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Charles Huot et la peinture d'histoire au
Palais législatif de Québec (1883-1930)
par Robert Derome
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Bien que ce dernier aphorisme s'avère désormais une réalité
historique, l'oeuvre du Palais législatif dément ces idéaux
dejeunesse. Que ce soit pour l'argent ou la gloire, Huot dut composer avec
les réalités socio-culturelles du Québec lors de
la réalisation de son projet décoratif. Bien qu'il eût
à sa portée toutes les sources nécessaires à
la réalisation des sujets tirés de l'histoire nationale,
il insista pour se rendre en Europe à plusieurs reprises afin, disait-il,
de faire des « recherches archéologiques ». En fait,
ces voyages visaient surtout le ressourcement esthétique, mais également
intellectuel et moral. Cet « état de grâce » stimulait
l'imagination tout en procurant la volonté nécessaire afin d'atteindre
la rigueur historique tant recherchée. Ce trait différencie
Huot des autres peintres d'histoire canadiens:
« Apart, however, from this lack of government initiative,
there is doubtless another and very urgent economic reason why historical
painting in Canada has hitherto failed to receive the practical encouragement
which as a subject it merits, a reason which explains, in part at least,
why many of our artists in Canada have been loath to undertake it: It
demands on the part of the painter an amount of reading and research out of all proportion to the time
required for the actual painting. There
are also the exigencies of the subject ofien arising out of the period
in which the scene is presented. [...] In short, as one writer
has pithily summarized it, the historical artist must have in addition
to the persistency of a trained researcher, a vivid historic imagination,
the skeptical mind of the scientist, the industry of a beaver, and the
nose of a detective for clues. Small wonder, then, that few artists are
prepared to enter such an exacting field - considering the lack of patronage,
private and public, and the pitiful inadequacy of the reward. As was
implied at the outset, they order these things better, if not in France,
then certainly in the United States and England. Quite obviously we, as
Canadians, might do worse than copy their example. »
(208)
Huot remporte la palme et réussit à satisfaire aux exigences
des historiens les plus méticuleux et critiques tel Arthur G. Doughty:
« Mr Huot has spent many months in studying the topography
of the plains of Abraham in order to present a correct view of the site
of the famous conflict. With the assistance of topographical plans made shortly
after the event, the artist has been able to produce a faithful
sketch of the battlefield. [...] Mr. Huot is the first artist who
has attempted to depict this scene from a careful and patient study of contemporary
documents. »
(209)
Le point de comparaison le plus immédiat dans l'art canadien
demeure Les Pères de la Confédération de Robert
Harris (fig. 26). (210) Commandes gouvernementales pour orner les Parlements,
les deux oeuvres représentent une assemblée. Non seulement
l'événement illustré par Harris a-t-il l'avantage
d'être moins éloigné dans le temps (16 ans) que celui
de Huot (120 ans), ce qui simplifie les recherches, mais le nombre de personnages
est beaucoup moindre, ce qui facilite le travail de composition. Un autre
avantage de Harris fut d'avoir à sa disposition une photographie,
ou un portrait, et une bonne description de tous les protagonistes; certains
d'entre eux étaient mêmes encore vivants. L'intention de
Harris était avant tout celle d'un archiviste; il ne voulait pas
réaliser une oeuvre d'art mais un document historique. (211) Cette
option affecta directement l'oeuvre, qui fige pour la postérité,
tel la photographie, cet événement. Le résultat
s'accorde avec ce choix par le statisme de la composition et des personnages.
Tout autre est l'oeuvre de Huot: dynamisme et mouvement la caractérisent.
La composition, comme nous l'avons vu, y est pour beaucoup. L'assemblage des députés en
groupes animés y joue également pour une bonne part.
Le but n'est pas de constituer un document d'archives, mais d'illustrer
la pensée d'un peuple en marche. L'événement historique
n'est donc plus statique, figé dans le passé, mais présent,
vécu, assumé par la majorité des contemporains qui
veulent en faire le moteur de leur action, la nourriture de leur courage
pour continuer leur progrès. Bien qu'utilisant les sources historiques,
le peintre y insuffle une idéologie et leur donne vie en incarnant
ses phantasmes, rêves et espoirs.
