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Les arts et la controverse sur le recensement long format

 

Bul­letin de la CCA 20/10

20 juil­let 2010


Les faits en résumé

Le 26 juin dernier, alors que l’attention des Cana­di­ens était fixée sur les réu­nions du G-8 et du G-20 à Toronto, le gou­verne­ment annonçait dis­crète­ment sa déci­sion de rem­placer le long for­mu­laire du recense­ment, que 20% de la pop­u­la­tion est obligée de rem­plir à tous les cinq ans, par un sondage volon­taire qui sera expédié à un tiers des ménages au pays. La ver­sion courte du recense­ment, qui ne com­porte que huit ques­tions, restera oblig­a­toire et est pro­tégée par la Constitution.

Sta­tis­tique Canada n’a pas été con­sulté au préal­able sur l’impact d’une telle déci­sion mais s’est sim­ple­ment fait deman­der de pro­poser des solu­tions alter­na­tives, dont ses porte-parole recon­nais­sent qu’aucune ne pourra fournir la même quan­tité ou la même qual­ité d’information. Tous les sta­tis­ti­ciens sont d’accord : le recours à un sondage volon­taire des foy­ers cana­di­ens, même sur la base d’un échan­til­lon­nage agrandi, ne peut com­penser le change­ment de méthodolo­gie. En outre, il en coûtera 30 mil­lions de dol­lars de plus aux con­tribuables cana­di­ens pour admin­istrer un sys­tème que tous les spé­cial­istes décri­ent comme déficient.

Com­ment cette déci­sion du gou­verne­ment affectera-t-elle le secteur des arts et de la cul­ture?

Les gou­verne­ments de tous niveaux et les organ­ismes cul­turels à tra­vers le pays utilisent le long recense­ment directe­ment ou indi­recte­ment pour dévelop­per des poli­tiques et plan­i­fier et éval­uer des pro­grammes de sou­tien aux arts. Il est cru­cial d’avoir des don­nées fiables sur les change­ments démo­graphiques au sein des com­mu­nautés afin de plan­i­fier cor­recte­ment les pro­grammes et les infra­struc­tures culturelles.

Selon l’ancien Sta­tis­ti­cien en chef, Ivan Fel­legi, qui a passé 51 ans de sa vie au sein de Sta­tis­tique Canada avant de pren­dre sa retraite en 2008, aucun sondage volon­taire ne peut com­penser le change­ment rad­i­cal de méthodolo­gie. Un des prob­lèmes majeurs du sys­tème pro­posé en rem­place­ment du recense­ment oblig­a­toire, c’est qu’il va résul­ter en une sous-représentation d’un grand nom­bre de citoyens, y com­pris les Pre­mières Nations, les plus pau­vres, les plus for­tunés, et les tra­vailleurs autonomes, dont un fort con­tin­gent est con­sti­tué d’artistes.

Nous per­drons donc des don­nées impor­tantes sur la main-d’œuvre cul­turelle au pays. La Con­férence cana­di­enne des arts, le Con­seil des ressources humaines du secteur cul­turel et les organ­ismes cul­turels à tra­vers le pays dépen­dent des don­nées du recense­ment long for­mat pour obtenir des infor­ma­tions de base sur les pro­fes­sion­nels de la cul­ture. Les artistes sont mobiles, vivent sou­vent dans des secteurs non-traditionnels et comp­tant pour la plu­part sur d’autres occu­pa­tions comme prin­ci­pales source de revenu. Bien que le recense­ment oblig­a­toire ne soit pas un instru­ment par­fait pour recueil­lir des don­nées sur les artistes, il s’agit d’une méthodolo­gie bien supérieure à un sondage volon­taire, qui a encore moins de chance de fournir des infor­ma­tions val­ables. Il est en effet estimé peu prob­a­ble que des artistes qui vivent au seuil de la pau­vreté auront le temps ou la moti­va­tion de fournir l’information dont le secteur a besoin pour son développe­ment si le sondage est volontaire.

Une autre source de préoc­cu­pa­tion pour le secteur cul­turel réside dans l’impact que la nou­velle approche aura sur la pré­pa­ra­tion même des sondages volon­taires. Pour créer un échan­til­lon­nage sta­tis­tique­ment val­able,  il est en effet néces­saire de se baser sur un recense­ment ou sur un autre instru­ment qui reflète au mieux l’ensemble des indi­vidus dans une pop­u­la­tion.  S’appuyer à l’avenir sur un sondage volon­taire aux résul­tats méthodologique­ment biaisés ne peut que vicier le sys­tème sta­tis­tique en entier, dès que l’on parle d’autre chose que des don­nées des entre­prises, lesquelles sont pour la plu­part obtenues dif­férem­ment. En plus des biais méthodologiques inhérents à un sondage volon­taire, il sera désor­mais impos­si­ble de com­parer les don­nées d’un sondage à un autre et d’analyser les ten­dances à tra­vers le temps, deux éléments fon­da­men­taux dans le développe­ment de poli­tiques et de pro­grammes qui s’appuient sur une analyse des faits.

C’est pour toutes ces raisons que la CCA a décidé d’ajouter sa voix au vent de protes­ta­tion qui bal­aie le pays et réclame du gou­verne­ment qu’il revi­enne sur sa déci­sion. Comme prési­dent du Comité con­sul­tatif national sur les sta­tis­tiques cul­turelles de Sta­tis­tique Canada, j’ai donc envoyé une let­tre au Sta­tis­ti­cien en chef, le Dr. Munir Sheikh. La CCA a égale­ment écrit au Min­istre de l’industrie, l’Hon. Tony Clement dont relève Sta­tis­tique Canada, le pres­sant de faire en sorte que le gou­verne­ment revi­enne sur sa décision.

