Le CRTC et le contenu culturel canadien
Bulletin de la CCA 53/0620 décembre 2006 |
• D écision sur la demande de redistribution de services de radio par satellite
• La nouvelle politique sur la radio commerciale
• Les audiences sur la télévision conventionnelle « en direct »
• Les nouveaux médias : le CRTC décide encore une fois de ne rien décider !
Les faits en résumé
La production et la présentation de la musique et des dramatiques canadiennes ont préoccupé énormément la Conférence canadienne des arts (CCA) au cours des neuf derniers mois.Nous sommes intervenus à plusieurs reprises dans les procédures du CRTC, à la fois par écrit et en personne : au printemps, dansl’examen de la politique sur la radio commerciale; au cours de l’été, concernant les demandes de permis présentées par des entreprises de distribution en matière de radiodiffusion (EDR) pour distribuer desservices de radio par satellite par abonnement; au début de l’automne, dans la consultation sur l’incidence des nouvelles technologies sur le système de radiodiffusion canadien et, plus récemment, dans l’examen du cadre réglementaire de la télévision conventionnelle « en direct ».
Au moment où l’année 2006 tire à sa fin, il convient de revoir ces divers dossiers de la radiodiffusion, qui touchent quelques-unes des priorités centrales de la CCA, à savoir la production et la distribution de l’expression culturelle canadienne, dans ces cas-ci la musique dans le cas de la radio et les dramatiques en ce qui concerne la télévision.
Radio par satellite
Le 28 novembre dernier, le CRTC a annoncé sa décision d’autoriser Rogers Cable Communications (et, par voie de conséquence, toutes les autres EDR qui avaient demandé la même chose) à distribuer à leur gré le service de programmation sonore d’une ou de plusieurs entreprises autorisées de radio par satellite par abonnement. Ce faisant, le CRTC a rejeté les arguments avancés par un certain nombre de distributeurs (incluant SaskTel, Telus, MTS Allstream et le Groupe de services vidéo Bell) qui avaient prétendu disposer déjà de cette autorisation.
Un grand nombre d’organismes culturels canadiens (SOCAN, ADISQ, CIRPA, UDA, AFofM, etc.) - s’étaient opposés successivement à Rogers, Bell, Shaw, Telus et Vidéotron, alléguant que cela allait contribuer à la perte des services payants de programmation sonore existants dont le contenu est vraiment canadiens et que, tout à fait contrairement aux arguments des EDR , cela allait signifier moins de choix pour les Canadiens en réduisant le nombre et la variété des artistes canadiens auxquels ils ont accès.
Nous pouvons tous prétendre à une victoire partielle : si le CRTC a permis la redistribution des services de programmation sonore de radio par satellite par abonnement, il a imposé des conditions claires de licence afin de protéger la quantité et la variété plus considérables du contenu canadien des services payants de programmation sonore canadiens. Les EDR peuvent distribuer la totalité ou une partie des services de programmation sonore des entreprises autorisées de radio par satellite à condition que l’abonné reçoive déjà au moins 40 canaux d’une entreprise ou plus de services de programmation sonore payants. Cela a pour effet de rétablir une réglementation relativement forte en matière de contenu canadien, réglementation affaiblie par la décision du CRTC d’accorder des licences aux EDR en 2005.
Nouvelle politique sur la radio commerciale
Le 15 décembre, le CRTC a publié sa « nouvelle » politique attendue depuis longtemps sur la radio commerciale. Là encore, le secteur de la culture a accueilli la décision avec des sentiments partagés.
Premièrement, le CRTC rejette les arguments de l’ensemble du secteur culturel, qui souhaitait voir augmenter à au moins 40 % le niveau requis de musique populaire diffusée sur les ondes des stations de radio commerciales. En ce qui concerne un enjeu plus marginal en raison du nombre de stations de radio concernées, le Conseil est d’accord avec la recommandation de la CCA d’augmenter à 25 % les exigences de contenu de musique classique canadienne et à 20 % les exigences de contenu de la musique canadienne de jazz et de blues : le niveau réglementaire minimum courant de ces genres est à 10 %. Cependant, ces augmentations se produiront seulement au prochain renouvellement de la licence de chaque station, ce qui veut dire dans quelques années pour certaines d’entre elles.
En ce qui a trait à la contribution des radiodiffuseurs au développement du contenu canadien (il est intéressant de noter que le CRTC ne parle plus de développer le talent canadien), le Conseil a établi une nouvelle approche fondée sur les revenus de la station de radio plutôt que sur les dimensions du marché dans laquelle elle évolue. L’argent généré devra encore être redirigé en grande partie par l’entremise de FACTOR et MUSICATION. La CCA était en faveur de ce mode de distribution de l’argent, mais il y a aussi de nombreux détracteurs de cette décision, qui font valoir que la plus grande partie de l’argent va à Vancouver, à Toronto et à Montréal et que le reste du pays ne reçoit que des miettes. Le CRTC estime que si le nouveau système avait été en place en 2005, il aurait pu générer jusqu’à concurrence de quatre millions de dollars de plus pour le développement du talent (contenu) canadien, c’est-à-dire une augmentation de 20 % par rapport aux niveaux courants.
En ce qui conscerme la diversité du choix musical au lieu d’entendre le même petit nombre de chansons et d’artistes qui jouent tout le temps partout, un point très débattu aux audiences, le CRTC a décidé de limiter l’exercice de ses pouvoirs en se contentant de demander aux radiodiffuseurs, au moment du renouvellement de leurs licences, de s’engager spécifiquement à faire entendre et à promouvoir les nouveaux artistes canadiens.