Les autres peintres d'histoire canadiens offrent peu de points de comparaison
avec Huot. G. A. Reid, (212) après un voyage en France en 1888-1889,
a projeté pour l'Hôtel de ville de Toronto une décoration
inspirée de son pendant parisien. Il envisage de faire équipe
avec Cruickshank, Challener et Grier. Après plusieurs échecs
auprès des autorités municipales (n'étant pas parvenu
à les convaincre du point de vue esthétique, ni éducatif
ou historique), il décide de réaliser, à ses propres
frais, la décoration qu'il a imaginée. Non seulement les
sujets allégoriques, mais toute l'entreprise est à l'opposé
de celle de Huot dont l'initiative était partagée par le
gouvernement. Quant aux sujets historiques proprement dits chez Reid, ils
célèbrent des faits précis, illustrent des arrivées
et voyages saillants ou s'attardent à des descriptions ethnologiques
et topographiques. Ces oeuvres de commande, expression légitime
du goût de l'époque, n'expriment donc pas des visées
nationalistes aussi viscérales que celles de Huot. Ainsi en est-il
des peintres postérieurs tels C. W. Jefferys, A. S. Scott et C. W. Simpson, dont les illustrations tombent souvent dans l'imagerie de pacotille.
Leur principal intérêt est d'illustrer, là commencent
et s'arrêtent toutes leurs prétentions. (213) Le seul à
s'être attardé à des assemblées délibérantes
est C. W. Simpson à l'occasion du Jubilé de la Confédération. (214)
On est ici à cent lieues
des travaux historiques de Huot.
L'influence de l'esthétique française sur l'oeuvre
de Huot a déjà été démontrée.
Ajoutons cependant une comparaison avec Jean-Paul Laurens, tant par la manifestation tardive de leur intérêt pour la peinture d'histoire
que par certaines caractéristiques picturales liées surtout
à l'utilisation des couleurs ainsi qu' à la composition.
Un dernier rapprochement reste à faire avec les Etats-Unis. Plusieurs
assemblées historiques y furent illustrées. Leurs sujets
et leur esprit se rapprochent davantage de Huot que les oeuvres des
artistes canadiens déjà nommés. Edwin Austin Abbey
a peint une Apothéose de la Pennsylvanie pour la Chambre
des représentants de Harrisburg (215) qui aurait fait rêver Napoléon
Bourassa. Toutefois, les gestes déclamatoires et héroïques,
la composition animée et le caractère patriotique s'apparentent
plus à l'esprit de Huot. Celui-ci n'a rien à envier aux compositions
gauches et d'un style primitif des peintres Robert Edge Pine et Edward
Savage, Le Congrès votant l'Indépendance, le 4 juillet 1776, (216) ou George
Catlin, La Convention de Virginie en 1829-1830, (217) qui payent tribut à
l'influence britannique héritée des Karl Anton Hickel, Peter
Tillemans ou Charles Philips. (218) Huot ne verse pas non plus dans la grandiloquence
aristocratique des George Hayter en Angleterre (219) ou Samuel F. B. Morse
aux Etats-Unis. (220) On ne peut non plus le rapprocher, comme on pourrait
le faire pour Harris, des Américains Christian Schussele ou John
Sartain. (221) Par contre, plusieurs points rapprochent Huot de
l'oeuvre
de John Trumbull, La déclaration d'Indépendance, le 4 juillet 1776 à Philadelphie
(fig. 27) ou La démission
du général Washington, à Annapolis, Maryland, le 3 décembre 1783. (222)
Signalons: les proportions du cadre architectural
par rapport aux personnages; la composition par groupes avec des vides
volontaires; la juste mesure gardée dans l'anecdote et le pathétique;
le parti pris réaliste fondé sur la véracité
historique mais tempéré par un idéalisme élevé;
le caractère crucial et mouvementé de l'événement pour l'histoire nationale; la volonté partagée
de ces deux peintres, reflets de leurs époques respectives, d'illustrer
par leur art la lutte de leur peuple pour former une nation. (223)
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