Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 27, 1976

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Charles Huot et la peinture d'histoire au 
Palais législatif de Québec (1883-1930)

par Robert Derome

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Morisset outrepasse la pensée artistique de l'époque lorsqu'il affirme que le chef-d'oeuvre de Huot est son esquisse La Bataille des Plaines d'Abraham. (129) Si on attribue une haute valeur artistique à celle-ci, il n'est pas sûr qu'on la perçoive à travers la grille interprétative qui lui est contemporaine. Une forte ambivalence existait alors entre l'appréciation de l'esquisse et de l'oeuvre finie, allant du rejet total de l'esquisse en tant que valeur esthétique (elle est alors considérée comme un brouillon ou une étape qui mène à l'oeuvre finale) pour évoluer vers une appréciation de son aptitude à produire un « effet ». (130) Avant de porter un jugement sur la valeur de l'une par rapport à l'autre, il faudrait jeter plus de lumière sur les concepts véhiculés à cet égard par Huot lui-même (131) et ses contemporains.

Morisset ignore les innombrables critiques passionnées citées plus haut lorsqu'il déclare: « Ce qui manque à leur peinture [Eugène Hamel et Charles Huot], c'est le nerf, l'accent, le cri de l'homme qui découvre une beauté et l'exprime dans une sorte d'exaltation sacrée. » (132) Il eût voulu que Huot se mutât en novateur, en créateur de formes esthétiques nouvelles alors que son but était tout autre. Le cri et l'exaltation de Huot étaient surtout patriotique et subsidiairement esthétique, ce que Morisset lui-même reconnaissait. Il commente encore:

« Eugène Hamel et Charles Huot forment un tandem d'artistes consciencieux et désaxés, amoureux de leur art mais ficelés dans des formules à leurs yeux évidentes, pleins de facilité et d'adresse mais incapables de se forger un langage personnel, un idiome original, un graphisme réfléchi. Au fond, ils écrivent la langue de tout le monde, avec un vocabulaire restreint et une syntaxe hésitante. »
(133)

Morisset n'a pas analysé en profondeur les tendances artistiques de cette époque. Il ne faut pas oublier que Huot a fait oeuvre de pionnier dans la décoration d'édifices publics au pays. Outre cet aspect novateur, il ne faut pas négliger l'impact des contingences idéologiques et sociales. Les milieux politiques et intellectuels imposaient un cadre rigide auquel Huot dut s'astreindre s'il voulait obtenir ses contrats puis rejoindre son public; c'est précisément là que les entreprises des Bourassa, Hamel et Suzor-Coté avaient échoué. Huot y a parfaitement réussi si l'on en juge par les contrats obtenus et par les critiques de ses contemporains qui ont apprécié avec exaltation ses oeuvres. On lui interdisait donc toute dérogation à l'esthétique admise tout en le contraignant d'écrire la langue de tout le monde. D'ailleurs Huot était aussi rébarbatif aux changements brusques et aux innovations fracassantes que la société ultramontaine dans laquelle il évoluait. Ainsi est-il en accord avec l'élite contemporaine lorsqu'il déclare que les peintres modernes ne sont que des bolcheviques, des anarchistes qui s'amusent à barbouiller des oeuvres sans valeur esthétique ni contenu moral. (134) L'oeuvre de Huot au Parlement marque donc une étape importante de notre histoire de l'art, car elle demeure le plus grand et le plus intéressant ensemble de cette nature. Comparée aux rares manifestations décoratives influencées par l'académisme français, elle prend figure de chef-d'oeuvre dans l'art canadien. 

De cette revue de la critique, il ressort clairement que la décoration murale la plus prisée fut Le débat sur les langues autant par ses valeurs esthétiques que nationalistes. La seconde, Je me souviens, fut surtout louée pour son apologie de nos gloires nationales. Le sujet, qui avait peu enthousiasmé le peintre, a été modifié à trop de reprises pour n'être pas laborieux. La dernière composition « qui est médiocrement meublée et présente des vides désagréables » (135) vaut presque uniquement pour sa reconstitution historique et son caractère décoratif. Ces deux derniers ouvrages souffrirent des dérogations majeures quant aux projets initiaux de l'artiste: l'un avait été soumis aux desiderata des politiciens, l'autre interrompu par la mort du peintre. Pour ces raisons, seul Le débat sur les langues fera l'objet d'une étude approfondie.

