Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 27, 1976

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Charles Huot et la peinture d'histoire au 
Palais législatif de Québec (1883-1930)

par Robert Derome

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Bien que ce dernier aphorisme s'avère désormais une réalité historique, l'oeuvre du Palais législatif dément ces idéaux dejeunesse. Que ce soit pour l'argent ou la gloire, Huot dut composer avec les réalités socio-culturelles du Québec lors de la réalisation de son projet décoratif. Bien qu'il eût à sa portée toutes les sources nécessaires à la réalisation des sujets tirés de l'histoire nationale, il insista pour se rendre en Europe à plusieurs reprises afin, disait-il, de faire des « recherches archéologiques ». En fait, ces voyages visaient surtout le ressourcement esthétique, mais également intellectuel et moral. Cet « état de grâce » stimulait l'imagination tout en procurant la volonté nécessaire afin d'atteindre la rigueur historique tant recherchée. Ce trait différencie Huot des autres peintres d'histoire canadiens:

« Apart, however, from this lack of government initiative, there is doubtless another and very urgent economic reason why historical painting in Canada has hitherto failed to receive the practical encouragement which as a subject it merits, a reason which explains, in part at least, why many of our artists in Canada have been loath to undertake it: It demands on the part of the painter an amount of reading and research out of all proportion to the time required for the actual painting. There are also the exigencies of the subject ofien arising out of the period in which the scene is presented. [...] In short, as one writer has pithily summarized it, the historical artist must have in addition to the persistency of a trained researcher, a vivid historic imagination, the skeptical mind of the scientist, the industry of a beaver, and the nose of a detective for clues. Small wonder, then, that few artists are prepared to enter such an exacting field - considering the lack of patronage, private and public, and the pitiful inadequacy of the reward. As was implied at the outset, they order these things better, if not in France, then certainly in the United States and England. Quite obviously we, as Canadians, might do worse than copy their example. »
(208)

Huot remporte la palme et réussit à satisfaire aux exigences des historiens les plus méticuleux et critiques tel Arthur G. Doughty:

« Mr Huot has spent many months in studying the topography of the plains of Abraham in order to present a correct view of the site of the famous conflict. With the assistance of topographical plans made shortly after the event, the artist has been able to produce a faithful sketch of the battlefield. [...] Mr. Huot is the first artist who has attempted to depict this scene from a careful and patient study of contemporary documents. »
(209)

Le point de comparaison le plus immédiat dans l'art canadien demeure Les Pères de la Confédération de Robert Harris (fig. 26). (210) Commandes gouvernementales pour orner les Parlements, les deux oeuvres représentent une assemblée. Non seulement l'événement illustré par Harris a-t-il l'avantage d'être moins éloigné dans le temps (16 ans) que celui de Huot (120 ans), ce qui simplifie les recherches, mais le nombre de personnages est beaucoup moindre, ce qui facilite le travail de composition. Un autre avantage de Harris fut d'avoir à sa disposition une photographie, ou un portrait, et une bonne description de tous les protagonistes; certains d'entre eux étaient mêmes encore vivants. L'intention de Harris était avant tout celle d'un archiviste; il ne voulait pas réaliser une oeuvre d'art mais un document historique. (211) Cette option affecta directement l'oeuvre, qui fige pour la postérité, tel la photographie, cet événement. Le résultat s'accorde avec ce choix par le statisme de la composition et des personnages. Tout autre est l'oeuvre de Huot: dynamisme et mouvement la caractérisent. La composition, comme nous l'avons vu, y est pour beaucoup. L'assemblage des députés en groupes animés y joue également pour une bonne part. Le but n'est pas de constituer un document d'archives, mais d'illustrer la pensée d'un peuple en marche. L'événement historique n'est donc plus statique, figé dans le passé, mais présent, vécu, assumé par la majorité des contemporains qui veulent en faire le moteur de leur action, la nourriture de leur courage pour continuer leur progrès. Bien qu'utilisant les sources historiques, le peintre y insuffle une idéologie et leur donne vie en incarnant ses phantasmes, rêves et espoirs.

