À la veille d'un mauvais temps
Quand j'étais à Pointe-la-Garde,
les vieux voyaient ça. Le Fire Ship qu'ils l'appelaient.
Les Français appellent ça le bâtiment-fantôme,
on n'est pas supposé aller y toucher pis rentrer dedans
pis le visiter comme un autre bâtiment. Il est tout
en feu.
Moi, j'ai été pêcher la
morue dans un flat que j'avais eu. Un Anglais de Pointe-la-Garde
m'avait prêté son flat. Ma femme a descendu avec
moi mais alle pas remonté, elle. J'ai resté
là sept, huit jours, je restais sur ma soeur. Tout
ce que j'ai vu le soir c'est le beau rayon de la lune qui
rayait su l'eau; c'était pas une lumière de
bâtiment-fantôme. Il n'apparaît pas à
tous les jours.
Mon beau-frère m'a dit - Il vivait
dans ce temps-là, Théodore Landry - ma femme
me regardait pis a croyait pas beaucoup, elle. Mais lui, il
l'avait vu.
« Jos, i dit, va pas là tout
seul. Tu vas avoir assez peur, tu pourras pus ramer, tu pourras
pus t'en venir, tu pourras rien faire. La tempête prendra
pis tu pèriras. » Il m'a fait des histoires.
« Es-tu fou?, j'ai dit. Crois-tu là-dedans,
toi? »
Je crois de là-dedans cartain, i dit.
C'est moi qui l'as vu. I disent qu'i était tout en
feu quand ils le voyaient. Les matelots montaient dans les
mâts. Vous savez que les matelots faut qu'i montent
dans les mâts pour arranger les cordages. I disent qu'i
oyaient jusqu'à des hommes monter dans les mâts.
Mais s'ils étaient en feu ces mats pis ces voiles-là,
i devaient se brûler les mains, ces gars-là.
Catherine Jolicoeur : À quelle place
c'était ça?
Ils le voyaient jusqu'à Pointe-la-Garde.
I allait pas plus loin que Pointe-la-Garde où c'que
j'avais été élevé. À Pointe-la-Garde,
c'est là que la grosse guerre avait été
où c'que les Français se sont fait tuer. Y a
un histoire toute amanchée.
La guerre s'a faite plus haut que Pointe-la-Garde.
I ont trouvé des vieux bateaux. Y a pas longtemps encore,
i n'ont sorti un dans la vase.
C.J. Eux-autres, ils disent que ça
arrêté là. Disent-ils que c'est un bateau
de la guerre?
Oui, oui, oui. Y n'a qui calculent que ça
s'est faite dans le temps de la guerre. Y n'a qui disent que
le capitaine Byron, cita que le bâtiment a pèri
par Eel River, au Bar. C'était un Anglais, le colonel
Byron... un colonel, c'est pas mon oncle, ça, un colonel.
Ce colonel Byron, ça c'est un haut-officier qu'a faite
la guerre icite aux Français. C'était un des
derniers Anglais à faire la guerre aux Français.
Pis après ça, la guerre a arrêté,
je crois.
Y a eu queque chose. Son équipage,
ses hommes ont pris malades. Je sais pas si c'est le choléra
qu'a passé. I appellent ça le choléra
noir dans ce temps-là. I mouraient presque toutes.
C'est pour ça qu'i ont trouvé, quand i ont bâti
la polyvalente, l'école, icit, i ont trouvé
dans un coin où c'qu'i ont creusé pour bâtir
l'école, i ont trouvé des ossements là.
Pis i se sont informés des plus vieux de la ville voir
s'y avait eu un cimetière là, si la ville avait
enterré du monde là queque fois. I ont dit qu'i
se rappelaient pas de ça eux-autres. Si y n'a eu, c'était
avant leur temps pis ces vieux-là arrivaient à
cent ans.
Ça fait qu'i calculent que c'est le
monde à Byron qui étaient là quand qu'i
ont pris malades; i les ont enterrés où c'qu'i
ont pu.
C.J. C'est ce bateau là qui était
le bâtiment-fantôme?
I calculent que c'était ça qui
faisait les fantômes. I avait martyrisé les femmes
pis les enfants. I n'avait étripé pis j'sais
pas quoi c'est qui avait faite. Le bon ieu l'a puni su ce
bord-là. I est mort en mer, i a été maudit
comme on dirait. I a été banni.
I dit, mon beau-frère qu'i l'a vu pis
i a eu assez peur qu'i l'a quasiment pas regardé. I
ont faite pour la côte pis quand i ont été
arrivés là, i ont regardé dans la direction
qu'i l'avaient vu pis i était pus là. Faut être
pas mal proche pour le oir. C'était dans les dix-huit
cents.
Jos Vautour (89)
Campbellton (Restigouche), NB
Collections Catherine Jolicoeur
Université de Moncton, Centre d'études acadiennes,
Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.012
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