Effets de langage

 

1989

 

 

 

L'Autre s'est considérablement rapproché au cours du siècle. L' « étranger » ne provient plus nécessairement d'un pays lointain, il est notre voisin. En fait, il est étranger du seul fait d'excéder, et ainsi de définir, les limites de notre individualité. Dès lors, tout ce qui nous permet d'entrer en contact avec nos semblables devient l'objet d'un questionnement identitaire fondamental.

Dans ce contexte, le langage constitue un élément essentiel pour l'individu qui s'interroge sur les différentes façons qu'il a de se communiquer pour entrer adéquatement en relation avec l'Autre et pour atteindre à une meilleure compréhension de lui-même.

Terrain de réflexion fertile pour les artistes tout au long du siècle, la question du langage devient, pour ceux de la fin des années 1980, un sujet de prédilection. Cet intérêt n'est pas sans écho au niveau social : de nombreuses technologies de communication sont mises au point dans les mêmes années et les réflexions psychologiques sur l'importance de la communication dans les relations se multiplient.


Alighiero e Bœtti
Una parola al vento, due parole al vento, tre parole al vento,
100 parole al vento

1989
(c) Alighiero e Bœtti/SODRAC (Montréal) 2000

 

C'est sur le langage comme ensemble codé de signes que l'œuvre réalisée en 1989 par Aglihero e Bœtti s'arrête. Sa tapisserie ludique, faite de carrés de couleurs enserrant des lettres, apparaît presque comme un jeu de blocs pour les enfants : la composition en grille et l'organisation des couleurs complexifient la lecture des lettres sur le fond, de sorte que le sens du texte proposé échappe, dans un premier temps, au spectateur. Il lui faudra jouer avec les lettres, essayer de les lire dans plusieurs sens, en faire des groupements divers avant de parvenir à décoder ce qui y est écrit : una parola al vento, due parole al vento, tre parole al vento, 100 parole al vento (une parole en l'air, deux paroles en l'air, etc.).

Tout dans cette œuvre ramène le spectateur à la codification du langage : le signe sur la surface, la convention de la lecture, la langue étrangère. Et tout cela ne serait que vent ? À moins qu'une fois ces paroles en l'air chacun s'en empare pour réinventer quelque chose à dire.

 

 

Les paroles sont littéralement en l'air chez l'artiste québécois Gilbert Boyer où l'écriture s'installe dans l'espace, sur une surface de verre perpendiculaire au mur qui laisse les caractères presque flottants.

Le corps doit donc agir afin de lire, se déplacer et se plier pour trouver le texte caché : « Il ne distinguait plus les mots de sa bouche de ceux de sa tête».

C'est donc l'être humain comme être de langage que convoque ici Boyer, des pieds à la psyché. Mais sa plaquette de verre passe presque inaperçue : signalisation inefficace, elle est tout autant un commentaire sur la ténuité de la communication, qui constitue également l'enjeu de la pièce de Geneviève Cadieux.

 
Gilbert Boyer
Il ne distinguait plus les mots de sa bouche de ceux de sa tête
1993

 

 

« Entends-moi avec tes yeux » : cela pourrait être la demande de toute œuvre, mais c'est également, et surtout peut-être, la demande de tout être humain – « Comprends-moi sans même que j'aie à prononcer un mot. »

Dans cette version réduite de Hear Me with Your Eyes, plus de mots : c'est le corps qui parle. La bouche très expressive et le mouvement de la tête racontent ce que la voix ne dit pas ou ne parvient pas à dire, nous rappelant que, si le langage du corps semblent universels, il possède un alphabet tout aussi codé à l'échelle individuelle.

 

A.M.N.


Geneviève Cadieux

Sans titre
1989