Nous invi­tons tous nos mem­bres indi­vidu­els et organ­i­sa­tion­nels à écrire au gou­verne­ment et à leur député(e) pour pro­tester con­tre cette déci­sion inac­cept­able (voir ci-bas la sec­tion Que puis-je faire?). Le secteur des arts et de la cul­ture a été générale­ment absent du débat autour de cet enjeu fon­da­men­tal : il est temps de se faire enten­dre et de se join­dre au mou­ve­ment de protes­ta­tion générale.

Pour en savoir davantage

Si le gou­verne­ment espérait que la nou­velle passe inaperçue à cause d’un été par­ti­c­ulière­ment chaud ou de la fas­ci­na­tion pour la Coupe mon­di­ale de soc­cer, il doit être amère­ment déçu. Cette déci­sion uni­latérale a soulevé un tollé à tra­vers le pays. Elle est dénon­cée avec autant de vigueur par les com­mu­nautés d’affaires et les uni­ver­si­taires, les provinces et les munic­i­pal­ités, la pro­fes­sion médi­cale, les écon­o­mistes, les soci­o­logues, les généal­o­gistes et les his­to­riens, les groupes com­mu­nau­taires et les organ­ismes de bien­fai­sance, les minorités fran­coph­o­nes, les par­tis d’oppostion, etc.

Selon le min­istre de l’Industrie Tony Clement, respon­s­able de Sta­tis­tique Canada, le gou­verne­ment aurait reçu de nom­breuses plaintes à l’effet que le long for­mu­laire du recense­ment vio­lait la vie privée des citoyens cana­di­ens. Devant l’ampleur de la réac­tion, cette expli­ca­tion est main­tenant reprise par nom­bre de min­istres et députés con­ser­va­teurs, cer­tains allant même jusqu’à sug­gérer que les protes­tataires vien­nent de groupes d’intérêt par­ti­c­uliers qui veu­lent prof­iter de l’argent des con­tribuables pour obtenir des faits appuyant leurs argu­ments. Les expli­ca­tions du gou­verne­ment sont réfutées l’une après l’autre et le sujet fait la manchette des jour­naux à tra­vers le pays.

L’incapacité du gou­verne­ment à étayer les raisons qu’il avance ont poussé nom­bre de cri­tiques à con­clure qu’il s’agit en fait d’une déci­sion idéologique.  Ces derniers notent que sans don­nées fiables et com­pa­ra­bles, il devient impos­si­ble de pren­dre des déci­sions basées sur des con­sid­éra­tions factuelles et qu’il est trou­blant de voir nos lead­ers élus penser qu’il est de loin préférable de fab­ri­quer des preuves pour jus­ti­fier ses déci­sions préal­ables.

Ce qui est par­ti­c­ulière­ment choquant, c’est de voir que la déci­sion imposée à Sta­tis­tique Canada va coûter 30 mil­lions de dol­lars de plus aux con­tribuables pour livrer ce que l’ensemble des sta­tis­ti­ciens con­sid­èrent comme des don­nées viciées et pour ainsi dire sans valeur. À ces coûts, il fau­dra ajouter les coûts con­sid­érables aux­quels fer­ont face les diverses com­posantes de la société pour des don­nées qui devien­dront pro­gres­sive­ment moins fiables au fur et à mesure que nous nous éloignerons du recense­ment de 2006 et qu’il sera impos­si­ble de faire des com­para­isons d’un sondage à l’autre.

Quand on con­sid­ère les réduc­tions budgé­taires subies par Sta­tis­tique Canada au cours des quinze dernières années (et pas plus tard que l’an dernier), et la dégra­da­tion con­séquente des ser­vices four­nis, il est dif­fi­cile de com­pren­dre com­ment le gov­ern­ment peut jus­ti­fier avoir trouvé autant d’argent au moment même où il cherche les moyens de réduire le déficit budgé­taire. Com­ment en effet un gou­verne­ment qui se dit préoc­cupé de gérer de façon respon­s­able l’argent des con­tribuables cana­di­ens peut-il expli­quer dépenser des mil­lions de plus pour pro­duire des don­nées de qual­ité inférieure qui ne peu­vent même pas se com­parer au fil du temps?

En 2003, le Bureau du recense­ment aux États-Unis a pro­duit, à la demande du Con­grès améri­cain une étude sur l’impact que causerait l’abandon du recense­ment oblig­a­toire long for­mat. Les con­clu­sions de ce rap­port ont forcé l’administration Bush à faire marche arrière et à annuler sa déci­sion de rem­placer l’approche oblig­a­toire en faveur de sondages volon­taires. Si le gou­verne­ment ne change pas sa déci­sion devant une oppo­si­tion crois­sante dans tous les milieux de la société cana­di­enne, le Canada sera le seul pays au monde à notre con­nais­sance qui aura renoncé au car­ac­tère oblig­a­toire du recense­ment long-format. Il sem­ble par ailleurs que le nou­veau gou­verne­ment con­ser­va­teur en Grande-Bretagne a l’intention de faire de même.

Que puis-je faire?

L’abolition du recense­ment long for­mat oblig­a­toire est un enjeu très impor­tant pour nous tous, non seule­ment comme mem­bres du secteur cul­turel mais comme citoyens. Nous vous invi­tons instam­ment à faire con­naître votre oppo­si­tion à votre député(e), au Min­istre Clement et au Pre­mier Min­istre Harper, ainsi qu’au Leader de l’Opposition et aux chefs des Parti néo-démocrate et du Bloc Québé­cois. Vous trou­verez un mod­èle de let­tre ici (ver­sion PDF — cliquez ici).

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