Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 27, 1976

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Charles Huot et la peinture d'histoire au 
Palais législatif de Québec (1883-1930)

par Robert Derome

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La plupart de ces critiques étaient des dilettantes éclairés, sans autre formation artistique que celle d'autodidactes éclectiques. Leur approche a le grand mérite de nous révéler la vie intellectuelle contemporaine et de nous restituer la société par laquelle et pour laquelle fut créée l'oeuvre. Loin d'être abstraite et désincarnée, elle est vécue affectivement, ce qui nous vaut son caractère émotif et passionné. Cette critique partisane n'est toutefois pas aveugle. Elle repose sur des données vérifiables: la valeur esthétique de l'oeuvre, l'importance historique de cette entreprise artistique, le sentimentalisme de cette époque qui utilise la science historique à la glorification des temps forts de son histoire nationale.

Quoique moins vibrante, la critique anglophone louangea l'oeuvre de Huot au Palais législatif, sans toutefois en exprimer toutes les implications nationalistes. L'élogieuse critique du torontois L. A. M. Lovekin, parue dans le Saturday Night en 1925, (116) est rééditée quelques mois plus tard dans Le Terroir. Aussitôt récupéré, cet honneur d'outre-province raffermit le prestige de l'artiste:

« Remercions M. Lovekin de sa judicieuse appréciation. Félicitons M. Huot d'être ce qu'il est par dessus tout: un initiateur chez nous dans l'art suprêmement difficile de la peinture d'histoire. Félicitons aussi le gouvernement de cette province d'avoir reconnu, comme il ne cesse de le faire dans les divers domaines de notre patrimoine intellectuel, le mérite de l'un des nôtres et d'avoir discerné et mis à profit l'un des caractères essentiels du talent de M. Huot. Le palais législatif; quoique à une échelle moindre, évidemment, serait-il en passe de devenir (M. Lovekin a indiqué lui-même ce parallèle) un second Westminster? Eugène-Étienne Taché en a dessiné les nobles lignes, Philippe Hébert en a sculpté les principales statues, Charles Huot en a peint les plus larges tableaux.
(2)

Dans la petite maison qu' il occupe à Bergerville près de Québec, à l'orée du bois de Sainte-Foy et du bois Gomin, M. Huot vit retiré, au milieu de la plus charmante simplicité. Mais il n'est pas téméraire d' imaginer qu'il caresse toujours de beaux rêves. Ne serait-il pas regrettable de lui permettre de les laisser s'éteindre? Donnons plutôt à l'artiste (en la Chambre des communes et la salle du Sénat, par exemple, à Ottawa), l'occasion de peindre de nouvelles fresques qui complètent son oeuvre. Soyons fiers de posséder en quelque sorte notre William Dyce. Elle s'honore la nation qui honore ses grands hommes. Elle s'honore doublement quand elle confie la mission de les célébrer au peintre dont le talent, toujours sûr, n'a jamais si pleinement correspondu à la pure beauté de notre histoire. (2) On doit à M. Henri Beau la peinture murale de la salle du Conseil législatif et à MM. Henri Hébert et Alfred Laliberté des statues qui ornent la façade du Parlement. »
(117)

Cet épisode a fait luire un moment aux yeux de l'artiste l'espoir d'obtenir un contrat de décoration à Toronto, ainsi qu'il l'écrit à Lovekin:

« J'ai voulu servir notre grande patrie commune du Canada en me consacrant plus particulièrement à la peinture d' histoire. N'allez pas médire des édifices parlementaires de Toronto. Ils ont un caractère bien personnel que je distingue très bien. Soyez donc convaincu qu'une judicieuse décoration, au moyen de tableaux d' histoire, n'en gâterait pas l'aspect général, tout au contraire. Pour parler votre belle langue, je dirais « There is always, in everything, room for improvement ». Je connais l'histoire de mon pays, l'histoire de nos provinces, et je vous avouerai que l'histoire de l'Ontario, - the Premier English Province of Canada - mérite qu'un artiste consacre son talent à la mettre en lumière. [...] Sans vous engager vous-même à quoi que ce soit, et sans même engager personne, je ferais, sur le motif proposé par vous ou votre gouvernement, une esquisse que je vous soumettrais. » (118)

Une autre critique émanant du Canada anglais fut publiée par un de ses plus prolifiques peintres d'histoire, C. W. Jefferys. Doublé d'une personnalité d'historien, celui-ci a vu, étudié, copié ou dessiné, une très grande quantité d'illustrations de l'histoire canadienne d'un bout à l'autre du pays. (119) Il commente ainsi en 1942 l'entreprise du Palais législatif:

« These are the most important works of their kind in the country, and represent the most ambitious project for the decoration of a public building which Canada has undertaken. [...] The details of architecture, costume and furnishings have been studied with care, and the picture is an accurate historical record as well as an admirable decoration. »
(120)