Malheureusement, le CRTC ne s’est pas montré très bon pour faire appliquer ses propres conditions de licence, et encore moins pour demander aux radiodiffuseurs de rendre compte des promesses de rendement qu’ils n’ont pas tenues. Il est intéressant de noter que cette démarche à la pièce a été très critiquée par un conseiller dissident de la décision de la majorité. Il semble que les nouveaux artistes font mieux de continuer à se fier sur les services payants de programmation sonore canadiens et sur l’Internet pour se trouver un public!
Examen du cadre réglementaire de la télévision conventionnelle « en direct »
La CCA a participé au processus d’examen du cadre réglementaire de la télévision conventionnelle « en direct » entrepris par le CRTC et qui se termine cette semaine. Concentrant son attention sur l’enjeu culturel le plus crucial, soit les émissions dramatiques — particulièrement à la télévision anglaise — la CCA a d’aborddéposé le 27 septembre une analyse exhaustive des diverses tentatives du CRTC au cours des trente dernières années, la plupart infructueuses, pour assurer que, conformément aux dispositions de la Loi sur la radiodiffusion , les Canadiens ont accès à leurs propres histoires lorsqu’ils allument leurs téléviseurs. Notre analyse non contestée démontre qu’au cours des dix dernières années, les modifications de la politique du CRTC ont fait en sorte que plus de 800 millions de dollars pour la production d’émissions dramatiques canadiennes et de programmation régionale ont été perdus. En outre, si le CRTC n’adopte pas de mesures correctives fermes comme il l’a fait en 1977, dans dix ans (soit la durée de vie approximative d’une politique du CRTC), les radiodiffuseurs canadiens dépenseront 75 % de plus pour acquérir de la programmation américaine que pour acquérir de la programmation canadienne.
Lors des audiences du 1 er décembre, la CCA a appuyé les propositions des radiodiffuseurs, qui désirent que les distributeurs paient des frais mensuels de soutien de la production de contenu culturel canadien. Cependant, au lieu de lier ces frais au nombre de stations conventionnelles d’un marché donné (ce qui engendre des disparités spectaculaires d’une région du pays à une autre), nous proposons d’imposer des frais fixes de trois dollars par mois. Pour assurer que cette fois l’argent soit vraiment consacré à la production de programmation canadienne, nous avons proposé que les 300 millions de dollars ainsi générés soient confiés au Fonds canadien de télévision pour être affectés aux meilleurs projets : que la vraie concurrence se produise là où elle devrait! Nous avons également recommandé, entre autres scénarios, un règlement établissant un pourcentage minimum des recettes brutes réalisées par le radiodiffuseur l’année précédente, qui devrait être dépensé au titre de la programmation canadienne (32 %) et des dramatiques (5 %) respectivement.
Finalement, pour assurer que ces programmes seront vus, nous nous sommes joints à un grand nombre d’autres intervenants du secteur audio-visuel pour demander que chaque radiodiffuseur soit tenu de présenter trois heures de dramatiques canadiennes par semaine, entre 20 h et 22 h, quand la plupart des Canadiens regardent la télévision.
Cette semaine, dans une phase plus technique du processus, nous déposons notre réplique concernant une partie de l’argumentation ou des affirmations non étayées présentées par les radiodiffuseurs au cours des audiences.
Le CRTC est censé annoncer sa nouvelle politique sur la télévision dans environ six mois.
À la demande du gouvernement, le CRTC a évalué au cours des six derniers mois l’incidence des nouvelles technologies sur la radiodiffusion traditionnelle. Cette évaluation incluait une invitation publique à commenter au cours de l’été.
Dans son mémoire du 1 er septembre, la CCA a fait valoir que si les médias traditionnels ne sont pas menacés à court terme, le CRTC doit faire preuve de vision, il doit reconnaître leur importance croissante, particulièrement pour les générations plus jeunes, et il doit leur demander de contribuer financièrement au contenu culturel canadien de la même façon que les radiodiffuseurs traditionnels ont été obligés de le faire au fil des ans.
Malheureusement, dans son rapport intitulé « L’environnement futur du système canadien de radiodiffusion », le CRTC déclare que « le temps n’est pas encore venu de créer de nouvelles règles qui forceraient les radiodiffuseurs internet et sans fil à inclure du contenu canadien ou à respecter d’autres normes que le CRTC impose aux radiodiffuseurs conventionnels » [traduction]. Le CRTC ne voit pas la nécessité d’intervenir pendant encore 10 ans!
Curieusement, encore une fois, le CRTC ne pas respecte son mandat de base, c’est-à-dire assurer la réalisation des objectifs culturels de la Loi sur la radiodiffusion (1991) : il justifie son inaction en disant simplement que la radio privée continue de faire de l’argent et que les stations de télévision privées sont en bonne santé financière, laissant entendre ainsi que s’assurer que les Canadiens trouvent leurs propres produits culturels sur toutes les plates-formes n’est pas l’une des priorités de son mandat. Il sera intéressant de voir si le Conseil conclura que les stations de télévision sont toujours aussi en santé lorsqu’il publiera son nouveau cadre réglementaire de la télévision conventionnelle « en direct » dans six mois!
Ce n’est pas tout.
Politique sur la radio commerciale 2006 : Deux des cinq conseillers ont présenté des opinionsdissidentes très fortes. Lecture intéressante pour ceux qui s’interrogent parfois à propos de certaines décisions de l’organisme de réglementation.