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Charles Huot et la peinture d'histoire au
Palais législatif de Québec (1883-1930)
par Robert Derome
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Morisset outrepasse la pensée artistique de l'époque
lorsqu'il affirme que le chef-d'oeuvre de Huot est son esquisse La Bataille
des Plaines d'Abraham. (129) Si on attribue une haute valeur artistique
à celle-ci, il n'est pas sûr qu'on la perçoive à
travers la grille interprétative qui lui est contemporaine. Une
forte ambivalence existait alors entre l'appréciation de l'esquisse
et de l'oeuvre finie, allant du rejet total de l'esquisse en tant que valeur
esthétique (elle est alors considérée comme un brouillon
ou une étape qui mène à l'oeuvre finale) pour évoluer
vers une appréciation de son aptitude à produire un « effet ». (130)
Avant de porter un jugement sur la valeur de l'une par rapport à
l'autre, il faudrait jeter plus de lumière sur les concepts véhiculés
à cet égard par Huot lui-même (131) et ses contemporains.
Morisset ignore les innombrables critiques passionnées
citées plus haut lorsqu'il déclare: « Ce qui manque
à leur peinture [Eugène Hamel et Charles Huot], c'est le
nerf, l'accent, le cri de l'homme qui découvre une beauté
et l'exprime dans une sorte d'exaltation sacrée. » (132) Il eût
voulu que Huot se mutât en novateur, en créateur de formes
esthétiques nouvelles alors que son but était tout autre.
Le cri et l'exaltation de Huot étaient surtout patriotique et subsidiairement
esthétique, ce que Morisset lui-même reconnaissait. Il commente
encore:
« Eugène Hamel et Charles Huot forment un tandem d'artistes consciencieux et désaxés, amoureux de leur art mais
ficelés dans des formules à leurs yeux évidentes,
pleins de facilité et d'adresse mais incapables de se forger un
langage personnel, un idiome original, un graphisme réfléchi.
Au fond, ils écrivent la langue de tout le monde, avec un vocabulaire
restreint et une syntaxe hésitante. »
(133)
Morisset n'a pas analysé en profondeur les tendances
artistiques de cette époque. Il ne faut pas oublier que Huot a fait
oeuvre de pionnier dans la décoration d'édifices publics
au pays. Outre cet aspect novateur, il ne faut pas négliger l'impact
des contingences idéologiques et sociales. Les milieux politiques
et intellectuels imposaient un cadre rigide auquel Huot dut s'astreindre
s'il voulait obtenir ses contrats puis rejoindre son public; c'est précisément
là que les entreprises des Bourassa, Hamel et Suzor-Coté
avaient échoué. Huot y a parfaitement réussi si l'on
en juge par les contrats obtenus et par les critiques de ses contemporains
qui ont apprécié avec exaltation ses oeuvres. On lui interdisait
donc toute dérogation à l'esthétique admise tout en
le contraignant d'écrire la langue de tout le monde. D'ailleurs
Huot était aussi rébarbatif aux changements brusques et
aux innovations fracassantes que la société ultramontaine
dans laquelle il évoluait. Ainsi est-il en accord avec l'élite
contemporaine lorsqu'il déclare que les peintres modernes ne sont
que des bolcheviques, des anarchistes qui s'amusent à barbouiller
des oeuvres sans valeur esthétique ni contenu moral. (134) L'oeuvre
de Huot au Parlement marque donc une étape importante de notre histoire
de l'art, car elle demeure le plus grand et le plus intéressant
ensemble de cette nature. Comparée aux rares manifestations décoratives
influencées par l'académisme français, elle prend
figure de chef-d'oeuvre dans l'art canadien.
De cette revue de la critique, il ressort clairement que la décoration
murale la plus prisée fut Le débat sur les langues autant
par ses valeurs esthétiques que nationalistes. La seconde, Je
me souviens, fut surtout louée pour son apologie de nos gloires
nationales. Le sujet, qui avait peu enthousiasmé le peintre, a été
modifié à trop de reprises pour n'être pas laborieux.
La dernière composition « qui est médiocrement meublée et présente des vides désagréables
» (135)
vaut presque uniquement pour sa reconstitution historique et son caractère
décoratif. Ces deux derniers ouvrages souffrirent des dérogations
majeures quant aux projets initiaux de l'artiste: l'un avait été
soumis aux desiderata des politiciens, l'autre interrompu par
la mort du peintre. Pour ces raisons, seul Le débat sur les langues
fera l'objet d'une étude approfondie.
Jusqu'à ce jour cette oeuvre a été connue
sous plusieurs titres partiellement ou totalement inadéquats.
