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Cinq décisions de la Cour Suprême sur le droit d’auteur : consommateurs 4.5, artistes 0.5

CCA Bul­letin 11/12

Le 17 juil­let 2012

La Cour Suprême rendait jeudi dernier cinq juge­ments qui ont un impact sig­ni­fi­catif sur l’interprétation du droit d’auteur au Canada. Ces déci­sions ont été ren­dues en fonc­tion de la ver­sion précé­dente de la Loi sur le droit d’auteur, le pro­jet de loi C-11 n’ayant pas encore été adopté lors des audi­ences en décem­bre dernier. La Cour a de fait réaf­firmé l’existence de « droits de l’utilisateur » et le besoin d’avoir une approche « généreuse » dans l’interprétation de la notion d’utilisation équitable, deux aspects de sa déci­sion de 2004 qui ont soulevé bien des inquié­tudes non seule­ment au pays mais sur la scène inter­na­tionale et ont provo­qué la con­tro­verse dans les milieux légaux.

Cette approche est celle du gou­verne­ment dans C-11 et le fait que la Cour réaf­firme la posi­tion adop­tée dans son juge­ment de 2004 ren­dra la vie plus dif­fi­cile pour les sociétés de ges­tion et pour les déten­teurs de droit en général, pour qui les événe­ments des dernières semaines ont été par­ti­c­ulière­ment pénibles : pro­mul­ga­tion de C-11 le 30 juin; court-circuitage deux semaines plus tard par le min­istre de l’Industrie des audi­ences de la Com­mis­sion du droit d’auteur con­cer­nant le bien-fondé d’imposer une rede­vance sur les cartes mémoires et main­tenant, ces cinq juge­ments de la Cour Suprême.

Un des juge­ments les plus atten­dus était celui lié aux pho­to­copies d’extraits de manuels sco­laires par un pro­fesseur. Cette cause oppo­sait les min­istres de l’éducation du Canada (sauf le Québec) à Access Copy­right. La Cour a référé de nou­veau la cause à la Com­mis­sion du droit d’auteur qui devra décider si ce juge­ment mod­i­fie son impres­sion que l’utilisation était équitable.

Le juge­ment réjouit les milieux de l’éducation, notam­ment le Con­sor­tium du droit d’auteur du Con­seil des min­istres de l’éducation du Canada et la Fédéra­tion cana­di­ennes des étudi­ants. Mme Ramona Jen­nex, min­istre de l’Éducation de la Nouvelle-Écosse et prési­dente du Con­sor­tium du droit d’auteur du CMEC a affirmé : « Les pays dont les lois sur le droit d’auteur per­me­t­tent au per­son­nel enseignant de copier de courts extraits ont tous une indus­trie de l’édition de manuels sco­laires prospère. La repro­duc­tion de courts extraits ne peut rem­placer l’achat de ressources didac­tiques pro­tégées par le droit d’auteur. » Pour sa part, Access Copy­right a réagi de façon nuancée à cette déci­sion de la Cour Suprême. Selon la société de ges­tion, ce type de copie représente moins de 7% des copies faites à l’école. La direc­trice générale Mau­reen Cavan affirme : « La déci­sion ne sig­ni­fie absol­u­ment pas un « bar ouvert » sur le droit d’auteur pro­tégé par les matéri­aux util­isés dans la salle de classe ».

Dans les causes liées à la musique, la Cour Suprême devait trancher notam­ment sur l’écoute et l’achat de la musique en ligne : l’écoute préal­able des pièces musi­cales avant l’achat devrait-elle faire l’objet de rede­vances? Un tarif sup­plé­men­taire doit-il être exigé pour le télécharge­ment de la musique ou pour la trans­mis­sion de la musique en con­tinue (streaming)?

Dans le cas des télécharge­ments et de l’écoute préal­able, la Cour a statué en faveur des géants des télé­com­mu­ni­ca­tions (opposés à demande de la SOCAN) : il n’y aura donc pas de rede­vances sup­plé­men­taires. Selon la Cour Suprême : «Dans les faits, il n’y a aucune dif­férence entre acheter un exem­plaire durable de l’œuvre en mag­a­sin, recevoir un exem­plaire par la poste ou télécharger une copie iden­tique dans inter­net». Par con­tre, dans le cas de la trans­mis­sion en con­tinue, la Cour a réaf­firmé qu’une écoute en ligne sans télécharge­ment demeure sujette au verse­ment de droits d’auteur, puisqu’il s’agit d’une « com­mu­ni­ca­tion au public ».

