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Le projet de loi C-32: qu’y a-t-il là pour les artistes?

 

Bul­letin de la CCA 15/10

 

3 juin 2010

 


Analyse

Hier, le gou­verne­ment con­ser­va­teur dépo­sait en pre­mière lec­ture à la Cham­bre des com­munes le Pro­jet de loi C-32 visant à mod­erniser la Loi du droit d’auteur. Ce pro­jet tant attendu a fait l’objet de beau­coup de spécu­la­tion et de préoc­cu­pa­tion de part et d’autre de ce qui est, et con­tin­uera sans doute d’être un ardent débat au sein du pub­lic canadien.

Le doc­u­ment de 65 pages con­tient toute une série d’amendements à la courante Loi et un peu partout à tra­vers le pays, on s’affaire à en déchiffrer les méan­dres. Déjà de part et d’autre du large fossé qui divise les ayants droit des utilisateurs/consommateurs, on a iden­ti­fié des amende­ments essen­tiels à y apporter. C-32 con­stitue l’effort le plus récent – et le troisième en cinq ans – pour combler ce fossé le mieux pos­si­ble. Cette fois, on espère que la révi­sion tien­dra cinq ans: une des pro­vi­sions intéres­santes du pro­jet de loi con­siste en effet à imposer une révi­sion quin­quen­nale de la Loi sur le Droit d’auteur.

Le but prin­ci­pal du pro­jet de loi C-32 est de con­former la loi cana­di­enne aux pro­vi­sions des traités de l’Organisation mon­di­ale sur la pro­priété intel­lectuelle (OMPI), chose générale­ment bien accueil­lie par la com­mu­nauté des déten­teurs de droit, tout par­ti­c­ulière­ment dans les indus­tries des jeux élec­tron­iques, de la musique et du film. Le gou­verne­ment tente par ce pro­jet de loi d’établir un com­pro­mis accept­able entre les diverses fac­tions. De toute évidence, il va devoir faire davan­tage pour arriver à insat­is­faire tout le monde égale­ment (sinon équitable­ment), et cela sera la préoc­cu­patin de tous les groupes d’intérêt au cours du proces­sus par­lemen­taire qui s’amorce.

Côté artistes et inter­prètes, la réac­tion est à peu près unanime: C-32 ne fait rien pour appuyer les créa­teurs cana­di­ens. Tous dénon­cent le fait que le pro­jet de loi rend la copie privée légale sans inclure de com­pen­sa­tion équitable pour l’utilisation de leurs oeu­vres. L’Union des artistes, ACTRA, la Guilde des musi­ciens, les sociétés de per­cep­tion de droits, tous ont reçu l’appui des cri­tiques du Bloc Québé­cois et du NPD dans leur dénon­ci­a­tion de cette omis­sion dans la loi. Même l’Association des con­som­ma­teurs du Québec s’est rangée de leur côté sur ce point!

Le recours à des ser­rures élec­tron­iques, poussé depuis des années par les lob­bys améri­cains et par les multi­na­tionales, est cepen­dant loin de faire l’unanimité. Les organ­i­sa­tions d’artistes soulig­nent que cela ne leur amèn­era aucune com­pen­sa­tion pour le revenu qu’ils per­dent depuis plusieurs années et Char­lie Angus, cri­tique du NPD, s’insurge con­tre la crim­i­nal­i­sa­tion de la copie privée, affir­mant que « Les seuls droits que les citoyens cana­di­ens obti­en­nent en vertu de ce pro­jet de loi sont ceux que l’industrie améri­caine du diver­tisse­ment voudra bien leur accorder. »  (trad. libre)

C-32 com­prend égale­ment des pro­vi­sions visant la vio­la­tion du droit d’auteur. Les sites pirates sont par­ti­c­ulière­ment visés par le biais de détecteurs tor­rent. Lorsque informé par un ayant droit qu’un de ses abon­nés télécharge illé­gale­ment du matériel, un four­nisseur de ser­vice Inter­net devra désor­mais expédier un avis à son client et con­server cette cor­re­spon­dance en archive pour util­i­sa­tion lors d’une éventuelle pour­suite devant les tribunaux.

