Le nouveau Fonds des médias du Canada: un verre à moitié plein ou à moitié vide?
Bulletin de la CCA 08/0912 mars, 2009
Pourquoi cela devrait-il vous intéresser?
Le secteur de l’audio-visuel constitue la principale source de travail au sein dju secteur culturel canadien et représente la forme d’expression culturelle qui rejoint le plus de nos compatriotes. Hill Strategies notait récemment que « bien que les artistes travaillent dans différents secteurs de l’économie, c’est dans le secteur arts, divertissement et récréation que l’on trouve le plus grand nombre d’entre eux, (52,600 ou 38% de tous les artistes). » En 2004, le Conseil des ressources humaines du secteur culturel notait que les travailleurs du secteur audio-visuel et de arts de la scène totalisaient 97,335 et avait connu une croissance de 35% entre 1991 et 2001. Le nouveau Fonds des médias du Canada encourage la production de contenu canadien et stimule la croissance continue d’un important secteur de l’économie créative au pays.
Nous croyons que le financement et la gouvernance du contenu canadien a de l’importance pour tous les travailleurs du secteur, artistes, producteurs et tous ceux et celles qui ont à cœur la culture et le patrimoine. C’est pour cela que la Conférence canadienne des arts (CCA) s’intéresse à l’évolution des structures de financement des médias canadiens et de la production de contenu original. La « crise » du Fonds canadien de télévision a donc été suivie de près au cours des deux dernières années et l’annonce de cette semaine constitue une étape importante dans ce dossier. Les faits en résumé
Le ministre du Patrimoine canadien, l’Hon. James Moore, a annoncé lundi la création du nouveau Fonds des médias du Canada (FMC), résultat de la fusion du Fonds canadien de télévision (FCT) et du Fonds canadien des nouveaux médias (FCNM) dont la survie avait été annoncée dans le budget du 27 janvier dernier. Le nouveau modèle de gouvernance devrait être annoncé d’ici quelques mois et sera pleinement en place pour l’exercice financier 2010/11. D’ici là, les fornds seront administrés sous les structures actuellement en place
Le nouveau Fonds recevra quelque 135 millions de dollars par année du gouvernement pour les deux prochaines années, ce qui représente le statu quo quant à la contribution fédérale. À cela s’ajoutent les « contributions » des compagnies de câble et de satellite (EDR) requises par le CRTC. Le nouveau FMC financera la production d’émissions canadiennes destinées à au moins deux plates-formes de distribution, dont la télévision.
La décision du gouvernement s’appuie sur quatre grands principes:
Analyse
L’annonce du ministre a suscité des réactions mitigées. Du côté positif on note :
Cela étant dit, l’annonce ministérielle semble accéder à toutes les exigences des câblodistributeurs qui ont déclenché la crise et qui étaient tous présents à la conférence de presse pour manifester leur appui à la nouvelle politique gouvernementale. « Imputabilité », « des programmes que les Canadiens veulent regarder », « équilibrer les règles du jeu » sont toutes des expressions qui viennent directement de l’utlimatum initial de Vidéotron et Shaw.
Le « rééquilibrage des règles du jeu » se fait par l’élimination de la garantie d’accès à Radio-Canada ainsi que par l’élargissement du financement aux productions maison et aux entités affiliées aux radiodiffuseur. Depuis 2005, sur la base de données historiques, Radio-Canada/CBC s’était vu garantir l’accès à 37 % du Fonds canadien de télévision, la plupart de cet argent servant à la production d’émissions dramatiques par les producteurs indépendants. Suivant le nouveau modèle mis en place, le diffuseur public aura à compétionner avec tous les autres radiodiffuseurs pour le financement d’émissions, comme ce sera le cas pour Télé-Québec et TFO. Ajoutée à l’accent désormais accordé aux émissions à fort succès d’écoute, cette modification pousse bien des gens à s’inquiéter du sort réservé aux émissions à contenu moins populaire (documentaires, arts de la scène et émissions pour enfants). Compte tenu de la situation économique actuelle, cela pourrait par ailleurs avoir des conséquences graves pour Radio-Canada. Les autres grands perdants sont les producteurs indépendants, victimes de l’élargissement de l’accès aux productions maison et aux entités affiliées aux radiodiffuseurs.
Autre sujet de préoccupation, le modèle de gouvernance mis de l’avant par le ministre. La première cause d’inquiétude découle du fait que désormais, ce sont les « bailleurs de fonds », i.e. les EDR, qui décideront de l’allocation des fonds (« imputabilité »). Cette décision ne tient aucunement compte des origines même du Fonds canadien de télévision. En 1993, les câblo-distributeurs ont obtenu du CRTC la permission de garder la moitié d’une surcharge qui leur avait temporairement été accordée par le CRTC pour l’amélioration de leurs systèmes (« capex »), en échange de l’engagement à verser l’autre moitié pour la production d’émissions canadiennes. Vu dans ce contexte, le financement total du Fonds constitue de l’argent public, la « contribution » des EDR n’étant qu’une forme de taxe perçue auprès de leurs abonnés. On peut donc s’interroger sur le bien-fondé d’accorder aux EDR cinq des sept sièges du conseil d’administration du nouveau Fonds et de leur accorder le pouvoir de décider qui recevra quoi.
