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Charles Huot et la peinture d'histoire au
Palais législatif de Québec (1883-1930)
par Robert Derome
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*La préparation de cette étude a été grandement facilitée par
l'étroite collaboration du Bureau d'accueil et d'information à
l'Assemblée nationale du Québec, et par celle de Simone
P. Huot, nièce de l'artiste. Le soutien constant du Centre de recherche
en civilisation canadienne-française, gardien du fonds Charles Huot,
nous fut d'un grand secours. Nous sommes également redevables au
personnel de l'Inventaire des biens culturels, du Musée du Québec
et des Archives nationales du Québec, ainsi qu'à nos collègues
de la Galerie nationale du Canada. Que tous ceux qui ne sont pas spécifiquement mentionnés dans nos notes trouvent ici
l'expression
de notre plus profonde gratitude.
Introduction
Le 11 novembre 1913 était inaugurée l'oeuvre qui rendrait célèbre
le peintre québécois Charles Huot (1855-1930), alors au faîte
de sa carrière. Ce tableau décore aujourd'hui la salle des
délibérations de l'Assemblée nationale du Québec
(voir fig. 18). L'artiste y suggère une reconstitution historique
de la séance du 21 janvier 1793 de l'Assemblée législative
du Bas-Canada, formée l'année précédente en
vertu de l'Acte constitutionnel de 1791. On y décrit cet instant dramatique où les députés eurent à se prononcer
sur l'amendement de John Richardson à l'effet que « l'anglais
sera considéré le texte légal ». Porte-parole
des élites intellectuelles et politiques du Québec en ce
début du XXe siècle, Huot transposait en une création
picturale l'essence même de leur pensée. Ayant satisfait à
leurs exigences, on le remercia, en plus de le payer grassement, en le
gratifiant du titre de peintre national. Sa gloire était dorénavant
assurée par ce tableau qui demeure sans contredit un chef-d'oeuvre. D'emblée, cette murale avait cristallisé diverses tendances
de l'art québécois en gestation depuis une trentaine d'années.
Par sa réalisation, elle marquait un jalon essentiel du programme
de décoration picturale du Palais législatif amorcé
en 1883.
I. La décoration du Palais législatif
Avant de parler de décoration picturale, il sied de connaître l'édifice
qui l'a reçue. L'historique des immeubles publics où logea
le gouvernement québécois est particulièrement mouvementé:
incendies, démolitions et déménagements le jalonnent. (1)
Le pouvoir politique siégeait au Château Saint-Louis. Mais
les besoins immobiliers du gouvernement, aigus, l'amenèrent à
louer divers bâtiments dont le Palais épiscopal en 1777. Avec
l'avènement du gouvernement représentatif en 1792, la chapelle
servirait de salle des délibérations pour l'Assemblée
législative. Finalement acquis en 1831, le gouvernement entreprend
aussitôt d'agrandir l'édifice d'une aile. Sur le site de la
chapelle on érige en 1833 le corps central de l'Hôtel du Parlement
d'après les plans de Louis-Thomas Berlinguet (voir fig. I). En 1850
on démolit l'aile restante du Palais épiscopal et on achève
la construction de l'Hôtel du Parlement, entre 1851 et 1852, d'après
les plans de Pierre Gauvreau et George R. Browne. En 1854 l'édifice
brûle. Logés chez les Soeurs de la Charité, les
bureaux du gouvernement sont de nouveau la proie des flammes. En 1859-1860
on construit un nouvel édifice sur l'emplacement actuel du parc
Montmorency. D'une architecture banale, celui-ci fut également incendié,
en 1883, alors qu'on s'affairait à construire le Palais législatif actuel.
Quand on considère cette énumération de catastrophes et qu'on lui ajoute les déménagements successifs du
siège du Parlement sous l'Union, (2) sans compter l'incendie dévastateur
de Montréal en 1849, il n'est pas surprenant de constater que l'on
ne connaisse pratiquement rien des décors intérieurs de ces
édifices, qui ont péri avec nombre de biens culturels (archives,
bibliothèques et musées inestimables). Une seule description,
faite en 1852, nous permet
d'évaluer sa décoration picturale. (3)
Cependant, nous sommes beaucoup mieux renseignés sur l'actuel Hôtel
du Gouvernement. Son architecte est Eugène-Etienne Taché.
