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Le projet de loi C-10: cette controverse est-elle nécessaire?

CCA Bul­letin 09/08

11 mars 2008

Les faits en résumé

Ces derniers jours, la con­tro­verse entourant le pro­jet de loi fédéral C-10 a fait les manchettes et les pages édito­ri­ales dans tout le pays.

 

La lég­is­la­tion dont il est ques­tion s’intitule “Loi mod­i­fi­ant la Loi de l’impôt sur le revenu, notam­ment en ce qui con­cerne les entités de place­ment étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l’expression bijuridique de cer­taines dis­po­si­tions de cette loi, et des lois con­nexes” (le pro­jet de loi C-10)

 

Avec un titre pareil, un sim­ple coup d’œil suf­fit pour com­pren­dre com­ment les par­lemen­taires de tous les par­tis ont pu ne pas déceler les impor­tantes con­séquences des dis­po­si­tions que l’on retrouve à la page 246 d’un doc­u­ment qui en fait 568, dans la sous-section trai­tant de la cer­ti­fi­ca­tion des films et des vidéos dans le cadre de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

C-10 est présen­te­ment à l’étude devant le Sénat du Canada, plus pré­cisé­ment devant le Comité des ban­ques et du com­merce, la dernière étape avant l’approbation finale et la sanc­tion royale. Le fait que l’attention soit main­tenant tournée entière­ment vers cette dis­po­si­tion, si tard dans les procé­dures, est en soi une chose intéressante.

 

La sec­tion offen­sante du pro­jet de loi – 120 (3) est la suivante:

 

« cer­ti­fi­cat de pro­duc­tion ciné­matographique ou mag­né­to­scopique cana­di­enne » Cer­ti­fi­cat délivré par le min­istre du Pat­ri­moine cana­dien rel­a­tive­ment à une pro­duc­tion et attes­tant qu’il s’agit d’une pro­duc­tion ciné­matographique ou mag­né­to­scopique cana­di­enne rel­a­tive­ment à laque­lle ce min­istre est convaincu :

 

(…)

 

b) que le fait d’accorder à la pro­duc­tion un sou­tien financier de l’État ne serait pas con­traire à l’ordre pub­lic. (emphase par l’auteur)

 

Il est com­préhen­si­ble que cette phrase ait soulevé un tollé qui a embar­rassé les par­lemen­taires, car elle peut être inter­prétée comme une forme de cen­sure a pos­te­ri­ori , et elle soulève égale­ment des ques­tions sur la rela­tion entre le gou­verne­ment et les agences dont le man­dat est d’épauler l’industrie du film et la télévi­sion au Canada. Un grand nom­bre d’organismes, la CCA y com­pris, ont com­mu­niqué avec la Min­istre afin de faire part de leurs craintes face au poten­tiel de cen­sure avec la dis­po­si­tion 120 (3). Plusieurs ont fait remar­quer que cette dis­po­si­tion pour­rait com­pli­quer encore davan­tage la recher­ché de finance­ment pour l’industrie de l’audiovisuel, proces­sus qui est déjà complexe.

 

Le mer­credi 5 mars 2008, à la Cham­bre des com­munes, la Min­istre de Pat­ri­moine cana­dien, l’Hon. Josée Verner, a men­tionné qu’une fois le pro­jet de loi adopté par le Sénat du Canada, elle tiendrait des con­sul­ta­tions avec le secteur cul­turel afin de dis­cuter plus par­ti­c­ulière­ment des retombées de la dis­po­si­tion 120 (3) b).

 

Cela ras­sure sans doute, mais la ques­tion fon­da­men­tale est plutôt de savoir si nous avons effec­tive­ment besoin d’une telle lég­is­la­tion afin de faire face aux prob­lèmes qui sem­blent préoc­cu­per le gouvernement.

 

Le code crim­inel cana­dien con­tient déjà des dis­po­si­tions trai­tant de la pornogra­phie, de la pornogra­phie juvénile, des crimes haineux,  de diffama­tion, de libelle et d’autres éléments, et ces dis­po­si­tions ont prouvé leur effi­cac­ité à prévenir ces abus.

 

La Cour suprême du Canada a émis des juge­ments clar­i­fi­ant cer­taines de ces activ­ités, par exem­ple la pornogra­phie (Juge­ment But­ler),  la pornogra­phie juvénile (Juge­ment John Robin Sharp), les crimes haineux (Juge­ment Zun­del), etc. Ces juge­ments s’appuient sur une recherche intel­lectuelle rigoureuse et poussée et prou­vent la dif­fi­culté de passer un juge­ment en se bas­ant sim­ple­ment sur des opin­ions ou des con­vic­tions per­son­nelles. Il est inquié­tant de penser qu’un groupe de non-juristes pour­raient être man­datés pour pren­dre de telles décisions.

