gent notre cul­ture. Plusieurs ont choisi d’oeuvrer au pays, renonçant à l’attrait de l’étranger, pré­cisé­ment parce qu’ils tien­nent à exprimer nos réal­ités culturelles.
  2. Il est plus facile de régle­menter la pro­duc­tion et la dis­sémi­na­tion de con­tenu cana­dien par des com­pag­nies cana­di­ennes qu’il ne l’est de régle­menter des com­pag­nies étrangères. Dans le domaine audio­vi­suel en par­ti­c­ulier, il en découle de l’emploi pour un grand nom­bre d’artistes et de créa­teurs. Les accords inter­na­tionaux sur le com­merce, comme l’ALÉNA, ont restreint notre capac­ité à met­tre en oeu­vre nos poli­tiques cul­turelles et accor­dent aux investis­seurs et four­nisseurs de ser­vice étrangers des droits con­sid­érables. Mal­heureuse­ment, la nou­velle Con­ven­tion de l’Unesco sur la diver­sité cul­turelle ne peut empêcher, à tout le moins à court terme, que les accords com­mer­ci­aux affectent nos poli­tiques culturelles.

Pour en savoir davantage

Aux ter­mes des lois sur la radiod­if­fu­sion et sur les télé­com­mu­ni­ca­tions, pour obtenir une licence du CRTC, une com­pag­nie doit être la pro­priété et sous le con­trôle effec­tif de citoyens cana­di­ens. Afin d’établir si c’est le cas, le CRTC doit s’assurer que le deman­deur ren­con­tre toutes les règles tech­niques et déter­miner si des non-Canadiens ont de facto le con­trôle de l’entité cana­di­enne. Dans le cas de Glob­alive, le Con­seil avait déter­miné qu’Orascom pou­vait de fait exercer un con­trôle réel sur des déci­sions impor­tantes de la com­pag­nie cana­di­enne via la struc­ture du con­seil d’administration, les liq­uid­ités, des droits de veto, le droit d’influencer les déci­sions stratégiques et l’exploitation du réseau Glob­alive, en plus d’en con­trôler la mar­que de com­merce. Le CRTC s’inquiétait égale­ment du fait qu’Orascom déte­nait non seule­ment 65% de l’équité de Glob­alive mais égale­ment 99% de la dette.

Dans sa déci­sion du 29 octo­bre 2009, le Con­seil s’est large­ment appuyé sur sa déci­sion précé­dente de 2007 con­cer­nant l’acquisition par Can­west Global des ser­vices de télévi­sion spé­cial­isée détenus jusqu’alors par Alliance Atlantis Com­mu­ni­ca­tions.  Cette acqui­si­tion a été financée par la banque d’investissement améri­caine Gold­man Sachs et afin de répon­dre à ses préoc­cu­pa­tions face aux exi­gences de la Loi de la radiod­if­fu­sion, le CRTC avait forcé les par­ties à rené­gocier des éléments impor­tants de leur parte­nar­iat. En ren­ver­sant la déci­sion con­cer­nant Glob­alive au nom d’une plus grande com­péti­tion dans le domaine de la télé­phonie sans fil, le Con­seil des min­istres a rejeté du revers de la main les préoc­cu­pa­tions encore plus grandes que le CRTC avait exprimées dans ce dossier.

Au fur et à mesure que les dif­férences entre les com­pag­nies cana­di­ennes de télé­phonie et de câblodis­tri­b­u­tion dis­parais­sent, on verra aug­menter les pres­sions pour faire dis­paraître les restric­tions sur la pro­priété étangère de ces dernières. Mais de façon encore plus impor­tante, les nou­velles règles devront s’appliquer aux com­pag­nies de radiod­if­fu­sion, le CRTC appli­quant les mêmes critères pour déter­miner s’il existe de fait une main­mise étrangère sur le con­trôle effec­tif d’un dif­fuseur canadien.

Il est par ailleurs intéres­sant de noter que dans son édition du 4 février dernier,  le National Post rap­porte que « Selon des sources gou­verne­men­tales, le Dis­cours du Trône du 3 mars s’appuira lour­de­ment sur le rap­port du Groupe d’étude sur les poli­tiques en matière de con­cur­rence ».(trad. libre). Ce rap­port recom­mandait une libéral­i­sa­tion pro­gres­sive des règles de pro­priété dans le domaine des télé­com­mu­ni­ca­tions et de la radiodiffusion.

Plus spé­ci­fique­ment, dans sa onz­ième recom­man­da­tion, le Groupe d’étude déclare :

« 11. En con­for­mité avec le Rap­port final 2006 du Groupe d’étude sur le cadre régle­men­taire des télé­com­mu­ni­ca­tions, le gou­verne­ment fédéral devrait adopter une approche en deux étapes pour ce qui est de la par­tic­i­pa­tion étrangère à l’industrie des télé­com­mu­ni­ca­tions et de la radiod­if­fu­sion. Dans le cadre de la pre­mière étape, le min­istre de l’Industrie devrait pro­poser une mod­i­fi­ca­tion à la Loi sur les télé­com­mu­ni­ca­tions pour per­me­t­tre aux entre­prises étrangères d’établir une nou­velle entre­prise de télé­com­mu­ni­ca­tions au Canada ou d’acquérir une entre­prise de télé­com­mu­ni­ca­tions exis­tante ayant une part de 10 % ou moins du marché des télé­com­mu­ni­ca­tions au Canada. Lors de la deux­ième étape, dans le sil­lage d’un exa­men des poli­tiques touchant la radiod­if­fu­sion et la cul­ture, y com­pris le volet investisse­ment étranger, les restric­tions quant aux investisse­ments étrangers dans les secteurs des télé­com­mu­ni­ca­tions et de la radiod­if­fu­sion devraient être assou­plies dans le cadre d’une démarche qui serait neu­tre sur le plan de la con­cur­rence pour les entre­prises de ces deux secteurs. »

La Con­férence cana­di­enne des arts se préoc­cupe forte­ment d’une telle ori­en­ta­tion poli­tique et de son impact sur le secteur cul­turel et suivra le dossier de très près.

Laissez un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée champs obligatoires

*


*

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>