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Charles Huot et la peinture d'histoire au
Palais législatif de Québec (1883-1930)
par Robert Derome
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La technique utilisée par le peintre semble avoir été
éprouvée à l'église Saint-Sauveur. (66) C'était
en effet la première fois que Huot peignait d'aussi grandes toiles
qui devaient ensuite être marouflées sur le plafond ou sur
le mur. Après s'être procuré une quantité
suffisante d'une toile à forte fibre, ultra résistante, (67)
les problèmes suivants se posèrent: comment préparer
cette toile pour satisfaire à la fois l'esthétique voulue,
la durabilité, (68) et la souplesse indispensable à son transport
et à son application sur le mur. Huot s'enquérit auprès
de son ami le peintre Édouard Lefèvre, parent de son protecteur
parisien Gustave Lefèvre Niedermeyer directeur de l'École
de musique religieuse. (69) À deux reprises, il lui transmet une recette pour préparer
« la
toile absorbante ». (70) Celle-ci semble combiner les caractéristiques
désirées: fini mat (pour éviter les reflets qui nuiraient à
la lisibilité de l'oeuvre), souplesse et résistance
accrue à l'humidité. (71) Une fois la toile marouflée,
il ne reste plus qu'à y effectuer les dernières
retouches. L'apparence finale s'apparente quelque peu à celle de la fresque.
Terminé en octobre, Le débat sur les
langues est inauguré le 11 novembre 1913. (72) C'est un triomphe, tel que le confirme Huot à
son ami Delamarre en décembre:
« Le tableau continue toujours à jouir d'une
bonne réputation. Je n'entends que des éloges de
toutes parts. Espérons que cela va continuer. » (73)
La même lettre
annonce un second contrat, l'ornementation du plafond de la même salle
d'une allégorie.
En février 1914, Huot définit à Delamarre
le projet de sa deuxième murale:
« Vous vous informez de mon tableau pour le Parlement. J'y
travaille avec ardeur, c. a. d. à l'esquisse. Le sujet auquel on
semble s'arrêter c'est la devise « Je me souviens ». Vous
vous rappelez, nous en avons parlé, je crois. C'est très difficile
à faire, car il faut y mettre nécessairement beaucoup de monde, ce
qui rend le tableau très compliqué, et par conséquent coûteux
[...]. Je vous écrirai plus au long la prochaine fois au sujet du
motif du tableau auquel vous semblez tant vous intéresser. Vous
pourrez ainsi nous donner votre avis, qui ne sera pas de trop. » (74)
Le ratification du contrat a lieu en juillet suivant. (75) Le prix
atteint presque le double du premier travail, somme très importante
à l'époque. Alors que son premier contrat avait été réalisé en
moins de trois ans, celui-ci s'étendra sur six années. Cette
commande, dont le sujet semble lui avoir été imposé, ne
l'enthousiasme pas. Son caractère allégorique trop vague et son
thème à la fois trop vaste et trop lâche ne réussissent pas à
stimuler son imagination. Cet état de fait se répercute sur la
durée du travail, qui traîne en longueur, et l'ardeur consacrée
à la réalisation de l'oeuvre.
Une première esquisse est décrite et commentée par Ernest Gagnon dès janvier 1915 (voir fig.
13). (76) En 1916 le
peintre a déjà touché des acomptes de $2500 pour
ses travaux préliminaires. (77) En 1917, il écrit à
Alice:
« Tu me demande si je vais aller à Montréal.
Non, je ne puis pas y aller maintenant, je n'ai pas le temps du tout. Il
faut que j'avance mon tableau, car je m'attends d'un jour à l'autre
à la visite des ministres qui vont certainement trouver que ça
ne va pas vite, et puis cela ferait mauvais effet. » (78)
Ce qui ne manque pas d'arriver puisqu'en 1918 on le somme de
« compléter
[son] tableau du plafond sans retard ». (79) Son esquisse est apparemment
modifiée à plusieurs reprises. En février 1919 il
geind: « j'ai [...] travaillé après ces esquisses de plafond
là. C'est bien difficile. » (80) Taschereau, insatisfait de
la composition, exige qu'elle soit modifiée. La figure centrale,
jeune femme
assise sur un rocher, pensive, la tête appuyée sur son
bras, est remplacée par une femme debout tenant une couronne de
lauriers (voir fig. 17). (81) De l'idée originale exprimée par
le premier titre, Évocation, on passe à une apothéose
de nos grands hommes. Cette mutation forcée détruit non
seulement l'intention de l'artiste, mais le caractère poétique
du sujet et l'équilibre de sa composition.