En dépit du fait que le CRTC ait examiné la question deux fois et ait conclu deux fois que les allégations de conflit d’intérêt étaient sans fondement, le gouvernment a décidé d’écarter les producteurs indépendants et les radiodiffuseurs du conseil d’administration afin d’éliminer les conflits d’intérêt qui affligent prétendument l’actuel modèle de gouvernance. Mais avec la consolidation de la propriété permise au cours des dernières années, un certain nombre d’EDR sont maintenant propriétaires de stations de télévision traditionnelles ainsi que de services spécialisés, ce qui veut dire qu’ils pourraient bien avoir le pouvoir de s’accorder un traitement préférentiel. Si le ministre était préoccupé de résoudre la question de conflits d’intérêts, plutôt que de céder aux exigences des câblo-distributeurs, il aurait pu accorder une place au sein du conseil d’administration du Fonds à des représentants des associations professionnelles de la télévision, une représentation qu’ils ont faite depuis plusieurs années.
Au-delà de ces questions de conflit d’intérêts, on est en droit de se demander quelle sorte de programmation sera privilégiée par les représentants des EDR maintenant responsables de déterminer quel type de programmes les Canadiens « veulent regarder ». Plusieurs se souviennent que lors des audiences du Comité permanent du Patrimoine en 2007, un des câblo-distributeurs derrière la « crise » du FCT avait déclaré que la série CSI constituait un bon exemple d’investissement en programmation. Et il est intéressant de noter qu’un réseau de télévision appartenant à un autre EDR demande présentement au CRTC de le soustraire à toute obligation de diffuser des émissions canadiennes prioritaires (i.e. émissions dramatiques, documentaires, émissions pour enfants, etc.)
Pour en savoir davantage
L’annonce du ministre Moore cette semaine a pour but de mettre un terme à la crise créée il y a deux ans quand deux câblo-distributeurs majeurs, Shaw Cable et Vidéotron, décidaient unilatéralement de retenir leurs contributions mensuelles au Fonds canadien de télévision. Pour justifier leur action, les deux câblo-distributeurs alléguaient que le FCT était « inefficace, gaspillaient de l’argent sur la production d’émissions que le public ne voulait pas regarder et ne devrait pas consacrer 37 pour cent de son budget à la production d’émissions destinées à Radio-Canada, déjà subventionnée par le gouvernement ». S’appuyant sur des inquiétudes contenues dans un rapport de la Vérificatrice générale Sheila Fraser publié en 2005, les deux entreprises avaient accusé l’actuel conseil d’administration du FCT de conflits d’intérêt et de manque d’imputabilité.
Le déclenchement de cette crise avait mené à la tenue d’audiences par le Comité permanent du Patrimoine ainsi qu’à la création par le CRTC d’un Groupe de travail qui, après une série de consultations à huis clos, avait présenté au CRTC en juin 2007 une série de 24 recommandations. La recommandation du Groupe de travail qui avait suscité le plus de controverse était de créer « un volet distinct de financement du secteur privé davantage axé sur le marché » avec l’argent remis par les EDR, pour permettre la production d’émissions de télévision commerciales sur la base de « principes directeurs simples et souples » et de critères moins sévères quant au contenu culturel canadien. Un an plus tard, le CRTC incluait cette même recommandation dans un rapport concernant l’avenir du FCT présenté à la ministre du Patrimoine d’alors, l’Hon. Josée Verner. Créé en 1996, le FCT est un partenariat public-privé financé par le gouvernement canadien et les distributeurs par câble et par satellite. Avec un budget d’environ 250 millions de dollars (dont 150 millions proviennent de l’argent perçu à cette fin par les EDR), son rôle est d’appuyer la création et la diffusion en période de forte écoute d’émissions de grande qualité et à contenu culturel canadien, dans les deux langues officielles. La création du FCT faisait également partie d’une stratégie visant à assurer la vitalité d’un secteur indépendant de production comme une des composantes-clés du systéme canadien de radiodiffusion et de la poursuite des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion. L’ensemble des Canadiens a bénéficié culturellement de cette approche sous la forme d’émissions innovatrices et souvent récompensées par des prix, dans des genres de programmation difficiles à financer compte tenu de notre faible population. Cette politique a également eu des retombées économiques importantes via la création d’emplois et de revenu pour les créateurs, les interprètes, les réalisateurs, techniciens et autres corps de métier affiliés à cet important secteur d’activité. |