Avant d'aborder un autre courant critique, mentionnons l'opinion émise par R. H. Hubbard cn 1963 au sujet du Débat sur les langues:

« Le peintre a donné à ses personnages un cadre noble et des costumes pittoresques et, à l'ensemble de sa composition, un ordre concentrique et savant. A côté d'elle les Pères de la Confédération de Harris ont la mine terne et ennuyeuse. »
(121)

Cette revue critique serait incomplète si on n'y faisait mention des commentaires négatifs. En 1922 Ozias Leduc séjourne à Québec afin d'exécuter le portrait de l'honorable J. N. Francoeur. Il note dans son carnet ses impressions au hasard des visites. Après une longue description de Je me souviens, il conclut:

« La couleur de l'ensemble est assez vive, les valeurs sont bien établies. Cette composition est accompagnée de quatre figures allegoriques des saisons. Si vous voyez le rapport...Le tout est banal comme sont banales ces compositions si souvent repettees. Le dessin est lache et tous ces personnages plafonnent avec plus ou moins d' ensemble. »
(122) 

Leduc ne semble pas avoir été touché par la glorification patriotique des grands hommes de la nation. Homme sage et retiré, son idéal était plus philosophique. Son appréciation repose donc sur la seule approche esthétique. Il semble attiré par le symbolisme de Je me souviens (fig. 17) qui a touché en lui une corde sensible. Par contre il ignore Le débat sur les langues (pourtant dans la même salle et que l'oeil moins averti ne peut pas escamoter) qui semble l'avoir laissé indifférent par la crudité de son réalisme.

En 1929 Le débat sur les langues est reproduit dans l'Histoire de l'art...d'André Michel. On y range Huot, à raison d'ailleurs, au rang des peintres académiques, lui faisant subir les mêmes critiques. (123) Aujourd'hui, ce courant historiographique est de plus en plus remis en question. (124) Mettre sous la même bannière esthétique Paul Delaroche, Jean-Paul Laurens et Charles Huot est faire preuve d'un raccourci historique pour le moins étonnant et oublier les nombreuses tendances esthétiques qui les séparent dans la chronologie. Il ne faut pas non plus oublier de situer l'oeuvre dans la vie artistique canadienne de l'époque. La décoration du Palais législatif constituait un événement majeur et put jouir à ce seul titre d'une publicité incomparable. Les pouvoirs publics canadiens étaient habituellement peu enclins à subventionner les artistes dans la réalisation de projets décoratifs pour les édifices publics, et les travaux du Palais législatif de Québec demeurent à cet égard une manifestation privilégiée dans notre histoire de l'art. (125) Il ne faut pas oublier qu'au XIXe siècle la France avait connu cette frénésie décorative. Les grands bénéficiaires en avaient été les peintres académiques et non les novateurs ou dissidents. (126) À cet égard, la tentative de Huot, avec cinquante ans de retard, permet de franchir une étape de cette mise à jour en histoire de l'art.

Étudions maintenant les écrits de l'historien de l'art québécois Gérard Morisset. Ils ont fait école et ont largement contribué à donner mauvaise presse à Charles Huot, surtout parce que l'on a extrait quelques jugements sévères d'un contexte qui était beaucoup plus nuancé. Après avoir d'abord loué l'oeuvre de Huot, (127) Morisset fait volte-face et la juge d'après de nouveaux critères qui rejettent en bloc l'académisme au profit des dernières modes artistiques. Bien qu'il doive reconnaître l'existence de l'académisme, l'auteur incline peu à lui attribuer une place importante dans l'histoire de l'art, ni à octroyer quelque valeur esthétique aux oeuvres qui en sont issues. Il situe très bien la suprême importance que l'on accordait alors à la peinture d'histoire, admettant même que Huot ait voulu la réfléter dans son oeuvre. Néanmoins, ces réserves ne l'empêchent pas d'être impitoyable:

« [...] la peinture de Charles Huot nous apparaît aujourd' hui comme une suite d' essais où les préoccupations historiques l'emportent, et de beaucoup, sur les problèmes d'harmonies de couleur et de technique. Le peintre s'est souvent mué en historien méticuleux. Tel apparaît-il dans les immenses compositions du Parlement de Québec, le Premier Parlement de 1792 [Le débat sur les langues], le plafond de la Chambre basse, et l'Ouverture du Conseil souverain en 1663, au Conseil législatif. Les erreurs historiques, les anachronismes, s'il en existe dans cet ensemble, ne peuvent choquer que les historiens. Mais l' honnête homme, qui regarde ces tableaux non pour s'instruire mais pour son plaisir, y découvre des vices de composition que l'artiste eut pu éviter; surtout dans la dernière murale, qui est médiocrement meublée et présente des vides désagréables. » (128)

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