Le bateau-fantôme
l parlaient du bateau-fantôme icite.
J'ai vu ça, moi, déjà. Ça donnait
à croire qu'y avait queque chose. Je travaillais à
Dalhousie, en bas du banc. Ça paraissait alentour de
Carleton, par les bancs de Carleton.
Dans le temps qu'on parlait du bateau-fantôme,
y avait un petit vieux qui travaillait avec nous-autres en
arrière d'icite. l disait qu'i avait vu le bateau-fantôme.
Les hommes l'ostinaient que c'était pas vrai. l avait
vu de quoi pis qu'i était un menteur.
Le bonhomme était malin. I dit : «
J'ai vu ça, moi! »
Ça m'a assez saisi. J'ai pensé,
c'est vrai qu'i oeillent le bateau-fantôme icite. Pis
cte fois-là, je descendais. J'étais tout seul,
dans mon char. Je descendais travailler su les bateaux. Pis
je gardais ça. Comme j'ai ôté la vue dessus
pour oir si j'étais dans le chemin, je regarde. Y avait
pus rien.
Mais je l'ai vu assez longtemps. Comme si
on prenait un crayon pour dessiner un bateau; comme un bateau
de bois pis le devant était plus haut, pareil comme
si y arait eu des barres rouges pis la quille du bateau pis
les mâts, pis les câbles. C'était rouge
pareil comme du feu. Mais tu oyais pas le feu flamber dessus,
la flamme.
Y n'a qui disent qu'i oeillent des bateaux
en feu là-dessus. Mais j'ai toute vu le bâtiment
comme i faut. Ça avait de l'air pas mal au-dessus de
l'eau. Je l'ai ben vu comme i faut. J'oyais pas les voiles
mais je oyais les câbles, les mâts. J'oyais où
c'que les voiles étaient su ctes câbles-là.
Mais j'oyais tous les câbles, les mâts. Les mâts
comme en feu. C'était rouge.
J'ai descendu jusqu'à la station à
Charlo pour oir si j'oirais pas ça là, moi.
Si le feu arait été su la terre, je pensais
ben qu'i serait queque part par là. J'ai rien vu. J'ai
arrêté à des places où c'qu'y avait
pas d'arbres. J'ai regardé comme i faut. J'ai rien
vu.
Catherine Jolicoeur : Quel âge aviez-vous
à ce moment-là?
J'arais dû avoir comme 45 ans, j'pense
ben. J'avais entendu parler de cte bateau-là. Pis à
tous les coups que je passais sur le bord de la mer, le soir,
i faisait clair de lune, j'avais toujours l'idée de
regarder sur la mer. Pis ce soir-là, je l'ai vu, le
bateau-fantôme, ça doit être ça.
C'est la seule chose que je peux oir que c'est ça.
C.J. : Qu'est-ce que vous avez entendu conter
au sujet du bateau-fantôme?
C'était la même chose qu'i disaient,
les autres. I voyaient les câbles. l me contaient que
le monde i-eux disait qu'i avaient vu le bateau en feu. Mais
c'était juste comme j'avais vu, les câbles pis
i où c'que la quille du bateau, les câbles en-dessous.
l oyaient toute ça. C'était du feu. Comme si
tu oyais ça, tu suivais ça avec un crayon rouge
où c'est que les mâts allaient pis les boulets
pis toute. Les câbles, les mâts de long pis toute.
Pis le derrière du bateau comme i faut. C'était
un bateau. Quand même le bateau arait été
su la terre, ça arait pas été de même;
tu ois le bateau, c'était du feu. Ça m'a fait
drôle quand j'ai vu ça, c'était pas naturel.
Ça m'a assez surpris quand j'ai vu ça. Vraiment,
j'ai venu, je tremblais. Je savais pas, je savais que c'était
pas naturel, un affaire de même. J'avais entendu parler
de ça.
C.J. : Comment les vieux expliquaient-ils
ça eux-autres?
Ben, y en a plusieurs, des vieux de Caraquet
qui avaient vu le bateau-fantôme pis i ont parti après
avec un autre bateau. Mais la plus forte partie eux-autres
qui l'ont vu, i s'sont ôté les yeux de dessus.
