Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 27, 1976

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Charles Huot et la peinture d'histoire au 
Palais législatif de Québec (1883-1930)

par Robert Derome

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En contrepartie John Richardson proposa l'amendement suivant:

« mais quoique le journal soit ainsi tenu en anglois et en françois, et tous Bills qui peut être introduit, ou Loix qui peuvent être statuées, seront traduits d'une langue à l'autre, à tel point de leur progrès qui sera déterminé: cependant afin de préserver cette unité de langue légale indispensablement nécessaire dans l'Empire, et touchant tel changement en icelle, une Législature subordonnée n'est point compétente, l'anglois sera considéré le texte légal. »
(183)

Un débat mouvementé s'ensuivit, (184) C'est ce moment dramatique que nous présente Huot. Plusieurs tiennent en main leur discours, une chaise est renversée, des papiers jonchent le sol. À l'appui de la thèse anglaise se firent entendre J. Richardson (no 50), P. L. Panet (no 5), W. Grant (no 49), J. McGill (no 46), J. Lees (no 47) et J.Young (no I). Parmi les interventions des Canadiens, La Gazette de Québec a reproduit les textes de Chartier de Lotbinière, de Rocheblave, et Taschereau; (185) ceux de Papineau, de Bonne et Bédard ne nous sont pas parvenus, En réponse à ce débat journalistique, un « By Stander » livrera le 14 février sa vision partisane des faits. (186) Le texte de Chartier de Lotbinière s'avéra le plus convaincant et la Chambre vota 26 contre 13 pour le rejet de l'amendement de Richardson. (187) Le lendemain, 22 janvier, ce même député proposa une motion précédée d'un long préambule; celui-ci fut rejeté par la Chambre mais publié dans La Gazette de Québec du 21 février. (188) Cette motion voulait faire de l'anglais le texte légal. Elle fut rejetée par 27 voix contre 9. Lees tenta en vain un nouvel effort dans ce sens; sa proposition de considérer dans tous les cas l'anglais comme « langue statuante » fut renvoyée par 25 voix contre 11. (189) Finalement, on décida que toutes les lois, « sans égard à la langue dans laquelle elles auront été proposées, seront traduites et adoptées dans les deux langues. Selon une modification apportée à cette règle, le texte officiel sera en français s'il s'agit du droit civil, et an anglais pour les affaires pénales. » (190) Bien que Chapais interprétât cet événement comme une grande victoire morale de la langue française, qui obtenait un droit de cité officiel, il admettait tout de même avec lucidité et consternation la leçon des faits:

« [...] le département colonial n'était pas prêt à reconnaître une langue autre que la langue anglaise comme le texte légal de la législation d'une colonie britannique; mais [...] il admettait l'existence du bilinguisme pratique (191).

(I) - De tout ceci il faut conclure que, sous le régime inauguré en 1791, la langue officielle fut légalement la langue anglaise. » (191)

Terminons tout de même par cet espoir prophétique de Chapais à propos de la langue française:

« Notre langue sortait de ce débat honorée et fortifiée. Elle avait subi le baptême du feu. Elle était reconnue en fait comme une de nos deux langues parlementaires officielles. Et si à une époque ultérieure était réservée la proclamation de son statut légal et constitutionnel, dès ce moment elle acquérait une nouvelle possession d'état, acheminement certain vers la dernière étape de sa victoire. »
(192) 

V La peinture d'histoire

Bien que la peinture d'histoire fut considérée comme le genre suprême par les peintres des XVIIIe et XIXe siècles, la terminologie recouvre une notion plus souvent supposée qu'exprimée. Le sens qu'on lui accorde varie beaucoup au cours des temps, d'un théoricien à l'autre. (193) Toutefois la définition synthétique de Jean Locquin en englobe les principaux aspects:

« Rentrait dans la « Peinture d' histoire », au XVIIIe siècle, toute oeuvre dont le sujet, emprunté à un texte historique ou littéraire, mettait en scène un ou plusieurs personnages, réels ou non. »
(194)

Lentement, l'idéologie révolutionnaire ou républicaine fera évoluer le genre vers les sujets tirés de l'histoire nationale, répondant ainsi à l'appel de J. J. Rousseau à exalter par la peinture « des défenseurs de la patrie, ou ces hommes plus grands encore qui l'ont enrichie par leurs vertus. » (195) Cette idéologie, partagée par les pouvoirs publics, allait faire fleurir au XIXe siècle la peinture officielle destinée aux édifices publics. (196)

