Le bateau-fantôme
Mais moi, j'ai vu le bateau-fantôme.
Je t'avais dit avant que j'avais vu le bateau-fantôme.
Je l'ai vu, bon! On a toujours entendu parler de ça,
nous autres, c'est longtemps que c'est passé. Mais
moi, j'étais petit gars et le monde, les vieux, parlaient
du bateau-fantôme ou bateau du mauvais temps. S'il était
à la veille d'un mauvais temps, on voyait un bateau
en feu (en flamme) qui se promenait dans la baie. Des fois
ça se voyait du côté de la Gaspésie,
des fois c'était ce côté-ci. Puis c'était
un bateau : bateau-fantôme. Bateau du mauvais temps,
des fois qu'ils l'appelions.
Toujours dans le temps que j'ai commencé
à pêcher, on va dire que c'était à
peu près en 1930. Ce temps-Ià, on pêchait
dans les goélettes. On allait pêcher le hareng
pour engraisser la terre le printemps. C'était pas
pour le marché comme à cette heure, c'était
pour engraisser la terre. On pêchait le hareng sur les
côtes de Pokesudie, Bas-Caraquet, le chenal qui rentre
à Caraquet. C'est là que le hareng venait pour
frayer au printemps. On allait là le jour, tendre nos
filets puis après ça, on les surveillait. Si
le hareng se maillait la nuit, bien on démaillait la
nuit. On surveillait. Toujours, une soirée, la nuit
était prise et on regardait. Puis tout d'un coup, on
voit venir des lumières, un gros bateau. Les lumières
étaient loin, on voyait pas le bateau mais d'après
la distance qu'étaient les lumières, il paraissait
long tout de même, une couple de cent pieds ou 150 pieds.
Ça passait au large des goélettes, ça
suivait comme le chenal de Caraquet. Ça allait comme
par Miscou. Puis là, tant que ça passait, t'aurais
dit qu'il y avait du monde qui travaillait sur le pont du
bateau; il y avait des lueurs, des lumières. On voyait
passer des personnages là-dedans. Ça passait
en arrière de nous-autres, en allant comme vers Caraquet.
Ça été un bout-là, après
ça on a perdu ça de vue. Pis on a essayé
de décider, à juger qu'est-ce que c'était.
Ça pouvait pas être un bateau qui venait là,
il a disparu tout d'un coup et puis comment ça se fait?
On disait : « Ben, ça doit être le bateau-fantôme
». Ça fait que c'est ça que j'ai vu comme
bateau-fantôme.
Carmen Daneault : Entendiez-vous du bruit,
ou...?
Oui, on aurait dit qu'on entendait comme des
craquements, comme des chaînes qui, sonnent, des bruits
pas normaux. On examinait ça passer, quelle sorte de
bateau qui s'en va là. « C'est pas un bateau
qui rentre dans Caraquet la nuit tout seul, tu peux pas rentrer
là, c'est un chenal. » Puis il a disparu un moment
donné.
C.D. : Il a-tu fait mauvais par après?
Non, pas mauvais par après.
C.D. : Non? Ça fait que ça pas
annoncé le mauvais temps ?
Non, je me rappelle pas qu'il avait annoncé
le mauvais temps. Ça fait que... C'était tu
vrai ce qu'on pensait? Ben on pensait que c'était le
bateau-fantôme. Ça fait que c'est à peu
près ça que je sais sur le bateau-fantôme.
M. Étienne Noël (78)
Shippagan (Gloucester), NB
1998
Université de Moncton, Centre d'études
acadiennes, Collections Carmen Daneault
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