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Le
gravier n'a rien de semblable. C'est un paria. Il ne .représente
quelque chose aux yeux de personne. Le moindre matelot devient
près de lui un personnage qui le prime. S'il doit se noyer, c'est
très obscurément et il n'a pas l'honneur d'en être un peu responsable.
Ce sont les autres qui, en sombrant, l'entraînent à leur suite.
Il cherche misérablement sa vie et à grand'peine il trouve de
quoi la soutenir. Enfin, il passe la plus grande partie de son
temps et de ses journées dans les chauffauts, rude commencement
de purgatoire.
Quel
est ce purgatoire dont parle Gobineau ? Sa description est éloquente
:
Un
chauffaut, expression normande qui répond au mot échaffaud, est
une grande cabane sur pilotis établie moitié dans l'eau, moitié
à terre; construite en planches et en rondins on a cherché à ce
que l'air pût y circuler aisément. Quelques grandes toiles de
navires la recouvrent.
Une
partie du plancher, celle qui est au-dessus de l'eau, notamment,
est à claire-voie; et dans cette partie sont rangées des espèces
d'établis où l'on décolle la morue. Rien ne peut donner une idée
de l'odeur infecte du chauffaut. C'est le charnier le plus horrible
à voir. Une atmosphère chargée de vapeurs ammoniacales y règne
constamment. Les débris de poisson à moitié pourris ou en décomposition
complète accumulés dans l,eau, finissent par gagner l'intérieur
du lieu et comme les graviers ne sont pas gens délicats, ils ne
songent guère à se débarrasser de ces horribles immondices.