Quand i ont remis les yeux, y avait pus rien. Si tu ôtes
ta vue dessus pis tu revires, y n'a pus. Ben moi, c'est la
seule chose, histoire, que j'ai entendu conter.
Y a une madame Lepage, en bas icite, a dit
que c'est pareil. À l'a vu, elle, pis a dit que c'est
pareil, à peut dire la même chose. Quand elle
a ôté la vue de dessus, pis tu revires, i était
parti.
C.J. : Les vieux expliquaient-ils ça
en disant que c'était un autre bateau à qui
il était arrivé quelque chose?
J'ai entendu les vieux dire que c'était
un bateau que le monde était terriblement méchant
dessus. I craignaient ni Dieu ni diable. Eux-autres, la mer,
i pouvaient se battre avec la mer tant qu'i voulaient. I ont
pardu, un temps. C'était du monde qu'était méchant
assez. J'sais pas si i venaient pas encore su l'eau pour expliquer
quoi c'que c'est. Eux autres, i calculaient que c'était
du monde qu'était damné, du méchant monde.
C'est pour ça qu'i revenaient en feu. C'était
du monde qu'était pardu. I s'étaient noyés.
Le diable avait pris possession d'eux-autres. Y a pas moyen
d'expliquer ça.
Y beaucoup de monde qui croeillent ça
que c'est un bateau qu'a été pardu pis le monde
était méchant assez. I avaient bravé
l'bon Dieu. C'était comme une punition. I avaient bravé
le bon Dieu pis i avaient pas peur de la mer. I pouvaient
battre la mer n'importe quel temps. Ça fait que la
mer était plus capable qu'eux-autres, a les a calés.
C'est pour ça qu'i paraît.
C.J. : C'était le printemps ou l'été?
Moi, quand je l'ai vu, c'était en venant
su l'automne. Ben tout le monde qui l'ont vu, c'était
à peu près dans septembre ou octobre. La lune
feusse sur la mer. I l'ont pas vu beaucoup icite. Moi, si
c'est le bateau-fantôme que j'ai vu je l'ai vu à
Dalhousie. Madame Lepage pis un Giroux. Mme Lepage, a vit
encore, mais Giroux est mort. C'est les trois seuls que j'ai
entendu dire qui l'avaient vu.
Y n'a tête ben d'autres qui disent qu'i
l'avaient vu, mais j'en ai pas entendu parler. Mais i expliquent
toutes la même chose; c'est ce qui me fait dire que
c'est le bateau-fantôme que j'ai vu. Le monde a vu la
même chose quoi j'ai vu. Y a queque chose là-dedans
parce qu'y a beaucoup de monde qui l'oeille.
Y avait un histoire qu'y avait un vieux de
Caraquet qui l'avait vu. I a parti après avec son bateau.
I était pas mal vieux. Une journée, i était
malade, i ont été qu'ri le prêtre. Le
prêtre l'a administré. Le prêtre a tout
le temps pensé que ces vieux-là, c'était
des menteries qu'i contaient. I l'a administré pis
i a demandé : « C'est-i vrai que t'as vu le bateau-fantôme?
»
I dit : « Oui je l'ai vu. J'sais j'vas
mourir. Je n'ai pas longtemps à vivre. C'est pas le
temps de conter des menteries. Je n'ai pas pour longtemps.
»
Le prêtre l'a cru. I i a demandé
ça avant de mourir pis le vieux a dit qu'oui. l a dit
: « Quand c'est le temps de mourir, quoi ça me
donnerait de conter des menteries? »
Le prêtre a cru que c'était vrai.
Après qu'i l'a eu confessé pis donné
à communier pis toute. l a dit qu'oi qu'i l'avait vu.
Y a queque chose là-dedans. Y a parsonne
qu'a pu l'expliquer encore. I charchent pis i charchent.
Nelson Mclntyre (69)
Charlo (Restigouche) NB
1977
Collections Catherine Jolicoeur
Université de Moncton, Centre d'études acadiennes,
Fonds Catherine-Jolicoeur, 63.012
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