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Charles Huot et la peinture d'histoire au
Palais législatif de Québec (1883-1930)
par Robert Derome
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La plupart de ces critiques étaient des dilettantes éclairés,
sans autre formation artistique que celle d'autodidactes éclectiques.
Leur approche a le grand mérite de nous révéler la
vie intellectuelle contemporaine et de nous restituer la société
par laquelle et pour laquelle fut créée l'oeuvre. Loin d'être
abstraite et désincarnée, elle est vécue affectivement,
ce qui nous vaut son caractère émotif et passionné.
Cette critique partisane n'est toutefois pas aveugle. Elle repose sur des
données vérifiables: la valeur esthétique de l'oeuvre,
l'importance historique de cette entreprise artistique, le sentimentalisme
de cette époque qui utilise la science historique à la glorification
des temps forts de son histoire nationale.
Quoique moins vibrante, la critique anglophone louangea l'oeuvre de Huot
au Palais législatif, sans toutefois en exprimer toutes les implications
nationalistes. L'élogieuse critique du torontois L. A. M. Lovekin,
parue dans le Saturday Night en 1925, (116) est rééditée
quelques mois plus tard dans Le Terroir. Aussitôt récupéré,
cet honneur d'outre-province raffermit le prestige de l'artiste:
« Remercions M. Lovekin de sa judicieuse appréciation.
Félicitons M. Huot d'être ce qu'il est par dessus
tout: un initiateur chez nous dans l'art suprêmement difficile de
la peinture d'histoire. Félicitons aussi le gouvernement de cette
province d'avoir reconnu, comme il ne cesse de le faire dans les divers
domaines de notre patrimoine intellectuel, le mérite de l'un des
nôtres et d'avoir discerné et mis à profit l'un des
caractères essentiels du talent de M. Huot. Le palais législatif;
quoique à une échelle moindre, évidemment, serait-il
en passe de devenir (M. Lovekin a indiqué lui-même ce parallèle)
un second Westminster? Eugène-Étienne Taché
en a dessiné les nobles lignes, Philippe Hébert en a sculpté
les principales statues, Charles Huot en a peint les plus larges tableaux.
(2)
Dans la petite maison qu' il occupe à Bergerville près
de Québec, à l'orée du bois de Sainte-Foy et du bois
Gomin, M. Huot vit retiré, au milieu de la plus charmante simplicité. Mais il n'est pas téméraire d' imaginer
qu'il caresse toujours de beaux rêves. Ne serait-il pas regrettable
de lui permettre de les laisser s'éteindre? Donnons plutôt
à l'artiste (en la Chambre des communes et la salle du Sénat,
par exemple, à Ottawa), l'occasion de peindre de nouvelles fresques
qui complètent son oeuvre. Soyons fiers de posséder en quelque sorte notre William Dyce. Elle
s'honore la nation qui honore ses grands hommes. Elle s'honore doublement
quand elle confie la mission de les célébrer au peintre dont
le talent, toujours sûr, n'a jamais si pleinement correspondu à
la pure beauté de notre histoire. (2) On doit à M. Henri Beau la peinture murale de la salle du Conseil législatif
et à MM. Henri Hébert et Alfred Laliberté des statues
qui ornent la façade du Parlement. » (117)
Cet épisode a fait luire un moment aux yeux de l'artiste
l'espoir d'obtenir un contrat de décoration à Toronto, ainsi
qu'il l'écrit à Lovekin:
« J'ai voulu servir notre grande patrie commune du Canada
en me consacrant plus particulièrement à la peinture d' histoire. N'allez pas médire des édifices parlementaires de
Toronto. Ils ont un caractère bien personnel que je distingue
très bien. Soyez donc convaincu qu'une judicieuse décoration,
au moyen de tableaux d' histoire, n'en gâterait pas l'aspect
général, tout au contraire. Pour parler votre belle langue,
je dirais « There is always, in everything, room for improvement ».
Je connais l'histoire de mon pays, l'histoire de nos provinces,
et je vous avouerai que l'histoire de l'Ontario, - the Premier English
Province of Canada - mérite qu'un artiste consacre son talent à
la mettre en lumière. [...] Sans vous engager vous-même
à quoi que ce soit, et sans même engager personne, je ferais,
sur le motif proposé par vous ou votre gouvernement, une esquisse
que je vous soumettrais. » (118)
Une autre critique émanant du Canada anglais fut
publiée par un de ses plus prolifiques peintres d'histoire, C. W.
Jefferys. Doublé d'une personnalité d'historien, celui-ci
a vu, étudié, copié ou dessiné, une très
grande quantité d'illustrations de l'histoire canadienne d'un bout
à l'autre du pays. (119) Il commente ainsi en 1942 l'entreprise
du Palais législatif:
« These are the most important works of their kind in the country,
and represent the most ambitious project for the decoration of a public
building which Canada has undertaken. [...] The details of architecture,
costume and furnishings have been studied with care, and the picture
is an accurate historical record as well as an admirable decoration. »
(120)
Avant d'aborder un autre courant critique, mentionnons l'opinion
émise par R. H. Hubbard cn 1963 au sujet du Débat sur
les langues:
« Le peintre a donné à ses personnages un cadre
noble et des costumes pittoresques et, à l'ensemble de sa composition,
un ordre concentrique et savant. A côté d'elle les Pères
de la Confédération de Harris ont la mine terne et ennuyeuse.
