Méfiez-vous d’Amazon
par Douglas Gibson
La majorité des lecteurs sont conscients qu’Amazon devient rapidement une force croissante dans l’industrie. Peu sont conscients cependant à quel point elle devient dominante…en fait, l’adjectif « dominant » est approprié dans ce cas…s’il rime avec « intimidant». Laissez-moi vous expliquer de quelle façon l’expérience m’a affecté en tant qu’auteur canadien.
En février dernier Amazon était engagée dans la renégociation des conditions avec l’Independent Publishers Group (IPG). IPG est un distributeur nord-américain qui gère des dizaines de maisons d’édition, la plupart d’entre elles assez petites. Parmi les éditeurs représentés se trouve ECW Press, mon excellent éditeur canadien. La « négociation » consistait en fait à une exigence d’Amazon d’augmenter le rabais qui lui est consenti, ce qui aurait fait diminuer les revenus des auteurs et des éditeurs de près de 10%, tant pour les livres imprimés qu’électroniques.
Soutenus par les éditeurs qu’il représente, IPG a protesté. Ensuite, ils ont appris ce que signifie « négocier » avec Amazon. Avec un fusil sur la tempe, Amazon intimait à IPG d’accepter la proposition sinon tous ses titres seraient retirés du site d’Amazon. C’est exactement ce qui s’est produit en février. Et c’est toujours la situation aujourd’hui.
Il y a eu un tollé général dans la communauté des libraires, y inclus parmi certaines librairies indépendantes américaines qui ont stocké les titres des éditeurs touchés. Certains participants au débat dans le journal « Publishers Weekly » ont qualifié le comportement d’Amazon de « voyou ».
Mais selon moi, c’est exactement le but d’Amazon : délibérément cibler les petits poissons « pour encourager les autres ». En d’autres termes, pour effrayer les autres éditeurs plus importants qui devront « négocier » en temps et lieu avec Amazon : ces éditeurs sauront que leurs livres ne seront plus répertoriés s’ils refusent les conditions dictées par le géant.
Voilà, je crois, un modèle qui verra Amazon devenir de plus en plus gros, mais pas meilleur. Tous les libraires sont conscients de la technique de la vitrine adoptée par Amazon. Amazon rend très facile la comparaison entre les prix en magasin et les prix coupés d’Amazon, forçant ainsi les libraires à baisser leur prix. Un gérant du magasin « Book City » à Toronto m’a dit qu’il a discuté de cette question à trois reprises avec des clients. Il soulignait que lui et ses collègues avaient des emplois à Toronto, que le magasin fournit un environnement agréable pour l’achat de livres en plus de payer des taxes municipales. Il a gagné le débat deux fois sur trois. Amazon a paraît-il arrêté son programme de vitrine. Mais l’intention d’agresser est limpide.
Nous l’avons vu encore le 13 avril dernier lorsque le ministère de la justice des États-Unis a appuyé Amazon dans sa plainte à l’égard de la compagnie Apple qui aurait agi de connivence avec de grands éditeurs américains pour fixer les prix des livres électroniques, attribuant à Apple des frais de distribution de 30%. C’était une victoire historique pour Amazon qui s’est fait passer alors pour le défenseur du consommateur qui désire ses livres électroniques le moins cher possible. Le New York Times a cité un observateur de l’industrie qui a dit que si Amazon avait elle-même tiré les ficelles, elle n’aurait pas obtenu d’aussi bons résultats.
Parlant au nom des auteurs américains, Scott Turow, a déploré le fait qu’en prétendant lutter contre les monopoles, le ministère de la Justice venait en réalité de créer un véritable monopole dans le monde du livre. Il faisait évidemment référence au pouvoir dominant d’Amazon.
Mais ce pourrait être pire. Amazon achète des maisons d’édition pour qu’elles travaillent pour elle. C’est un peu comme une entreprise de livraison de pizza qui achète des tonnes de farine et de fromage, et cela provoque bien des commentaires. (Un ami éditeur cynique m’a dit de ne pas m’en faire et me raconte un exemple canadien qui date un peu. « Tu te souviens quand Coles a commencé à publié des livres? Les distributeurs se retirent toujours du marché lorsqu’ils réalisent comment c’est difficile de produire des livres du début à la fin! » Nous verrons bien.
Quant à moi, il y a bien d’autres façons d’obtenir Stories About Storytellers en version électronique sans passer par Amazon. Mais j’ai eu une crise de conscience lorsque j’ai réalisé que j’avais accepté d’être juré dans le Prix Amazon Canada First Novel, administré par Quill & Quire. J’ai rempli mon devoir en tant que juge (très impressionné par les cinq romans qui étaient finalistes, dont The New World de David Bezmozgis, le gagnant. En fin de compte, j’ai accepté le paiement de Quill & Quire, mais ai refusé l’offre d’un don supplémentaire d’Amazon. Cela me laisse libre d’écrire ce genre d’appels à la prudence.
Douglas Gibson est un ancien membre du conseil d’administration de la CCA. Après une carrière de 42 ans dans le secteur de l’édition de livre il a écrit ses mémoires, Stories About Storytellers : Publishing Alice Munro, Robertson Davies, Alistair MacLeod, Pierre Trudeau, and Others (2011)…qu’il a transformé en conférence/spectacle.
Les mémoires de Douglas Gibson, STORIES ABOUT STORYTELLERS: Publishing Alice Munro, Robertson Davies, Alistair MacLeod, Pierre Trudeau and Others (Octobre 2011, ECW Press) est disponible dans les bonnes librairies et dans les détaillants en ligne (Cloth edition : ISBN 978–1-77041–068-8/ePub :978–177090-049–3. Pour de plus amples renseignements : www.douglasgibsonbooks.com
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