De l’autre côté du fossé, les défenseurs des “droits de l’utilisateur/consommateur” accueil­lent favor­able­ment cer­tains change­ments à la loi comme les pro­vi­sions qui ren­dent légales les pra­tiques courantes de trans­fert de sup­port et d’enregistrements pour écoute en dif­féré de matériel acquis légale­ment. On reçoit égale­ment favor­able­ment la clar­i­fi­ca­tion des respon­s­abil­ités des four­nisseurs de ser­vices Inter­net et le fait que con­traire­ment à son prédécesseur, le Pro­jet de loi C-61, C-32 établit une dis­tinc­tion entre le piratage à fins privées et celui à fins com­mer­ciales. Le pro­jet de loi diminue les amendes pour vio­la­tions privées de 20 mille à 5 mille dollars.

Comme on pou­vait s’y atten­dre, l’élargissement de la notion d’util­i­sa­tion équitable n’est reçu qu’avec un ent­hou­si­asme très mit­igé, la propo­si­tion du gou­verne­ment n’allant pas assez loin selon ce groupe. La loi actuelle per­met l’utilisation sans per­mis­sion préal­able de matériel pro­tégé que pour des fins de recherche, d’étude privée, de com­mu­ni­ca­tions de nou­velles, de compte-rendu et de cri­tique. À ces excep­tions, le pro­jet de loi ajoute la copie sécu­ri­taire, l’éducation, la par­o­die et la satire. La Cana­dian Asso­ci­a­tion of Uni­ver­sity Teach­ers con­sid­ère pour sa part que le pro­jet de loi con­stitue un pas en arrière pour le monde de l’éducation.

Une autre pro­vi­sion poten­tielle­ment con­tro­ver­sée – et apparem­ment une pre­mière mon­di­ale – con­siste à per­me­t­tre la créa­tion de «mash-up ». Les créa­teurs auraient la pos­si­bil­ité de pren­dre du matériel pro­tégé exis­tant, de le manip­uler et d’en créer une nou­velle œuvre. Cepen­dant la loi établit plusieurs excep­tions impor­tantes, dont le fait que la nou­velle créa­tion ne soit pas à fins com­mer­ciales ni n’affecte la répu­ta­tion de l’artiste original.

Mais aux yeux des util­isa­teurs de droits, la faille majeure dans C-32 réside en ce que le pro­jet de loi accorde l’ultime supré­matie aux déten­teurs de droits en leur don­nant le pou­voir d’imposer le respect des ser­rures élec­tron­iques s’ils déci­dent d’en appli­quer à leur matériel. Selon Michael Geist:

« Le déten­teur de pro­priété intel­lectuelle gagne à tout coup. Cela représente une inter­ven­tion en faveur d’un mod­èle d’affaire par­ti­c­ulier de la part d’un gou­verne­ment qui pré­tend appuyer le marché libre. Cela veut dire en pra­tique que les excep­tions actuelles con­cer­nant l’utilisation équitable (la recherche, l’étude privée, la com­mu­ni­ca­tion de nou­velles, le compte-rendu et la cri­tique) et les nou­veaux droits pro­posés (la par­o­die, la satire, l’éducation, la copie pour fin sécu­ri­taire, le trans­fert de for­mat et l’enregistrement pour vision­nement en dif­féré) dis­parais­sent du moment où l’ayant droit installe une ser­rure élec­tron­ique sur son con­tenu ou son appareil. » (trad. libre)

De fait, cela soulève des dif­fi­cultés : les com­pag­nies de musique, de film et les radiod­if­fuseurs seront-elles encour­agées à mul­ti­plier l’usage de ser­rures élec­tron­iques? Le trans­fert d’un sup­port à un autre via un ordi­na­teur de matériel acquis légale­ment sera-t-il crim­i­nal­isé du fait que l’utilisateur devra dévérouiller le con­tenu? En d’autres mots, le pro­jet de loi enlève-t-il d’une main ce qu’il accorde de l’autre?

