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Charles Huot et la peinture d'histoire au
Palais législatif de Québec (1883-1930)
par Robert Derome
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Les plans de Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry dressés
en 1743 (141) confirment cette description, à l'exception d'une
des trois fenêtres du versant nord, remplacée par un projet
d'agrandissement (non réalisé) d'une aile qui devait être
le pendant de l'autre. (142) Cependant, un détail nous informe sur
l'intérieur de la chapelle: soit l'existence d'un vestibule, fermé
par un mur sous le jubé, duquel on pouvait se rendre à la
salle latérale au rez-de-chaussée du Palais. L'accès
au jubé se faisait obligatoirement par une salle au premier étage
du Palais puisqu'il n'y avait aucun escalier à l'intérieur
de la chapelle. Ces plans sont antérieurs aux travaux de restauration
exécutés par de Léry. (143)
L'édifice fut passablement endommagé lors du bombardement
de Québec en 1759. (144) Lorsque Mgr Jean-Olivier Briand entreprit
de le restaurer vers 1767, il y consacra de fortes sommes. (145) On ne possède
aucune indication sur les travaux effectués. (146) Toutefois, la structure
ne semble pas avoir été altérée de façon
sensible. Nous sommes donc réduits à extrapoler l'apparence
qu'avait l'intérieur de la chapelle en 1792 lorsque le gouvernement
décida d'y loger l'Assemblée législative. (147) Smillie
et Cockburn ont tous deux relevé un détail architectural
intéressant: la cheminée du coin nord, près de l'entrée.
À l'intérieur devait y correspondre un appareil de chauffage,
d'autant plus que l'événement en question se passe en plein
hiver.
Même si Huot n'a pu avoir accès à la totalité
de ce matériel iconographique, il a tout de même réussi
à s'en tirer fort élégamment dans la reconstitution architecturale de cette chapelle. Dans ses esquisses il avait déjà
introduit trois fenêtres et un jubé. L'esquisse finale proposait
la même idée sans modification mais avec plus de détails
(voir fig. 12). La perspective y était plate, le mur du fond étant
parallèle à la surface de la toile. Cette composition entraînait
le même statisme que n'avait pu éviter Robert Harris dans
Les Pères de la Confédération (fig. 26). (148)
Huot modifia heureusement cette composition lors de l'exécution.
Le parallélépipède de l'édifice s'illustre
en oblique, créant ainsi une véritable vue orthogonale qui modifie complètement la perception de l'espace, y ajoutant
dynamisme et mouvement. Les dimensions du vaisseau, environ 65 pieds sur
36, (149)
semblent avoir été prises en considération. L'alignement
des planches du parquet crée la profondeur par leur point de fuite.
La représentation tronquée des trois fenêtres, situées
dans un plan oblique par rapport au spectateur, crée une autre dimension
qui situe l'avant-plan à droite et son point de fuite au fond de
la salle à gauche du tableau. Cet artifice de composition servira
à situer l'action dans le tiers droit du tableau.
Ayant établi la perspective et les murs, il reste au peintre
à détailler le décor intérieur. Le résultat
constitue un stéréotype des églises québécoises
traditionnelles: (150) un jubé avec rampe à balustre
(habituellement la table de communion) monté sur des colonnes d'ordre ionique;
de faux pilastres d'ordre composite scandent les murs en alternance avec
des chutes d'armes ou trophées imprécis. Une démarcation
horizontale sépare ce décor idéel traité
en grisaille du lieu de l'action peint en couleurs vives sur un fond plus
chaud de boiseries vernies.
Le reste de la reconstitution historique repose sur les accessoires:
armoiries, lustres, mobilier, costumes. Huot n'a pas détaillé
les armoiries, se limitant aux traits généraux distinctifs,
ce qui lui évite des recherches trop poussées. (151) Les lustres
peuvent cadrer avec l'époque. (152) Cependant le fauteuil de l'Orateur
est celui que Huot avait sous les yeux à l'Assemblée législative. (153)
Les chaises sans style définissable semblent provenir d'une école
ou d'un bureau du gouvernement; elles conviennent peu à l'époque
illustrée. Quant aux fauteuils du greffier et du sergent d'armes,
ils sont plutôt victoriens. Le costume civil est celui de la cour,
porté lors des cérémonies officielles jusqu'en 1810. (154)
On peut lui reprocher d'être un peu théâtral. (155) La masse,
assez peu définie, correspond au modèle traditionnel encore
en usage de nos jours. L'authentique, de la main de François Baillairgé, (156)
a probablement été consumée dans l'un des incendies. Quant aux costumes des militaires, ils semblent
relever plus d'un modèle français que du costume véritable des troupes cantonnées à Québec
à cette époque. (157) Ces militaires assistent le sergent d'armes et assurent la sécurité
des parlementaires. Le grenat du tapis de table choquera peut-être
le spectateur qui voit cette murale dans la pièce qu'on appelle aujourd'hui Robert
« le salon vert ». Le fait est pourtant
authentique: en 1852 The Quebec Mercury confirme l'utilisation du rouge à la fois dans la Chambre
d'assemblée et dans celle du Conseil législatif. (158) Un dernier détail, la
neige et son éclairage
caractéristique, très bien rendu, situe cet événement
dans la bonne saison.