Certains sont carrément erronés: 10 ceux qui donnent une
fausse date par rapport à l'événement représenté,
v. g.: « Une séance du premier parlement canadien en 1792
»;
« Premier Parlement -1792 »; « Le Premier Parlement de Québec
en 1791 »; « Premier Parlement de 1792 »; I° ceux qui
affirment qu'il s'agit de la première séance de l'Assemblée
législative, celle où on procéda à l'élection
de l'Orateur, v. g.: « La première séance de l'Assemblée
Législative de 1792 »; « L'ouverture du premier Parlement
canadien »;
« Première séance du Parlement canadien ».
Cette dernière supposition ne peut être retenue puisque l'Orateur,
déjà élu, préside l'Assemblée. La majorité
des autres titres sont incomplets ou imprécis, v. g.: « Le
Premier Parlement canadien »; « Une séance du Premier Parlement du Bas-Canada tenue le 21 janvier 1793
»; « Premier parlement
du Bas-Canada »; « Premier Parlement de Québec »;
« Séance du 21 janvier 1793 de l'Assemblée législative
du Bas-Canada ». Tous ces titres présentent le même
vice de forme: on y prend le cadre physique, historique et politique de
l'événement pour le sujet. Tous les auteurs, après
avoir énoncé ce titre, se sentent obligés d'expliquer
le véritable sujet qui est le débat sur les langues tenu
lors de la séance du 21 janvier 1793 de l'Assemblée législative
du Bas-Canada. Il peut être intéressant de se demander jusqu'à quel point cette façon de procéder ne fut
pas adoptée pour éviter une discussion sur le sujet du tableau
qui aurait pu provoquer la répétition de la mésaventure
vécue par C. A. Smith. Signalons par ailleurs que l'expression
« premier parlement » est une traduction littérale de
l'anglais « First Parliament » qui signifie « première
législature », c'est-à-dire la période durant
laquelle une assemblée législative exerce ses pouvoirs. Bien
que cette extension de sens soit acceptée en français,
l'usage en est désuet et engendre la confusion. De plus, son utilisation
dans le titre ajoute une redondance à la date déjà
exprimée. Un retour aux sources nous permet de constater que le
seul titre authentique qui fut donné par Huot est celui qui apparaît
à l'endos d'une esquisse (voir fig. 10); il se lit comme suit: « Débat sur les langues
». Ainsi, pour être
fidèle au titre donné par le peintre lui-même, pour
dissiper la confusion créée par la force de l'habitude,
et pour conférer une appellation complète qui corresponde
au véritable sujet du tableau, il semblerait plus juste de le désigner
comme suit: Le débat sur les langues: séance de l'Assemblée
législative du Bas-Canada le 21 janvier 1793 (fig. 18).
IV Analyse du « Débat sur les langues
»
Sujet imposé, proposé ou d'initiative propre, nous sommes forcés d'admettre
que le point de départ du peintre était assez mince:
« Tout ce que l'on sait, c'est que le premier parlement
canadien siégea dans la chapelle du palais épiscopal, alors
située à l'endroit appelé aujourd'hui jardin Montmorency [...]
l'on connaît les noms des membres de ce parlement et
l'on possède les portraits de quelques-uns [...]. Voilà
tout ce que savait M. Charles Huot quand il a entrepris d' exécuter
le tableau que lui commandait le gouvernement. » (136)
En 1896 Henri Têtu avait publié son Histoire
du Palais épiscopal de Québec. Huot put y glaner quelques
illustrations: celle de Richard Short montrant les ruines du Palais après
le Siège de Québec en 1759; celle de James Smillie montrant
la chapelle de profil et le Château Saint-Louis en perspective; et,
le plan
d'une partie de Québec en 1793. (137) Cela lui permettait de visualiser l'extérieur
de l'édifice, façade et profil, et de le localiser dans
la ville. La maquette de la ville de Québec par Jean-Baptiste Duberger
et John By confirme à quelques variantes près les mêmes
détails architecturaux. Huot a peut-être eu la chance de l'étudier?
(138) James Patterson Cockburn a également laissé deux vues de cette
chapelle, une de profil (voir fig. 19) (139) qui restitue une perspective
plus juste que celle de Smillie, l'autre étant une vue de la façade
telle qu'aperçue du haut du Château Saint-Louis (voir fig.
20). (140) Tous ces documents concordent en ce qui touche les ouvertures
et fenêtres: en façade la porte centrale flanquée de
deux niches et surmontée d'un ocil de boeuf; le mur du côté
nord percé par trois fenêtres en plein cintre, semble-t-il; l'autre mur, qui fait corps avec le Palais épiscopal, ouvert seulement
par deux fenêtres.
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