Jusqu'à ce jour cette oeuvre a été connue sous plusieurs titres partiellement ou totalement inadéquats. Certains sont carrément erronés: 10 ceux qui donnent une fausse date par rapport à l'événement représenté, v. g.: « Une séance du premier parlement canadien en 1792 »; « Premier Parlement -1792 »; « Le Premier Parlement de Québec en 1791 »; « Premier Parlement de 1792 »; I° ceux qui affirment qu'il s'agit de la première séance de l'Assemblée législative, celle où on procéda à l'élection de l'Orateur, v. g.: « La première séance de l'Assemblée Législative de 1792 »; « L'ouverture du premier Parlement canadien »; 
« Première séance du Parlement canadien ». Cette dernière supposition ne peut être retenue puisque l'Orateur, déjà élu, préside l'Assemblée. La majorité des autres titres sont incomplets ou imprécis, v. g.: « Le Premier Parlement canadien »; « Une séance du Premier Parlement du Bas-Canada tenue le 21 janvier 1793 »; « Premier parlement du Bas-Canada »; « Premier Parlement de Québec »; « Séance du 21 janvier 1793 de l'Assemblée législative du Bas-Canada ». Tous ces titres présentent le même vice de forme: on y prend le cadre physique, historique et politique de l'événement pour le sujet. Tous les auteurs, après avoir énoncé ce titre, se sentent obligés d'expliquer le véritable sujet qui est le débat sur les langues tenu lors de la séance du 21 janvier 1793 de l'Assemblée législative du Bas-Canada. Il peut être intéressant de se demander jusqu'à quel point cette façon de procéder ne fut pas adoptée pour éviter une discussion sur le sujet du tableau qui aurait pu provoquer la répétition de la mésaventure vécue par C. A. Smith. Signalons par ailleurs que l'expression « premier parlement » est une traduction littérale de l'anglais « First Parliament » qui signifie « première législature », c'est-à-dire la période durant laquelle une assemblée législative exerce ses pouvoirs. Bien que cette extension de sens soit acceptée en français, l'usage en est désuet et engendre la confusion. De plus, son utilisation dans le titre ajoute une redondance à la date déjà exprimée. Un retour aux sources nous permet de constater que le seul titre authentique qui fut donné par Huot est celui qui apparaît à l'endos d'une esquisse (voir fig. 10); il se lit comme suit: « Débat sur les langues ». Ainsi, pour être fidèle au titre donné par le peintre lui-même, pour dissiper la confusion créée par la force de l'habitude, et pour conférer une appellation complète qui corresponde au véritable sujet du tableau, il semblerait plus juste de le désigner comme suit: Le débat sur les langues: séance de l'Assemblée législative du Bas-Canada le 21 janvier 1793 (fig. 18).

IV Analyse du « Débat sur les langues »

Sujet imposé, proposé ou d'initiative propre, nous sommes forcés d'admettre que le point de départ du peintre était assez mince:

« Tout ce que l'on sait, c'est que le premier parlement canadien siégea dans la chapelle du palais épiscopal, alors située à l'endroit appelé aujourd'hui jardin Montmorency [...] l'on connaît les noms des membres de ce parlement et l'on possède les portraits de quelques-uns [...]. Voilà tout ce que savait M. Charles Huot quand il a entrepris d' exécuter le tableau que lui commandait le gouvernement. » (136)

En 1896 Henri Têtu avait publié son Histoire du Palais épiscopal de Québec. Huot put y glaner quelques illustrations: celle de Richard Short montrant les ruines du Palais après le Siège de Québec en 1759; celle de James Smillie montrant la chapelle de profil et le Château Saint-Louis en perspective; et, le plan d'une partie de Québec en 1793. (137) Cela lui permettait de visualiser l'extérieur de l'édifice, façade et profil, et de le localiser dans la ville. La maquette de la ville de Québec par Jean-Baptiste Duberger et John By confirme à quelques variantes près les mêmes détails architecturaux. Huot a peut-être eu la chance de l'étudier? (138) James Patterson Cockburn a également laissé deux vues de cette chapelle, une de profil (voir fig. 19) (139) qui restitue une perspective plus juste que celle de Smillie, l'autre étant une vue de la façade telle qu'aperçue du haut du Château Saint-Louis (voir fig. 20). (140) Tous ces documents concordent en ce qui touche les ouvertures et fenêtres: en façade la porte centrale flanquée de deux niches et surmontée d'un ocil de boeuf; le mur du côté nord percé par trois fenêtres en plein cintre, semble-t-il; l'autre mur, qui fait corps avec le Palais épiscopal, ouvert seulement par deux fenêtres.

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