Une majorité des ayants droit ont réponse à cette ques­tion: éten­dre le régime de copie privée à toutes les plate­formes, une approche qu’appuie la CCA. Mais comme le gou­verne­ment a pris la posi­tion ferme qu’il con­sid­ère le régime de copie privée comme une taxe injuste pour les con­som­ma­teurs, qui devrait dis­paraître d’elle-même avec le recours de plus en plus grand aux nou­veaux sup­ports numériques, ceux qui avan­cent qu’il s’agit là de la meileure façon d’établir l’équilibre néces­saire entre ayants droit et util­isa­teurs devront s’en remet­tre aux par­tis d’opposition pour amender la loi en ce sens..

Le gou­verne­ment a sug­géré qu’il aimerait procéder rapi­de­ment à l’examen en comité du pro­jet de loi, préférable­ment en ten­ant l’examen en comité durant l’été. Cette propo­si­tion a été reçue plutôt froide­ment par les par­tis d’opposition ainsi que par cer­taines par­ties intéressées qui pensent que ce pro­jet de loi est trop impor­tant pour être adopté à la va-vite. La sug­ges­tion du gou­verne­ment peut avoir à faire avec son intérêt à accélérer autant que pos­si­ble la négo­ci­a­tion en cours avec l’Union Européenne, laque­lle a établi très claire­ment que la mod­erni­sa­tion de la loi cana­di­enne sur le droit d’auteur était une des con­di­tions de base à la con­clu­sion d’un accord com­mer­cial comme le souhaite le gouvernement.

Pour en savoir davantage

Selon le Com­mu­niqué sur le site web de Pat­ri­moine cana­dien, « Ce pro­jet de loi est l’un des piliers de l’engagement qu’a pris le gou­verne­ment dans le dis­cours du Trône de 2010 pour faire du Canada un chef de file de l’économie numérique mon­di­ale. »  Le but de la loi est de pro­téger et de créer des emplois, de pro­mou­voir l’innovation et d’attirer de nou­veaux investisse­ments au Canada. Selon le Min­istre Moore, le pro­jet de loi « établit un équili­bre logique entre les intérêts des con­som­ma­teurs et les droits des créa­teurs », une opin­ion qui vis­i­ble­ment n’est pas partagée par tous.

Plus spé­ci­fique­ment, les objec­tifs du pro­jet de loi sont de:

  • met­tre à jour les droits et les mesures de pro­tec­tion dont béné­fi­cient les tit­u­laires du droit d’auteur, en con­for­mité avec les normes inter­na­tionales, afin de mieux tenir compte des défis et des pos­si­bil­ités créés par Internet;
  • clar­i­fier la respon­s­abil­ité des four­nisseurs de ser­vices Inter­net et ériger en vio­la­tion du droit d’auteur le fait de faciliter la com­mis­sion de telles vio­la­tions en ligne;
  • per­me­t­tre aux entre­prises, aux enseignants et aux bib­lio­thèques de faire un plus grand usage de matériel pro­tégé par le droit d’auteur sous forme numérique;
  • per­me­t­tre aux enseignants et aux élèves de faire un plus grand usage dematériel pro­tégé par le droit d’auteur;
  • per­me­t­tre aux con­som­ma­teurs de faire cer­tains usages de matériel pro­tégé par le droit d’auteur;
  • con­férer aux pho­tographes des droits égaux à ceux con­férés aux autres créateurs;
  • élim­iner la spé­ci­ficité tech­nologique des dis­po­si­tions de la loi;
  • prévoir un exa­men quin­quen­nal de la loi par les parlementaires.

Que puis-je faire?

Si vous êtes préoccupé(e) par la pro­duc­tion de biens cul­turels de chez nous et que vous croyez que les artistes doivent recevoir une com­pen­sa­tion équitable pour l’utilisation de leurs oeu­vres, con­tac­ter votre deputé(e), surtout si c’est un mem­bre du Parti Libéral, et signifiez-lui l’importance d’inclure un régime de copie privée revu et amélioré dans le pro­jet de loi C-32.

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