Ardent nationaliste, il s'inscrit dans le mouvement initié par
l'historien François-Xavier Garneau qui avait publié son Histoire du Canada...en réponse à une boutade du
rapport Durham à l'effet que les Canadiens étaient « sans
histoire ni littérature ». (4) Taché illustrerait l'histoire
de son pays par la décoration et l'architecture du Palais législatif;
dont il voulait faire un panthéon. L'embellissement des édifices
parlementaires rendrait donc hommage à nos gloires nationales
tant par la sculpture que la peinture. Le tout serait couronné par
la nouvelle devise du Québec, « Je me souviens », qui
apparaît pour la première fois dans les plans et devis préparés
par Taché. (5) En 1877 on s'attaqua à la construction des
trois ailes affectées aux départements publics (les ministères
actuels). Ces bureaux furent occupés dès 1880. Les fondations
de la quatrième aile, le Palais législatif avec sa tour centrale,
furent entreprises en 1881. On posa la pierre angulaire de cet edifice le
juin 1884. (6) L'ensemble des travaux ne fut termine qu'en 1886.
Dès 1883 Napoléon Bourassa avait soumis un projet
été détaillé de décoration
intérieure et extérieure, dont il résumait ainsi la finalité:
« ouvrir un champ digne et enviable à l'art national, [...] consacrer,
dans une oeuvre méritoire et durable, la mémoire des hommes et des
faits glorieux de notre histoire. » L'artiste aurait fut ainsi réaliser sa
« vieille ambition: celle d'établir ici l'art sur
cette double base du culte religieux et du culte national. » (7) Bourassa était
sans contredit un des candidats les mieux préparés pour la réalisation de
cette
tâche. Il avait acquis son expérience par la conception et la réalisation
de deux grands ensembles décoratifs,
la chapelle de Nazareth (1870-1872) et la chapelle de Notre-Dame-de-Lourdes
(1873-1884). (8) Il s'était aussi attaqué, en 1859, à une composition
historique
d'envergure destinée au Cabinet de lecture paroissial de Montréal
et intitulée L'Apothéose de Christophe Colomb. (9) Le contrat ne fut jamais réalisé
malgré un nouvel espoir également infructueux en 1865. Désabusé de cet échec,
le peintre confia son carton à Joseph-Charles Taché,
commissaire du Canada à l'Exposition internationale
de Paris, qui l'y fit exposer en 1867. L'Apothéose...en revint avarié pour
demeurer oublié jusqu'à
ce que Bourassa en fasse le principal item de son projet de
décoration pour le Palais législatif. Le
Musée du Québec conserve cette esquisse réalisée
entre 1859 et 1865, plusieurs dessins préparatoires et une
huile de grandes dimensions (voir fig. 2). On conserve une autre
composition historiquede Bourassa, Le Naufrage de l'Auguste
(fig. 3), également proposée pour la décoration
du Palais législatif. (10)
Malgré son religieux patriotisme, Bourassa ne parvint pas à
faire vibrer les politiciens à cette peinture d'histoire, somme
toute assez peu nationaliste. Il est cependant intéressant de
souligner les sujets proposés dans la mémoire de
Bourassa qui eurent une grande influence sur ses successeurs.
L'imagination stimulée par l'espoir d'un contrat
gouvernmental, plusieurs artistes n'auront de cesse d'exploiter ces
sujets historiques que lorsque la décoration du Palais législatif
aura été complétée, ou donnée à
contrat ferme à l'un d'eux. « La visite de Jacques Cartier à la
bourgarde d'Hochelaga » inspirera Eugène Hamel (voir fig. 5) et
Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté (voir fig. 8); « La défense
du fort de
Verchères » fut repris par Huot, Suzor-Coté et le
sculpteur Philippe Hébert; (11) « La défense héroïque
de Dollard au Long Sault » sera peinte par Suzor-Coté (12) et
Charles Huot, (13) tandis que Joseph Saint-Charles en réalisera
une version pour la chapelle du Sacré-Coeur (église
Notre-Dame de Montréal); (14)
« La mort de Montgomery à
l'assaut de la barrière Près-de-Ville », L'Apthéose...et
Le Naufrage...eurent moins de succès.
Alors que Philippe Hébert, le protégé de
Bourassa, se voit confier la réalisation d'une dizaine de
sculptures pour la façade, (15) E. É. Taché désire
remplir les encadrements vides destinés à recevoir des
oeuvres picturales. Eugène Hamel, revenu de Rome en 1885, a déjà
préparé une esquisse:
« Nous avons remarqué, dans l'atelier de M. Hamel, une
esquisse historique d'un grand intérêt, c'est la réception
de Jacques Cartier à Montréeal, par le chef de la bourgarde
d'Hochelaga. Le sujet est tiré de Garneau. C'est saissant de
vérité. [...] Nous engageons fortement le gouvernement
à confier M. Hamel la décoration des salles du nouveau
parlement. » (16)
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