 

Enfin, il existe d’autres out­ils à la dis­po­si­tion du gou­verne­ment, régis­sant les pro­duits de la crim­i­nal­ité , dans le cas où un pro­duc­teur de film serait inculpé d’une offense crim­inelle alors que le film dis­poserait d’une cer­ti­fi­ca­tion. Ces instru­ments ne suffisent-ils pas à l’intention der­rière cet amende­ment litigieux?

 

Si le gou­verne­ment est préoc­cupé par le pos­si­ble con­tenu obscène, la pornogra­phie juvénile et la lit­téra­ture haineuse (ce qui inclut la pro­mo­tion de géno­cides), ne serait-il pas plus sim­ple d’en faire men­tion dans la Loi sur l’impôt? De cette façon, la déci­sion de ne pas accorder le cer­ti­fi­cat d’exemption pour­rait être liée à la déci­sion d’un juge, con­for­mé­ment au code crim­inel cana­dien,  dont toutes les dis­po­si­tions en ce sens ont été soutenues par la Cour suprême du Canada. Cela pour­rait même mener à une saisie des sommes équiv­a­lentes à l’investissement pub­lic ini­tial, le cas échéant.

 

 

Pour en savoir davantage

 

Le texte com­plet de la sec­tion 120 (3) se lit comme suit:

 

(3) La déf­i­ni­tion de « cer­ti­fi­cat de pro­duc­tion ciné­matographique ou mag­né­to­scopique cana­di­enne », au para­graphe 125.4 (1) de la même loi, est rem­placée par ce qui suit :

 

« cer­ti­fi­cat de pro­duc­tion ciné­matographique ou mag­né­to­scopique cana­di­enne » Cer­ti­fi­cat délivré par le min­istre du Pat­ri­moine cana­dien rel­a­tive­ment à une pro­duc­tion et attes­tant qu’il s’agit d’une pro­duc­tion ciné­matographique ou mag­né­to­scopique cana­di­enne rel­a­tive­ment à laque­lle ce min­istre est convaincu :

 

a) sauf s’il s’agit d’une copro­duc­tion prévue par un accord, au sens du règle­ment, qu’une part accept­able des recettes provenant de l’exploitation de la pro­duc­tion sur les marchés étrangers est retenue, selon les modal­ités d’une con­ven­tion, par l’une ou plusieurs des per­son­nes suivantes :

 

i) une société admis­si­ble qui est ou était pro­prié­taire d’un intérêt ou, pour l’application du droit civil, d’un droit sur la production,

 

(ii) une société cana­di­enne impos­able visée par règle­ment qui est liée à la société admissible;

 

b) que le fait d’accorder à la pro­duc­tion un sou­tien financier de l’État ne serait pas con­traire à l’ordre pub­lic. (notre emphase)

 

 

Quelques autres faits entourant cet amende­ment:

 

 

1.      L’intention de mod­i­fier la Loi d’impôt sur le revenu avait tout d’abord été ini­tiée par l’Hon. John Man­ley et par l’Hon. Sheila Copps, en 2003, lorsque le gou­verne­ment libéral désir­ait mod­i­fier les dis­po­si­tion de la Loi con­cer­nant le crédit d’impôt pour les pro­duc­tion ciné­matographiques ou mag­né­to­scopiques cana­di­ennes (CIPCMC).

 

2.      La ver­sion actuelle­ment en vigueur de la Loi de l’impôt sur le revenu a reçu l’aval de tous les par­tis poli­tiques et a été adopté à trois reprises à la Cham­bre des com­munes. Les par­lemen­taires de toutes allégeances ont été for­cés d’admettre qu’ils n’avaient pas soupçonné les con­séquences de la dis­po­si­tion 120 (3) lorsqu’ils ont fait la lec­ture du pro­jet de loi C-10.

 

 

3.      Le pro­jet de loi C-10 est tou­jours devant le Comité des ban­ques et com­merce, et d’autres audi­ences seront organ­isées au sujet de l’amendement litigieux, con­séquence du tollé de protes­ta­tions. La CCA a demandé de com­para­ître le comité sénatorial.

 

4.      De très nom­breux com­men­taires édito­ri­aux ont été pub­liés sur le sujet et la vaste majorité des com­men­taires s’opposent à une inter­pré­ta­tion de la dis­po­si­tion 120(3) qui ouvri­rait la porte à des déci­sions poli­tiques sub­jec­tives au sujet du mérite artis­tique d’une pro­duc­tion particulière.

 

 

ERRATUM:

La CCA a com­mis une erreur lors de la dif­fu­sion de ce bul­letin en nom­mant la cause John Robin Sharpe, la cause Robin Mitchell Sharpe. La CCA s’excuse de tout incon­vénient ayant pu découler de cette erreur.

 

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