Les autres causes traitaient d’une rede­vance par­ti­c­ulière pour les jeux vidéos téléchargés en ligne plutôt qu’achetés sur sup­port physique. La Cour a égale­ment tranché sur le fait que les artistes et les maisons de dis­ques n’ont pas le droit à une rémunéra­tion lorsque leurs enreg­istrements sont insérés à la télévi­sion ou dans les films. Pour Ian McKay, prési­dent de Ré:Sonne, « La loi cana­di­enne sur le droit d’auteur a aujourd’hui désa­van­tagé les artistes cana­di­ens et les maisons de dis­ques par rap­port à ceux de nom­breux autres pays partout dans le monde. »

Ironique­ment, le 26 juin à Bei­jing, les 185 États mem­bres de l’Organisation Mon­di­ale de la Pro­priété Intel­lectuelle (OMPI) final­i­saient un traité audio-visuel qui ren­force les droits économiques des artistes inter­prètes dans les médias audio­vi­suels. L’absence de tout représen­tant du Canada, qui fait pour­tant par­tie de l’OMPI, a été remar­quée. Si et quand le Canada adhère à ce traité, cette ques­tion de l’inclusion des droits des inter­pré­ta­tions d’enregistrements sonores dans des œuvres audio­vi­suelles devra prob­a­ble­ment être revue.

On remar­que par ailleurs que dans toutes les déci­sions rel­a­tives à la musique, la Cour a statué que des rede­vances avaient déjà été payées à d’autres moments du proces­sus créatif et qu’il n’y avait pas lieu de super­poser les droits afin d’assurer une neu­tral­ité technologique.

Pour en savoir davantage :

Voici un sur­vol de chaque cause à par­tir des déci­sions de la Cour Suprême.

1. La trans­mis­sion point à point du site Web d’un ser­vice de musique en ligne à un con­som­ma­teur indi­viduel constitue‑t‑elle une com­mu­ni­ca­tion privée? — La trans­mis­sion en con­tinu de fichiers sur Inter­net à la demande d’utilisateurs indi­vidu­els constitue‑t‑elle une com­mu­ni­ca­tion au pub­lic, par le ser­vice de musique en ligne qui l’offre, des œuvres musi­cales con­tenues dans les fichiers?

Cette cause oppo­sait Rogers, Shaw, Bell et Telus à la Société cana­di­enne des auteurs, com­pos­i­teurs et éditeurs de musique (SOCAN). Deux ques­tions se posaient dans ce dossier :

La Cour a statué qu’aucune rede­vance ne devrait être payée lorsque l’œuvre est téléchargée, mais que les artistes devraient être rémunérés si la musique est trans­mise en con­tinue. Selon les infor­ma­tions recueil­lies, la SOCAN pour­rait retourner en Cour pour obtenir des éclair­cisse­ments sur la décision.

2. Les pho­to­copies des manuels sco­laires par un pro­fesseur constituent-elles une util­i­sa­tion équitable?

Cette cause revê­tait une grande impor­tance pour Access Copy­right qui était opposée au gou­verne­ment alber­tain par le biais de la min­istre de l’éducation. Cette dernière était appuyée par les min­istères de l’ensemble des provinces sauf celui du Québec. La Cour Suprême demande que la cause soit réen­ten­due par la Com­mis­sion du droit d’auteur, afin qu’elle puisse revoir sa déci­sion à la lumière du présent jugement.

Avant l’adoption récente de C-11, l’utilisation équitable d’une œuvre n’était per­mise que si elle était effec­tuée pour des fins de recherche ou d’étude privée. Pour mieux étayer ses con­clu­sions, la Cour s’est basée encore une fois sur l’arrêt CCH de 2004. L’intention du pro­fesseur lorsqu’il effectue des copies pour les étudi­ants n’est pas de faire de l’argent, cela est donc accept­able, d’autant plus que « rien ne démon­tre l’existence d’un quel­conque lien entre la pho­to­copie de courts extraits et la diminu­tion des ventes de manuels. Outre la pho­to­copie, plusieurs autres con­sid­éra­tions sont en fait davan­tage sus­cep­ti­bles d’expliquer la baisse. »

Notons que qua­tre juges sur neuf, les juges Deschamps, Fish, Roth­stein et Cromwell, sont dissidents.

3. La trans­mis­sion d’une œuvre musi­cale lors du télécharge­ment d’un jeu vidéo est‑elle une « com­mu­ni­ca­tion au pub­lic » au sens de la Loi sur le droit d’auteur?

Cette cause oppo­sait l’Association cana­di­enne du logi­ciel de diver­tisse­ment et la SOCAN. La déci­sion était très partagée, puisqu’ici aussi 4 juges sur 9 sont dissidents.

