Le bateau-fantôme
Diane Thériault
: Avez-vous déjà entendu parler du bateau-fantôme?
Ça le bateau-fantôme c'était
comme un gros feu orange qui se faisait du côté
de Maisonnette. Pis ça, ça changeait de place.
Mais après ça quand on a venu à vieillir,
c'était certainement des gaz qui sortaient qui faisaient
ça.
D.T. : Le monde avant qu'est-ce qu'ils pensaient
que c'était?
Ah ben ils pensaient que c'était le
feu du mauvais temps.
D.T. : Les feux du mauvais temps, qu'est-ce
qu'ils pensaient que c'était?
Ah ben là, il y a une histoire là-dessus.
Ben moi, d'un autre côté, j'étais aux
Îles-de-la-Madeleine l'année passée, pis
il y a quelqu'un qui me contait d'eux autres qu'ils en voyaient
de ces feux-là aussi. Ben ils n'ont jamais pensé
aux feux du mauvais temps. Rien de ça. Ben le terrain
était humide pis des soirées avant qu'il fasse
mauvais, ben ça se promenait ces feux-là. Pis
c'est supposé que c'est des gaz qui sortaient d'la
terre. Mais le feu du mauvais, il y avait une autre histoire
là-dessus. Il paraît que c'était un bateau
qui s'en venait pour porter d'la marchandise ou quelque chose.
Pis il y avait des brigands qui voulaient voler le bateau.
Ça fait, ils s'en ont venu par derrière le premier
bateau pour l'attaquer. Mais quand ils l'ont attaqué
il y avait un prêtre à bord. Ça fait,
ils ont pris le prêtre et il paraît qu'ils l'ont
attaché au mât. Pis ils ont mis le feu sur le
bateau. Ça c'est l'histoire qu'ils nous ont racontée.
D.T. : Vous me disiez que vous aviez trouvé
quelque chose sur le feu du mauvais temps?
Oui. J'ai trouvé un récit que
ma grand-mère Allard me racontait souvent. C'était
à propos du feu du mauvais temps. Ça c'est le
récit de grand-mère Alard :
Dans ma plus petite souvenance, on parlait
du feu du mauvais temps. Chaque fois qu'il apparaissait, on
était sûr d'avoir une tempête en dedans
de 24 heures. Ma mère nous a raconté souvent,
souvent des fois. En premier temps, il n'y avait pas de quai
le long des côtes, quand un navire arrivait il fallait
une petite barque pour venir au rivage ou aller au navire.
Les gens de la côte avaient l'habitude de trafiquer
avec les navires toutes sortes d'effets vendus.
Un jour il y a bien longtemps, un fermier
du nom de Roussy de Paspédiac, je crois avec des amis,
s'en fut vendre du boeuf et du porc à un gros brigg
mouillé au large; on ne sait pas au juste ce qui s'est
passé. Le fait est que ces gens ne revinrent jamais
à terre. On les a décompté pour toujours.
Sans doute l'équipage du brigg était des forçaires
ou pirates de la pire espèce. On a supposé qu'ils
ont massacré les Roussy après les avoir volés.
N'importe comment c'est depuis ce temps que le feu du mauvais
temps apparaît la veille des grosses tempêtes.
Des pêcheurs courageux se sont approchés du feu
du mauvais temps et voici ce qu'ils ont vu : Un grand brigg
à trois mâts enveloppés de grandes flammes.
On entendait un vacarme infernal, on voyait les matelots perdus,
courir sur le pont, grimper dans les mâts, sonner la
cloche, tirer du canon, le capitaine hurler des ordres, tirer
du mousquet. Des chaînes grinçaient des portes,
un lambeau battait au vent et les flammes ne les consumaient
pas. Au pied du grand mât, un prêtre en soutane
était garrotté et entouré de flammes.
Des matelots le frappaient en vociférant des blasphèmes.
Quant aux Roussy, ils étaient amarrés aux autres
mâts et des matelots les torturaient. Pour tous les
pêcheurs qui se sont approchés du bateau en feu,
ils ont constaté la même chose; il n'y a pas
de fiance au feu. Plusieurs pêcheurs ne voient pas le
bateau ou d'autres s'aperçoivent qu'il a basi, disparu
en quelque sorte. La veille des plus grosses tempêtes,
le feu se divise en deux. Ce sont ces lignes-là que
ma grand-mère Allard nous parlait tout le temps, pis
moi j'avais copié ça, pis je l'avais oublié
là. Ça m'est venu l'autre jour.
À noter : La mère de Mme Yvonne
Cormier est morte à 104 ans.
Yvonne Cormier (86)
Caraquet (Gloucester) NB
1983
Université de Moncton, Centre d'études
acadiennes, Collections Diane Thériault
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