La seule véritable licence que se soit permise le peintre est d'avoir ouvert les fenêtres
sur une vue du Château Saint-Louis et de la Citadelle. En fait, de ce côté
on devrait voir les jardins du Séminaire. Le pittoresque Château créait
un effet spectaculaire qui permettait une heureuse métaphore picturale: symbole du
pouvoir colonial
anglais mais rappel de l'ancien régime, cette ambivalence s'accorde bien avec l'objet des débats
qui est la survie de la langue française malgré la puissance
politique britannique. La représentation de la Citadelle est pour
sa part anachronique puisque sa première pierre n'a été
posée qu'en 1820. (159) Huot utilisa comme source
iconographique la gravure de Robert Auchmaty Sproule, parue en 1834
dans le Hawkin's Picture of Québec..., année de
l'incendie du Château Saint-Louis (voir fig. 21). (160)
« It has been stated that the sittings of the PROVINCIAL
ASSEMBLY were held in the BISHOP'S Chapel until 1834. It will be
remembered, that the HOUSE OF COMMONS in ENGLAND holds its sittings
in what was once the small chapel of ST. STEPHEN, WEST-MINISTER. »
(161)
Karl Anton Hickel a peint une toile qui illustre ce fait (voir
fig. 22). Elle fut reproduite en 1901 dans le catalogue The
National Portrait Gallery. (162) Peintre contemporain de l'événement,
Hickel s'est surtout attardé à portraiturer les
parlementaires. La similitude du sujet du décor (les loges,
le chandelier, les armories et surtout les trois grandes fenêtres
cintrées), la contemporanéité des événements,
les attitudes générales des personnages attentifs aux
paroles et aux gestes de l'Orateur, permettent une comparaison avec Le
débat sur les langues.
La source iconographique ayant servi à la mise en place des
nombreux personnages est un relief du sculpteur français Jules
Dalou. Huot avait lui-même signalé cette influence à un
journaliste de La Presse:
« La scène nous rapelle un peu celle que le sculpteur Dalou
a représenté dans un haut-relief où il montre
Mirabeau adressant au marquis de Dreux-Brézé
l'apostrophe foudroyante que voici: « Allez dire à votre maître
que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n'en
sortirons que par la force de baïonnettes. » (163)
L'événement historique reconstitué par
Dalou (voir fig. 24) est contemporain de celui illustré par
Huot. Le sujet de Mirabeau ainsi que le thème plus large de L'Ouverture
des États généraux avaient fait l'objet de
plusieurs interprétations. (164) Celle d'Auguste Couder au Musée
du château de Versailles (voir fig. 23) a pu inspirer le geste déclamatoire
de Chartier de Lotbinière, ainsi que les attitudes et costumes des
deux militaires postés près de l'entrée.
L'oeuvre de Dalou avait obtenu la médaille d'honneur au
Salon de la Société des artistes français en 1883; (165) à cette
époque Huot habitait Paris. (166) Du plâtre fut tiré un bronze
qui se trouve aujourd'hui dans la Chambre des députés, dite salle
Casimir-Périer, au Palais Bourbon. (167) Bien que le cadre architectural et le mobilier soient complètement différent
du Débat sur les langues, on peut signaler une certaine
similitude dans la disposition des personnages autour d'une table recouverte
d'un tapis. L'action se passe dans le tiers droit ou gauche. Dalou laisse un vide
autour de ce centre d'attraction
et les personnages s'assemblent jusqu'au fond de la salle en affichant des comportements variés.
Huot a emprunté à Dalou les attitudes et costumes de quelques personnages, ainsi
que de quelques groupes qu'il a déplacés et remaniés: P. A. de Bonne (voir fig. 16, no 42); S. Phillips, le greffier de la
Chambre (no 21); P. Marcoux (no 27); W. Grant (no 49); J. Tod, B. Panet
et G. de Lorimier (nos 10, 11, 12); P. Guéroux (no 31).
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