Le Vaisseau Fantôme
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Le bateau-fantôme en 1913

Dans ce temps-là, j'avais 19, 20 ans. J'me préparais pour m'en aller au chantier. Parce que, comme je t'ai dit tantôt, su monsieur Alex Labillois, j'avais été là, pis j'avais toujours été pour faire la pêche. Lui-même, monsieur Alex, le garçon du docteur, i faisait la pêche parce qu'il avait hérité ça de son père sa tenture au saumon.

Ça fait que, en partant comme ça, là je partais pour m'en aller au chantier, je partais pour l'hiver. Ben j'arais tête ben pu venir au Jour de l'An, tête ben qu'oui ou tête ben que non. Toujours j'avais été dire à papa pis à maman :

-J'va aller oir M. et Mme Labillois avant de partir.

Pis mon parrain avait été là pour les garder. Ça fait là que c'était là que j'avais été. C'était la fin de septembre; parce que j'allais toujours quand on avait fini de travailler sur la terre icitte. J'aidais papa jusqu'aux derniers temps, pis après ça, je m'en allais passer l'hiver en forêt. On travaillait dans les camps en ce temps-là.

C'est là que je m'en était venu. Les feuilles n'étaient pas encore tombées. Une tempête de vent, c'est épouvantable. Pis là, i vente à Miguasha, du vent d'est. Pis quand j'ai arrivé icitte, i mouillait pas, mais i faisait noir comme sous les ténèbres, pas de lune. Quand que j'ai arrivé su la côte, su le Pére Charles Leblanc, c'était toujours un pressentiment pour moi de regarder par la mer. Je savais où ce qu'alle était.

Une clarté... une clarté en plein mer! Mais comme un oilure. Ça ressemblait, si on peut le dire, les goélettes du temps; pas les gros gros navires, les barques, là, ça ressemblait à une goélette. J'ai dit :

-Quoi ça fait là, un pareil vent?

Je regarde par la traverse. Par la lumière de l'île au Héron, alle était quasiment de l'autre côté. Ça tourne de bord, une fraction de seconde pis ça rebraque encore.

Je regarde ça. Ça mettait pas longtemps à peu près à faire la traversée de la baie, au sud. Quand ça eut fait ça trois ou quatre fois, j'ai dit : « ah bin là par exemple! »

Papa et maman avaient dit ça qu'i avaient vu un bateau-fantôme. Même quand j'ai arrivé à la maison, i mouillait pas. J'ai dit à papa pis à maman : Je savais où c'qu'i couchaient, j'avais vu la clarté. I venaient juste de monter.

J'ai dit : « Regardez oir quoi c'qu'y a dans la baie. Pis si c'est pas vot bateau-fantôme que vous avez vu anciennement...Ça ressemble à une goélette pis ça fait la traversée; ça fait trois fois que je l'ai vu faire la traversée. Pis, j'ai dit le darnier coup, je m'ai aperçu qu'à pouvait être au large de Cascapédia, tête ben New Richmond d'après ce que j'oyais. Mais, j'ai dit, de la terre, j'en oyais pas parce que c'était trop loin. »

I avaient ouvert le châssis tant que je les ai appelés pour leur parler, le châssis d'en haut, au deuxième étage. Le premier qu'a regardé, c'est papa. I a dit, c'est ben ce qu'on avait vu. Pis maman a regardé pis alle a dit, c'est la même chose. Pis là temps que j'ai rentré dans la maison, j'ai été mettre le cheval dedans pis j'ai rentré.

Et seulement, i s'sont levés pis i ont dit :

-Où c'tu l'avais vu?

-Ben, j'ai dit, avant de prendre la descente icitte su le vieux Charles Leblanc, j'ai regardé dans la mer pis j'ai vu ça. Pis j'ai vu ça faire la traversée trois fois. Le cheval mangeait de l'harbe pis moi, je regardais ça. C'est de même que ça s'a passé.

Catherine Jolicoeur : Qu'est-ce que vos parents disaient que c'était ce vaisseau-là?

Ah, Dieu seul sait. Anciennement, y avait une légende su le feu du Roussi. C'était le feu du Roussi qu'i l'appelaient dans ce temps là, les vieux. Je l'ai entendu nommer moi aussi. Dans ce temps-là, ben, c'étaient toutes sortes d'histoires, comme i s'rapporte tous les jours. I disaient que c'était un homme qui boivait terriblement pis qu'i avait promis à sa femme, une fois de pus boire, une promesse solonelle qu'il boirait pus ni rien.

I avait monté à Campbellton, icitte, dans ce temps-là, dans l'automne. Pis i s'avait mis chaud encore. En descendant, i avait pris une tempête pis i avait péri pis c'était ça, la légende du feu de Roussi. I l'appelaient le feu de Roussi dans le temps. Ça c'était la légende du temps, que j'entendais, moi.

J'étais jeune. Y en a eu des bateaux-fantômes, y en a eu de toutes les sortes. Des légendes, y en a eu. C'était le commun du monde qui en parlait. Le feu de Roussi, ça c'est madame Nelson Labillois qui voyait le long de la rivière, madame Nelson. Les autres le voyaient. I l'avaient déjà vu, madame Alfred pis madame Nelson. I disaient que c'était le feu de Roussi à cause que c'étaient des Roussi qu'avaient péri. Ben on savait pas plus que ça, nous autres.

Le bateau-fantôme, moi, je l'ai vu. Papa pis maman sont morts asteur. Moi je croyais pas là-dedans, moi non plus. I étaient pas couchés, je l'ai dit tantôt. J'avais vu qu'i montaient se coucher. J'ai passé au ras la maison pis j'ai crié. I ventait pis i étaient dans leux chambre qu'était du bord que j'arrivais. Pis papa a crié:

-Quoi c'tu veux?

-Ben, j'ai dit, regardez oir ce que je ois. Pis c'est le bateau en feu, c'est lui que je vois. Je l'ai vu traverser la baie trois fois qu'i allait pis i revenait. Pis, j'ai dit, j'étais arrêté sur la côte à Jos Essiembre pour regarder ça. J'ai dit tête ben que quand j'ai parti de su Monsieur Alex qu'i était visible, mais moi je m'ai pas adonné à le oir. Pis j'ai dit, su la côte à Essiembre, j'm'ai adonné à l'oir. I faisait noir qu'on oyait rien, tant que tu ois pas un cheval dans les manoères. En seulement, y avait des l'harbe, là. Ma jument avait arrêté pis a mangeait là, pis je regardais. Temps que je l'ai commandée alle a parti.

C'est là que j'ai vu la lumière monter dans la chambre quand j'ai arrivé che-nous. J'avais été oir monsieur Alex pis madame Alex avant d'm'en aller au bois. I ont regardé tous les deux, une par darrière l'autre. I ont dit :

C'est la même chose qu'on oyait quand on était jeunes. C'est c'qu'i m'ont répond.

Moi j'ai resté avec l'impression que c'était le bateau-fantôme qu'i appelaient. Y en a qui appelaient ça le feu du Roussy.

C'était toujours la veille d'une grosse tempête qu'i venait. Le lendemain, c'était une vrai cyclone, une pluie épouvantable pis un vent terrible.

Adélard Roy (83)
Nouvelle (Bonaventure) Québec
1976

Collections Catherine Jolicoeur
Université de Moncton, Centre d'études acadiennes, Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.012

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