Les autres peintres d'histoire canadiens offrent peu de points de comparaison avec Huot. G. A. Reid, (212) après un voyage en France en 1888-1889, a projeté pour l'Hôtel de ville de Toronto une décoration inspirée de son pendant parisien. Il envisage de faire équipe avec Cruickshank, Challener et Grier. Après plusieurs échecs auprès des autorités municipales (n'étant pas parvenu à les convaincre du point de vue esthétique, ni éducatif ou historique), il décide de réaliser, à ses propres frais, la décoration qu'il a imaginée. Non seulement les sujets allégoriques, mais toute l'entreprise est à l'opposé de celle de Huot dont l'initiative était partagée par le gouvernement. Quant aux sujets historiques proprement dits chez Reid, ils célèbrent des faits précis, illustrent des arrivées et voyages saillants ou s'attardent à des descriptions ethnologiques et topographiques. Ces oeuvres de commande, expression légitime du goût de l'époque, n'expriment donc pas des visées nationalistes aussi viscérales que celles de Huot. Ainsi en est-il des peintres postérieurs tels C. W. Jefferys, A. S. Scott et C. W. Simpson, dont les illustrations tombent souvent dans l'imagerie de pacotille. Leur principal intérêt est d'illustrer, là commencent et s'arrêtent toutes leurs prétentions. (213) Le seul à s'être attardé à des assemblées délibérantes est C. W. Simpson à l'occasion du Jubilé de la Confédération. (214) On est ici à cent lieues
des travaux historiques de Huot.

L'influence de l'esthétique française sur l'oeuvre de Huot a déjà été démontrée. Ajoutons cependant une comparaison avec Jean-Paul Laurens, tant par la manifestation tardive de leur intérêt pour la peinture d'histoire que par certaines caractéristiques picturales liées surtout à l'utilisation des couleurs ainsi qu' à la composition. Un dernier rapprochement reste à faire avec les Etats-Unis. Plusieurs assemblées historiques y furent illustrées. Leurs sujets et leur esprit se rapprochent davantage de Huot que les oeuvres des artistes canadiens déjà nommés. Edwin Austin Abbey a peint une Apothéose de la Pennsylvanie pour la Chambre des représentants de Harrisburg (215) qui aurait fait rêver Napoléon Bourassa. Toutefois, les gestes déclamatoires et héroïques, la composition animée et le caractère patriotique s'apparentent plus à l'esprit de Huot. Celui-ci n'a rien à envier aux compositions gauches et d'un style primitif des peintres Robert Edge Pine et Edward Savage, Le Congrès votant l'Indépendance, le 4 juillet 1776, (216) ou George Catlin, La Convention de Virginie en 1829-1830, (217) qui payent tribut à l'influence britannique héritée des Karl Anton Hickel, Peter Tillemans ou Charles Philips. (218) Huot ne verse pas non plus dans la grandiloquence aristocratique des George Hayter en Angleterre (219) ou Samuel F. B. Morse aux Etats-Unis. (220) On ne peut non plus le rapprocher, comme on pourrait le faire pour Harris, des Américains Christian Schussele ou John Sartain. (221) Par contre, plusieurs points rapprochent Huot de l'oeuvre de John Trumbull, La déclaration d'Indépendance, le 4 juillet 1776 à Philadelphie (fig. 27) ou La démission du général Washington, à Annapolis, Maryland, le 3 décembre 1783. (222) Signalons: les proportions du cadre architectural par rapport aux personnages; la composition par groupes avec des vides volontaires; la juste mesure gardée dans l'anecdote et le pathétique; le parti pris réaliste fondé sur la véracité historique mais tempéré par un idéalisme élevé; le caractère crucial et mouvementé de l'événement pour l'histoire nationale; la volonté partagée de ces deux peintres, reflets de leurs époques respectives, d'illustrer par leur art la lutte de leur peuple pour former une nation. (223) 

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