Con­traire­ment à ce qu’affirmait la Com­mis­sion du droit d’auteur, la Cour Suprême affirme qu’un tarif dis­tinct appliqué au télécharge­ment pour la « com­mu­ni­ca­tion » d’une œuvre musi­cale va à l’encontre du principe de la neu­tral­ité tech­nologique. « Dans les faits, il n’y a aucune dif­férence entre acheter un exem­plaire durable de l’œuvre en mag­a­sin, recevoir un exem­plaire par la poste ou télécharger une copie iden­tique dans inter­net. ESA a déjà versé aux tit­u­laires du droit d’auteur des rede­vances pour la repro­duc­tion de l’œuvre dans le jeu vidéo. » La Cour Suprême demande donc à la Com­mis­sion du droit d’auteur d’annuler sa déci­sion selon laque­lle livrer par inter­net une copie per­ma­nente d’un jeu vidéo qui ren­ferme une œuvre musi­cale équiv­aut à « com­mu­ni­quer » cette œuvre pour l’application de l’al. 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur.

Les qua­tre juges dis­si­dents (LeBel, Fish, Roth­stein et Cromwell) nuan­cent l’importance accordée à la neu­tral­ité tech­nologique. En effet, ils affir­ment que : « Le droit de repro­duc­tion demeure applic­a­ble à l’exemplaire obtenu par télécharge­ment même si celui-ci est numérique, et le droit de com­mu­ni­ca­tion s’applique tou­jours aux com­mu­ni­ca­tions numériques même si elles peu­vent dif­férer des tech­nolo­gies de dif­fu­sion traditionnelles. »

4. L’écoute préal­able d’extraits musi­caux offerte par les sites com­mer­ci­aux constitue-t-elle une util­i­sa­tion équitable à des fins de recherche?

Cette cause oppo­sait les sociétés col­lec­tives de droit d’auteur à des four­nisseurs de ser­vice comme Bell, Apple et Rogers Com­mu­ni­ca­tions con­cer­nant l’écoute préal­able, per­me­t­tant aux util­isa­teurs de choisir ce qu’ils veu­lent acheter en con­nais­sance de cause. Un représen­tant des com­pos­i­teurs, auteurs et éditeurs de musique avait demandé à la Com­mis­sion du droit d’auteur « de fixer les rede­vances exi­gi­bles lors de la com­mu­ni­ca­tion au pub­lic d’œuvres musi­cales sur inter­net. La Com­mis­sion avait con­venu qu’une rede­vance pour le télécharge­ment d’une œuvre musi­cale pou­vait être perçue, mais qu’aucune rede­vance ne devrait être payée pour l’écoute préal­able d’une durée de 30 à 90 sec­on­des. La Cour Suprême recon­firme l’arrêt de CCH (2004) rel­a­tive­ment à l’utilisation équitable.

5. Les artistes et les maisons de disque ont‑ils le droit de recevoir une rémunéra­tion au titre de l’article 19 de la Loi sur le droit d’auteur quand leur musique est jouée au cinéma et à la télévision?

Enfin, la cinquième cause oppo­sait la société de ges­tion Ré:Sonne à la Fédéra­tion des asso­ci­a­tions de pro­prié­taires de ciné­mas du Canada, Rogers Com­mu­ni­ca­tions Inc., Shaw Com­mu­ni­ca­tions Inc., Bell ExpressVu LLP, Cogeco Câble inc., East­Link, Québé­cor Media, TELUS Com­mu­ni­ca­tions, l’Association cana­di­enne des radiod­if­fuseurs et la Société Radio‑Canada.

La Cour Suprême a statué que les artistes-interprètes et les pro­duc­teurs d’enregistrements sonores n’ont pas droit à un paiement spé­cial quand leurs œuvres font par­tie de la bande sonore d’un film ou d’une émis­sion de télévi­sion. « En vertu de l’art. 19 de la Loi, Ré:Sonne a le droit de percevoir une rémunéra­tion équitable au nom des artistes‑interprètes et des pro­duc­teurs d’enregistrements sonores lorsque leurs enreg­istrements font l’objet d’une exé­cu­tion en pub­lic ou d’une com­mu­ni­ca­tion au pub­lic par télécommunication. »

Lors de la rédac­tion de la révi­sion de la Loi sur le droit d’auteur en 1997, « … la déf­i­ni­tion d’« enreg­istrement sonore » a été mod­i­fiée à l’étape du Comité afin de s’assurer qu’une bande sonore ne soit pas un enreg­istrement et, par con­séquent, qu’elle ne donne pas droit à une rémunéra­tion équitable lorsqu’elle accom­pa­gne un film ou une émis­sion de télévi­sion, alors que la bande sonore serait un enreg­istrement et don­nerait droit à une rémunéra­tion équitable lorsqu’elle est exé­cutée séparé­ment du film ou de l’émission en question. »

*Nous avons fait des révi­sions au Bul­letin. Prière d’utiliser cette ver­sion comme référence.

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