» (121)
Cette revue critique serait incomplète si on
n'y faisait mention des commentaires négatifs. En 1922 Ozias Leduc
séjourne à Québec afin d'exécuter le portrait
de l'honorable J. N. Francoeur. Il note dans son carnet ses impressions
au hasard des visites. Après une longue description de Je me souviens, il conclut:
« La couleur de l'ensemble est assez vive, les valeurs
sont bien établies. Cette composition est accompagnée de
quatre figures allegoriques des saisons. Si vous voyez le rapport...Le
tout est banal comme sont banales ces compositions si souvent repettees.
Le dessin est lache et tous ces personnages plafonnent avec plus ou moins
d' ensemble. »
(122)
Leduc ne semble pas avoir été touché par la glorification patriotique des grands hommes de la nation. Homme sage et retiré,
son idéal était plus philosophique. Son appréciation
repose donc sur la seule approche esthétique. Il semble attiré
par le symbolisme de Je me souviens (fig. 17) qui a touché
en lui une corde sensible. Par contre il ignore Le débat sur
les langues (pourtant dans la même salle et que l'oeil moins
averti ne peut pas escamoter) qui semble l'avoir laissé indifférent
par la crudité de son réalisme.
En 1929 Le débat sur les langues est reproduit dans l'Histoire
de l'art...d'André Michel. On y range Huot, à raison
d'ailleurs, au rang des peintres académiques, lui faisant subir
les mêmes critiques. (123) Aujourd'hui, ce courant historiographique
est de plus en plus remis en question. (124) Mettre sous la même bannière esthétique Paul Delaroche, Jean-Paul Laurens et Charles
Huot est faire preuve d'un raccourci historique pour le moins étonnant
et oublier les nombreuses tendances esthétiques qui les séparent
dans la chronologie. Il ne faut pas non plus oublier de situer l'oeuvre
dans la vie artistique canadienne de l'époque. La décoration
du Palais législatif constituait un événement majeur
et put jouir à ce seul titre d'une publicité incomparable.
Les pouvoirs publics canadiens étaient habituellement peu enclins
à subventionner les artistes dans la réalisation de projets
décoratifs pour les édifices publics, et les travaux du
Palais législatif de Québec demeurent à cet égard
une manifestation privilégiée dans notre histoire de l'art. (125)
Il ne faut pas oublier qu'au XIXe siècle la France avait connu cette
frénésie décorative. Les grands bénéficiaires
en avaient été les peintres académiques et non les novateurs ou
dissidents. (126) À cet égard, la tentative de
Huot, avec cinquante ans de retard, permet de franchir une étape
de cette mise à jour en histoire de l'art.
Étudions maintenant les écrits de l'historien de l'art québécois
Gérard Morisset. Ils ont fait école et ont largement contribué
à donner mauvaise presse à Charles Huot, surtout parce que
l'on a extrait quelques jugements sévères d'un contexte
qui était beaucoup plus nuancé. Après avoir d'abord
loué l'oeuvre de Huot, (127) Morisset fait volte-face et la juge d'après
de nouveaux critères qui rejettent en bloc l'académisme
au profit des dernières modes artistiques. Bien qu'il doive reconnaître
l'existence de l'académisme, l'auteur incline peu à lui attribuer
une place importante dans l'histoire de l'art, ni à octroyer quelque
valeur esthétique aux oeuvres qui en sont issues. Il situe très
bien la suprême importance que l'on accordait alors à la
peinture d'histoire, admettant même que Huot ait voulu la réfléter
dans son oeuvre. Néanmoins, ces réserves ne l'empêchent
pas d'être impitoyable:
« [...] la peinture de Charles Huot nous apparaît
aujourd' hui comme une suite d' essais où les préoccupations
historiques l'emportent, et de beaucoup, sur les problèmes d'harmonies
de couleur et de technique. Le peintre s'est souvent mué en historien
méticuleux. Tel apparaît-il dans les immenses compositions du Parlement de Québec, le
Premier
Parlement de 1792 [Le débat sur les langues], le plafond
de la Chambre basse, et l'Ouverture du Conseil souverain en 1663, au Conseil législatif. Les erreurs historiques, les anachronismes,
s'il en existe dans cet ensemble, ne peuvent choquer que les historiens.
Mais l' honnête homme, qui regarde ces tableaux non pour s'instruire
mais pour son plaisir, y découvre des vices de composition que l'artiste eut pu éviter; surtout dans la dernière murale, qui
est médiocrement meublée et présente des vides désagréables.
» (128)
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