En 1806, Millin donne aux représentations de faits historiques la première place dans le palmarès des sujets pour la peinture d'histoire; il relègue ainsi au second rang la mythologie, les allégories, batailles, tableaux de famille et de société. (197) Par contre, l'intégration des sujets nationaux au genre n'est pas encore complètement réalisée puisqu'en 1810 on sent le besoin de distinguer entre « tableaux d'histoire » et « tableaux français ». (198) L'aspect moralisateur des sujets nationaux dans la peinture est bien mis en valeur par J. B. Deperthes lorsqu'il dit que le style historique doit susciter un vif intérêt chez le spectateur, évoquer de nobles sentiments ou stimuler son imagination. (199) On n'est plus très loin de la pensée qui sera exprimée par les critiques de Huot (200) lorsque Jules Renouvier allie la religion au nationalisme dans sa critique du Serment du Jeu de Paume de David:

« Les hommes du temps, pris dans toute la réalité de leurs types et de leur costume, y étaient élevés au rang des héros par leur attitude et au rang des saints par leur expression. »
(201)

Huot a également suscité des commentaires élogieux parce qu'il avait réussi un dosage parfait dans « ce mélange d'idéal et de réalisme » tant apprécié des peintres d'histoire français, (202) et préconisé par l'architecte du Palais législatif. Taché, dans sa correspondance avec Philippe Hébert, soutenait « qu'une représentation idéalisée pèche par manque de réalisme et une représentation réaliste par manque d'idéal ». (203) Biographe du peintre, Henri Beaudet situe d'emblée sur le même terrain son approche critique par la citation liminaire de son opuscule: 
« Réaliser d'idéal et idéaliser le réel, - telle est la fonction de l'art. Signé: Hello. » (204)

Au dire de ses contemporains, Huot avait donc parfaitement réussi à incarner dans son oeuvre le concept qu'ils se faisaient de la peinture d'histoire. Dès lors il n'est pas étonnant de constater, dans la formulation qu'on en a fait, le tribut payé à l'héritage idéologique français ci-dessus esquissé:

« En résumé, la qualité dominante de l'artiste s'est affirmée comme franchement nationale: c'est la synthèse de l'art français à la belle nature canadienne, à l'histoire religieuse et civile du pays natal. M. Huot a réussi à poétiser, à idéaliser, à réaliser les plus belles scènes de la nature et les plus belles pages du présent et du passé: ses tableaux, son oeuvre entière, constituent un hommage et une apologie en faveur de la patrie. »
(205)

« Poétiser, idéaliser et réaliser », voilà les qualités de la peinture nationale, qu'elle soit de paysage ou d'histoire. Sa finalité est morale et éducative, hommage et apologie. L'ultramontanisme ajoute à cette idéologie l'alliance presque indissociable de l'histoire religieuse et civile, d'où le même culte et respect voué aux deux. Cette double idéologie s'incarne admirablement dans les sculptures allégoriques qui surmontent les frontons du Palais législatif; issues du programme décoratif de Taché et exécutées par Philippe Hébert, elles s'intitulent Poésie et histoire, Religion et patrie. (206) Somme toute, l'oeuvre de Huot résume les temps forts de l'idéologie québécoise de son époque: langue, religion, patrie, histoire. La langue sauvegarde la foi et toutes deux garantissent le maintien de l'identité nationale à travers l'histoire. La seule variante par rapport aux idéologies françaises est la satisfaction d'avoir réussi la synthèse artistique de l'esthétique française aux sujets indigènes. Nous sommes donc ici en présence non pas d'une idéologie de rattrapage, mais d'un mariage parfait entre l'esprit français et la société québécoise, entre une culture et un territoire. C'est là un ressourcement sentimental à même la substantifique moelle de l'ancienne mère-patrie qui permet ce retour tant désiré, sinon de fait du moins en esprit, aux conditions sociales et culturelles d'avant la Conquête.

L'intérêt accordé par Huot à la peinture d'histoire se manifeste dès le début de sa carrière. En 1875, à peine un an après son arrivée à Paris, il écrit à son père:

« II est presqu'impossible à un peintre de faire des tableaux d'histoire au Canada: il n'y trouverait ni les musées, ni les costumes antiques. On ne pourrait [...] pas composer, à moins de n'être copiste. Quant à moi j'aime mieux composer un tableau de genre, que de copier un tableau historique. Cependant, je suis persuadé que l'on ne me laisserait pas suivre la spécialité de mon professeur, Mr Cabanel; il ne fait que des Vénus et des sujets mythologiques. »
(207)

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