À l'automne 1919 la toile est marouflée sur le plafond. L'ébauche sera terminée sur place, retouchée
à l'aide de pinceaux à très longs manches (voir couverture). Mais ce travail ne peut être terminé avant l'ouverture
de la session. Du haut des échafaudages, Huot s'employera à
cette tâche durant la prochaine vacance parlementaire. L'oeuvre
est finalement dévoilée juste avant Noël 1920. (82) L'année
suivante est publiée une brochure explicative qui couronne l'entreprise et en scelle la valeur artistique et
nationaliste. (83) Cependant, le
peintre considère sa tâche inachevée. En février 1921 il voudrait aller se renseigner en
Europe pour la parachever. Il demande $2000 et sollicite une
« commande
de tableaux à placer dans [les] caissons autour du tableau central ».
Il réitère sa demande en juillet sans plus de succès. (84)
Les caissons destinés aux allégories des métiers demeureront
vides. Le projet du peintre nous est cependant rendu accessible par l'esquisse
qu'il nous en a laissé (voir fig. 14).
En
1926 Huot obtient son dernier contrat: remplacer le tableau de Henri
Beau par une reconstitution du Conseil Souverain (fig. 15). Le contrat
est de $8000. (85) Les journaux annoncent qu'il décorera également le plafond de cette
salle. (86) En 1927 il obtient des lettres de créances
qui lui faciliteront ses recherches
« archéologiques »
lors d'un séjour de trois mois en Europe. (87) Mais la maladie terrasse
le peintre qui s'éteind le 27 janvier 1930. (88) L'oeuvre ébauchée
attend qu'on la termine dans les locaux de l'école des Beaux-Arts
de Québec. (89) Le gouvernement agit avec célérité.
Une nuée de peintres recueille les miettes. Horatio Walker touche
$500 pour sa contribution, qui semble s'être limitée à
établir la part des artistes impliqués « afin d'émettre
des chèques à qui de droit. » (90) Charles Maillard
et Ivan Neilson, respectivement directeurs des écoles des Beaux-Arts
à Montréal et à Québec, recueillent officiellement
l'honneur d'avoir terminé l'oeuvre. (91) Maillard touche le plus gros
magot puisqu'il a organisé et surveillé tous les travaux;
Neilson se contente d'un rôle effacé. (92) Ceux qui ont véritablement
peint l'oeuvre sont deux étudiants: l'un de Québec, Paul Bédard,
élève de Neilson; l'autre de Montréal, Henri Bélisle,
élève de Maillard. Bédard et Neilson meurent en 1931,
Maillard beaucoup plus tard. Henri Bélisle vit toujours et nous
a révélé les circonstances de ce contrat. Lorsqu'il
fut choisi par Maillard, la toile de Huot était dans la salle de
sculpture de l'école des Beaux-Arts de Québec. Le sujet principal
était assez avancé: la table avec les personnages assis autour,
le mur derrière avec les drapeaux et les fenêtres. La partie
gauche de la toile avec les deux hallebardiers était vierge; la
partie droite avec la porte ouverte n'était qu'ébauchée.
À l'aide des esquisses de Huot (93) on fit de grands dessins que l'on
transféra au pochoir sur la toile. Des costumes et même des
modèles ont été utilisés. Maillard se contenta
de retoucher le travail lorsqu'il fut achevé. Le tout avait duré
quatre ou cinq semaines, vers les mois de juillet et août 1930. L'exécution terminée, Bélisle et Bédard n'eurent plus rien
à voir avec l'oeuvre. Maillard veilla à son installation.
Ce fut la dernière décoration murale du Palais législatif, bien que l'on eût proposé en 1959 de décorer
le plafond de cette même salle. (94)
Les commandes de Huot pour l'embellissement des édifices
du Parlement ne s'arrêtèrent pas aux seules oeuvres picturales.
En décembre 1914 il fut payé $600 pour un tableau dont Henri
Perdriau, verrier de Montréal, tira un vitrail pour la bibliothèque
de la législature. Cette allégorie du savoir intarissable s'intitule «
je puise mais n'épuise » d'après
une idée du bibliothécaire Ernest Myrand. (95) Le vitrail fut
exécuté en 1915 sous la surveillance de Huot dont le gouvernement défraya le séjour à Montréal. (96)
Il fut
également consulté pour le tapis de l'Assemblée
législative dont il fournit un modèle en 1914. (97) Il exécuta
aussi quelques portraits et restaura d'autres tableaux défraîchis. (98) Mais, de façon plus exceptionnelle,
Huot eût le privilège de loger son atelier dans les édifices
mêmes du Parlement. (99) Peu après l'inauguration de son
Débat sur les
langues, il semblait acquis qu'il
était devenu le peintre officiel du gouvernement et que lui seul décorerait de murales l'enceinte du Palais
législatif.
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